Chapitre 7. 22 juin 2006

Après une journée de pseudo-écriture de thèse (je passais mon temps à écrire, effacer, puis réécrire le même paragraphe, sur le même sujet), j’ai pris la peine de regarder le bulletin de nouvelles de TVA. J’ai été assez impressionné de voir qu’Hamid faisait les manchettes. On y disait que l’organisateur du rassemblement avait été menacé de torture par un groupe extrémiste islamique. Qu’est-ce que c’était que ça ?

Après une histoire de trafiquants de drogue dont on a découvert le butin, on en est venu tout de suite à Hamid et son entrevue en direct. Il avait l’air plutôt sombre par rapport à ce qu’on avait vu de lui lors du souper de la veille. Il disait qu’une fatwa avait été émise contre lui, par un imam radical, suggérant qu’il méritait la torture pour son rôle dans l’organisation du rassemblement pour la paix. Ce rôle atténuerait la portée du message de la religion musulmane, en le mettant au même niveau que l’athéisme et d’autres croyances incultes dangereuses. La fatwa indiquait aussi qu’Hamid semblait accuser l’Islam de certains torts dans les conflits en cours avec l’Occident, alors qu’il n’en était que la victime. La conclusion indiquait que ce genre d’attitude n’est pas acceptable chez un frère arabe, et qu’il fallait agir afin de punir l’infidèle. Le plus bizarre dans tout ça, c’est qu’il disait qu’il avait reçu cette fatwa hier après-midi, donc avant notre rencontre de la soirée. Il n’avait certainement pas l’air affecté par des menaces lorsque nous avons soupé ensemble ! L’imam ayant émis la fatwa n’était absolument pas identifié. Aucune deuxième source, ou témoin ne venait confirmer les propos tenus par Hamid à ce sujet. Celui-ci n’hésitait pas, par contre, à dire que le rassemblement de Montréal se tiendrait quand même, et que jamais il ne renoncerait à suivre ses convictions sous la menace. Il disait qu’on avait tort de le percevoir comme un infidèle, qu’il était un fier musulman et que sa démarche se voulait constructive, autant pour les musulmans, que pour les croyants en d’autres religions, ou même les incroyants, qui n’ont pas à se considérer comme des ennemis entre eux. Le journaliste qui lui faisait passer l’entrevue semblait bien impressionné par son courage, et lui demandait s’il avait peur. Il a répondu qu’il ne pouvait se permettre d’avoir peur et qu’il se sentait protégé par Dieu. Le journaliste lui demandait comment il pouvait accepter de partager ses efforts avec des non-croyants, alors qu’il était un fier musulman. Hamid a répondu qu’il savait que ces non-croyants avaient tort, et manquaient certainement l’amour de Dieu dans leurs vies, mais qu’il ne pouvait les changer de force, et qu’il se devait d’être tolérant envers eux ; d’autant plus qu’ils étaient moins avantagés que ceux qui ont vu la lumière. Ayoye, c’était quasi-mystique son affaire, et pas mal arrogant ! En tout cas, il semblait moins sombre qu’au début de l’entrevue. Surtout quand le journaliste lui a demandé de préciser la nature du rassemblement qui causait cette réaction de la part de certains représentants islamiques. À ce moment-là, il a semblé retrouver tout son aplomb et a lancé son discours bien huilé au sujet de la date et du lieu du rassemblement montréalais, l’annonçant comme une suite du succès du rassemblement de Québec ayant eu lieu la semaine dernière. Je trouvais que ça ne sentait vraiment pas bon, cette affaire-là ! Hamid serait-il capable de lancer une nouvelle mensongère simplement par soif de publicité pour son rassemblement ? Ça ne me semblait pas croyable. D’autant plus qu’Hamid se mettrait en danger lui-même en annonçant une fatwa contre lui, que ce soit vrai ou pas.

En tout cas, pour la publicité, ça marchait ! En voulant en savoir plus sur la nouvelle, j’ai écouté les autres postes de télévision et j’ai fouillé sur le web. La nouvelle était reprise comme un sujet divers par les autres postes, alors que l’on en parlait déjà abondamment sur le web, dans différents blogues, ou simplement comme une reprise de la nouvelle. Par contre, pas plus de détails, d’explications ou de confirmation quant à l’affirmation d’Hamid. Celle-ci n’était pas non plus remise en question. On vantait à l’unanimité le courage et la détermination du jeune homme, et on dénonçait le groupe islamique intégriste ayant émis cette fatwa. Mais qui était ce groupe islamique que l’on dénonçait avec autant de véhémence ?

Il fallait que j’en parle à quelqu’un ! Sean n’étant pas disponible, j’ai pensé à Catherine. Même si relancer ce sujet avec elle n’était pas la chose la plus habile à faire en ce moment, elle était la mieux placée pour me comprendre, m’aider et me calmer.

Catherine était chez elle. Quand elle a répondu, elle m’a tout de suite dit qu’elle pensait justement à moi et qu’elle voulait m’appeler pour m’inviter à souper en quelque part. C’est vrai, avec tout ça, j’avais complètement oublié que c’était l’heure du souper. Je lui ai dit que c’était une bonne idée, et je lui ai demandé où elle voulait aller. Elle a sûrement senti la tension dans ma voix, car elle m’a demandé ce que j’avais. Je lui ai demandé si elle était au courant pour Hamid et la fatwa. Elle m’a dit que oui, elle venait tout juste de recevoir un coup de téléphone d’une amie qui lui en avait parlé, se rappelant qu’elle connaissait ce gars-là, par mon intermédiaire. Elle trouvait ça bien plate, mais disait que ce n’était pas de nos affaires. Alors, je lui ai dit que j’avais des raisons de penser qu’Hamid avait inventé cette histoire de toutes pièces. Ça ne lui a pas plu. Elle m’a demandé si j’étais en train de recommencer la même hystérie que j’ai vécue avec l’initiative de Sean. Je lui ai dit que non, mais que je voulais quand même lui en parler, pour me faire confirmer que je divaguais.

Comme le fast food était maintenant hors de question pour Catherine, qui disait en avoir abusé ces derniers temps, on s’est rendu dans une sandwicherie à la mode. Au prix où ils vendaient leurs sandwichs, ma bourse de recherche allait y passer si je revenais trop souvent. C’était très minimaliste et très froid comme décor. On se serait cru dans une cafétéria, mais avec les murs de couleurs vives, des peintures abstraites sur ceux-ci, et des serveuses relativement sexy, mais avec beaucoup de classe.

C’est quand même bizarre qu’on associe la bouffe santé à un décor froid et urbain, alors que je l’associe bien plus naturellement à un jardin de campagne. Est-ce plus une question de mode qu’une question de santé ? En tout cas, c’est certain que c’est une question de profits.

De toute façon, j’avais pas le goût de parler du décor avec Catherine, je voulais lui parler de cette possible fraude médiatique. Catherine n’a pas bronché quand je lui ai fait part des observations qui avaient mené à mon doute. Elle m’a demandé ce que je pensais faire si jamais j’avais raison, si c’était vraiment un mensonge. Je n’y avais pas vraiment pensé à celle-là. Je n’allais quand même pas le dénoncer ! Donc, je ne ferais rien, donc pourquoi en parler ? Parce que ça me faisait du bien, c’est tout. Parce que je voulais savoir si ma réflexion avait de l’allure ou si j’étais un peu paranoïaque. Parce que je considérais Hamid comme un ami et que je ne pourrais jamais tolérer ce genre d’attitude chez un ami. Parce que si j’avais tort, Hamid avait plutôt besoin d’aide que de dédain, et qu’entre les deux je ne saurais pas du tout comment agir avec lui si l’on se rencontrait.

Catherine, dans sa sagesse, m’a dit que si je n’avais pas affaire à Hamid, je serais mieux de ne pas aller au devant de lui, étant donné ma perplexité. Si Hamid me contactait, je n’avais qu’à lui poser les questions qui me chicotaient, avec beaucoup de tact et de chaleur, afin d’en avoir le cœur net, et décider ma façon d’agir à partir des conclusions que je pourrais tirer de ses réponses. En attendant, je n’avais pas à m’inquiéter. Hamid avait sûrement un important groupe de soutien autour de lui. Ces paroles me semblaient pleines de sens. C’était vrai qu’Hamid avait un gros entourage, dont je ne faisais partie que de manière périphérique. J’allais quand même en parler avec Sean demain pour voir s’il était d’accord. J’étais tout à fait calmé maintenant. Catherine pouvait être très fière d’elle, moi je l’étais en tout cas.

Elle a refusé de nous accompagner à l’aéroport le lendemain matin, ce qui ne m’a pas trop surpris. Ce n’était pas une lève-tôt, et elle n’avait pas vraiment d’affaire-là. On a continué à se parler de notre futur mariage, en éliminant le party dans la prairie, à cause des risques de pluie. On s’est entendus que tout se ferait dans une salle de réception, où le party pourrait pogner, aussitôt que l’on se serait juré amour et fidélité devant tout le monde. Je lui ai dit que je ne voulais pas de jonc, que je ne mettais même pas mon jonc d’ingénieur. Elle a pensé à me donner une belle montre ; ce qui me semblait pas mal. Pour elle, la bague allait faire l’affaire, ou encore un beau collier avec un petit diamant. Rien de trop cher m’a-t-elle dit : « mes parents vont peut-être me prêter de l’argent, mais je ne veux pas trop m’endetter ». J’étais content que le sujet de l’argent vienne d’elle, pour une fois je n’avais pas l’air du pingre de service. Je n’avais pas beaucoup d’argent de côté et j’étais révulsé par l’idée de demander de l’argent à mes parents. Il semblait convenu qu’on allait se séparer les dépenses moitié-moitié. Il y avait peut-être moyen de se trouver une salle pas trop chère en faisant jouer nos contacts universitaires. Il fallait que ça se passe à Québec puisque c’était à peu près le point central entre la plupart des membres de nos deux familles respectives.

On a continué à jaser comme ça toute la soirée, et ça a été pas mal agréable. Vers 11 heures, j’ai dit qu’il fallait que j’y aille puisque je devais me lever tôt le lendemain matin pour faire ma B.A. pour Sean. On s’est souhaité une bonne St-Jean-Baptiste, en se jurant de se recontacter dimanche matin. On continuait de respecter le contrat convenu.

J’ai quand même pris le temps d’écrire le résumé de la journée avant de me coucher.

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