Chapitre 7. 21 juin 2006

Je me suis rendu à l’hôpital pour la sortie de Sean. Ma présence n’était pas indispensable, mais je sentais que je devais y être, étant donné mon niveau d’implication dans cette crise jusque-là. Je n’ai fait que suivre passivement le processus déjà en cours au moment de mon arrivée. Je ne savais plus où me mettre. Je voulais bien aider, mais on ne sollicitait pas mon aide. Quand je faisais quelque chose, avec plein de bonnes intentions, ce n’était pas ce que l’on voulait. J’avais vraiment l’impression de déranger. Mais je n’étais quand même pas pour m’en aller, ou bouder. J’ai donc fait le piquet qui sourit, en souhaitant que ça se termine le plus rapidement possible. J’ai suivi comme un chien de poche. Je n’avais pas du tout le contrôle de la situation, je n’avais aucun défi à relever, cette passivité m’écœurait au plus haut point. J’aurais aimé être ailleurs, faire quelque chose d’utile. J’ai quand même persévéré dans mon calvaire, me disant que Sean allait sûrement, d’une certaine façon, apprécier ce témoignage d’affection que je lui faisais ; bien qu’il ne se rende probablement pas compte du niveau de sacrifice que ça signifiait pour moi. J’espérais presque qu’il y ait un problème quelconque pour que je puisse me mettre en valeur d’une certaine façon. Il n’y a eu aucun problème. Sean est sorti, j’ai remis les clés du Jeep au paternel, et on s’en est allé tout bonnement vers nos appartements respectifs. J’ai indiqué au père de Sean que le réservoir était quasiment vide, en lui faisant savoir que j’avais utilisé son véhicule pour une escapade avec Catherine. Je lui ai dit qu’il me ferait plaisir de rembourser le coût de l’essence. Il m’a dit d’oublier ça, qu’il m’en devait bien plus que ça pour toute l’aide que je lui avais procurée. Juste ça, et j’oubliais mon calvaire récent. La visite de ce matin en valait la peine finalement.

Après en avoir discuté longuement avec Sean, son père avait décidé de quitter Québec à la date prévue, vendredi le 23 juin, soit dans deux jours. Il était clair que Sean avait insisté pour que son père n’étire pas son voyage, car celui-ci n’avait pas l’air très convaincu que c’était la bonne chose à faire. Il semble que j’avais joué un rôle important dans la discussion. Comme Sean et moi vivions à proximité, je m’occuperais de lui en cas de besoin. En tout cas, pas question pour moi d’être paternaliste avec Sean. Il devait être d’accord avec ça d’ailleurs. Il devait être un peu tanné de l’attitude sur-paternelle du papa. Je suis certain qu’il l’appréciait, mais à notre âge, on l’apprécie d’autant plus à distance. Sean allait passer toute la journée du lendemain avec son père, pour lui faire visiter ses coins préférés de la région de Québec avant son départ. Originalement, ils devaient visiter ensemble une grande partie de la province, plutôt qu’une grande partie de la région de la capitale, mais personne ne semblait trop s’en faire avec ça. Je ne crois pas que M. Hastings était un avide touriste. Il voulait voir son fils, un point c’est tout. Et il l’avait vu sous toutes ses formes, même les plus inusitées. Il avait même eu l’occasion de connaître un échantillon intéressant du système de santé québécois. C’était quand même pas peu dire. Je m’effacerais donc pour la journée du lendemain, pour mieux réapparaître au moment du départ de M. Hastings à l’aéroport, faisant partie du comité d’adieu par la force des choses. J’avais une voiture, un mini tacot plein de rouille que j’utilisais le moins souvent possible, et Sean n’en avait pas. Pour ce qui est de la soirée, elle était consacrée au souper avec Hamid et à notre entente contractuelle. En attendant ce souper, je me suis replongé dans la lecture de documents scientifiques, en espérant que je sois ainsi mieux préparé psychologiquement pour me remettre à la rédaction de ma thèse. Ça me faisait drôle de savoir Sean et son père juste à côté et de ne pas être appelé à me joindre à eux, d’être sur la touche. On avait vécu ensemble des choses pas mal intenses ces derniers jours, et j’imagine qu’il me restait à décompresser de tout ça, à m’en détacher pour passer à autre chose.

À 6 heures, Je me suis rendu chez Sean, qui avait le document contractuel en main, en trois copies. J’ai pu constater que Sean et son père avait déjà fait des aménagements mineurs à l’appartement. On avait entre autre installé un rideau, ou un drap, sur le mur de la cuisine, en attendant les réparations. L’appartement avait l’air assez normal et Hamid ne verrait sûrement aucun indice de ce qui s’y était réellement passé.

J’étais bien impressionné de voir ce texte légal dans les mains de Sean. On l’a regardé un peu ensemble en attendant Hamid. Bien que le texte était très rébarbatif, et difficile à comprendre, je me sentais privilégié d’avoir l’opportunité d’étudier un tel texte, et peut-être même de le signer. Je me sentais important, un homme d’affaires, pas un simple étudiant. Le père de Sean avait disparu, probablement était-il de retour à sa chambre d’hôtel. Sean m’a dit qu’il avait des affaires urgentes à régler pour son entreprise. Hamid ne s’est pas fait trop attendre. Il a préféré que l’on aille souper tout de suite plutôt que de lire le document ensemble auparavant. Il a dit que l’on pourrait en parler en soupant et qu’il le lirait en détail par la suite. Il était clair qu’il voulait signer l’entente le plus rapidement possible et s’occuper du rassemblement de Montréal. Il n’allait certainement pas s’enfarger dans les fleurs du tapis.

Pendant le souper, dans un buffet chinois du coin, on a presque pas parlé du document, malgré ce qui était convenu. Hamid a pris le plancher pour nous jaser du prochain rassemblement qui l’enthousiasmait beaucoup. Il allait être interviewé pendant les nouvelles de TVA demain, à peu près à la même heure, pour parler de ce rassemblement. Une entrevue en direct pour la ville de Québec et les régions couvertes par le bulletin de nouvelles local, et une entrevue enregistrée, faisant partie d’un reportage, pour la ville de Montréal et le reste du Québec. Il était au comble du bonheur. Il avait réservé les droits exclusifs de couverture du rassemblement de Montréal à Quebecor, qui possédait TVA, le Journal de Montréal et le Journal de Québec, en échange de cette publicité gratuite. Un beau pied de nez au journal Le Soleil et à madame Jolicoeur, qui avaient parlé de l’initiative en premier! Hamid ne se rendait pas du tout compte que, l’entente n’étant pas signée, on pouvait encore tout faire planter son beau scénario. Mais on allait pas faire ça. On avait juste hâte de se sortir de cette situation qui nous dépassait. Elle ne semblait certainement pas dépasser Hamid en tout cas.

Après que Sean et moi eurent bien mangé, mais pas Hamid, qui était trop occupé à parler pour avoir le temps de manger, nous sommes rentrés chez Sean ensemble. Pour Hamid, il était clair que l’on ne faisait plus partie du coup. Il nous parlait du rassemblement à venir comme à des amis quelconques ; pas comme à d’ex-partenaires fondateurs, des alliés ou même peut-être des ennemis. Ça aurait sans doute pu nous blesser, mais ce ne fut pas le cas pour moi, et pour Sean non plus d’après ce que je pouvais voir. Sean semblait très indifférent au discours d’Hamid. Il avait juste hâte que celui-ci lise le document, qu’on le signe et qu’on en finisse. Il me regardait souvent avec des airs d’impatience pendant qu’Hamid épiloguait sur ses activités. Enfin, rendu à l’appartement, Hamid a lu le document. À moins qu’il ait eu une deuxième vie en tant qu’avocat, il est clair qu’il n’a fait que survoler le texte. Après moins de 15 minutes, il l’a signé et s’est levé pour s’en aller. Sean a insisté pour que l’on signe tous les trois les trois copies, et que l’on en garde chacun une. Je suis certain que le document était correct, mais quand même, on ne signe pas quelque chose sans avoir bien tout lu ce qu’il contient… C’était par contre la fin d’une période tumultueuse, et je n’en étais pas fâché. On s’est serré la main et tout de suite Hamid a quitté. Ce n’est certainement pas Sean et moi qui allions le retenir. Une fois qu’il a passé la porte, Sean et moi nous sommes regardés, on a eu un petit fou rire, et on s’est fait l’accolade des vainqueurs avec deux petites claques dans le dos. On avait rien gagné du tout pourtant, à part peut-être un peu de paix. C’est important la paix !

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