Chapitre 8. La fatwa

On a eu des nouvelles d’Hamid le lendemain. Il est venu nous voir, un peu affolé. Il a cogné à ma porte et m’a demandé d’aller chercher Sean; il devait nous parler de toute urgence. Sean et moi n’étions pas du tout énervés par l’attitude d’Hamid. On était un peu curieux par contre. Hamid nous disait qu’il avait besoin d’aide. Il avait un peu étiré la vérité en ce qui concernait la fatwa et risquait d’être dénoncé. En fait, un ami lointain, un peu intégriste sur les bords, l’avait menacé d’en parler à un imam, et lui annonçait qu’il risquait fort d’être le sujet d’une fatwa, comme Salman Rushdie, s’il persistait avec ses projets de rassemblement. Hamid avait inventé le reste, en se disant que ce n’était qu’une question de temps pour que ça se réalise vraiment. Les journalistes insistant pour obtenir de l’information croustillante en échange du temps d’antenne qu’ils demandaient, il avait présenté la fatwa comme étant une réalité plutôt qu’une possibilité. Encouragé par l’enthousiasme des journalistes, il avait brodé autour de ça afin de leur en donner pour leur argent. Mais la fatwa ne s’était jamais matérialisée. Les imams avaient sûrement d’autres chats à fouetter que de songer à un québécois, fils d’immigrant, en mal de publicité. Les journalistes insistaient maintenant pour en savoir plus. Hamid nous demandait quoi faire. Il ne voulait surtout pas mettre en péril l’organisation du rassemblement à venir à Montréal, celui-ci devait se tenir coûte que coûte. Ça s’annonçait déjà très bien, tout le monde en parlait, des artistes et des politiciens voulaient y participer. On lui a d’abord suggéré de dire la vérité, mais pour Hamid, il n’était pas question de perdre la face aussi tragiquement. On a donc fait un peu de remue-méninges afin de trouver une façon de dire la vérité sans qu’Hamid ne perde trop la face. C’était vraiment amusant, on se sentait comme les conseillers du président Clinton après le scandale Monica Lewinsky. Après plusieurs suggestions, toutes rejetées par Hamid, on a fini par trouver l’option suivante : la connaissance d’Hamid (qui risquait peu de le dénoncer : il était retourné en Algérie pour visiter sa famille pour les prochaines semaines) lui avait annoncé l’existence d’une réelle fatwa, plutôt que de simplement l’en menacer. Il semblait maintenant s’avérer, jusqu’à nouvel ordre, que cette fatwa n’existait pas vraiment. En tout cas, il n’en avait jamais vu la preuve. Mais, il en restait très préoccupé et demandait aux journalistes de vérifier pour lui si cette fatwa existait vraiment ou pas. Ce dernier ajout était d’Hamid, qui en était très fier. Il allait réussir à se sauver la face, tout en gardant l’intérêt médiatique. C’était un as cet Hamid, on le reverra sûrement en politique un jour que je me suis dit. Après ce grand succès, j’ai quand même pris le temps de mentionner à Hamid que sa connaissance m’inquiétait, que ça pouvait peut-être être un terroriste en puissance, et qu’il faudrait peut-être parler de lui à quelqu’un. Il m’a regardé comme si j’étais un extra-terrestre ou un fou fini, et il s’est mis à rire. Je n’ai pas insisté, qu’est-ce que je pouvais faire de plus ?

Il ne nous restait plus qu’à souhaiter bonne chance à Hamid, qui s’en est allé guilleret. À part pour l’amusement du moment, son rassemblement nous laissait vraiment totalement indifférents. Le rassemblement de Montréal était prévu pour le 15 juillet, la même journée que notre mariage. C’est quand même assez comique !

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