Chapitre 7. On passe à autre chose!

Je suis passé chercher Catherine pour notre tour de Jeep. On venait de convenir de se rendre à l’île d’Orléans et de profiter des journées plus longues et du véhicule pour voir du paysage, et si possible, un beau coucher de soleil. Au diable la pollution, ça nous arrivait si peu souvent de faire ce genre de mini-voyage en automobile qu’on avait pas à se sentir coupable. J’espérais tout de même que M. Hastings allait payer le gaz. Mais si ce n’était pas le cas, je pouvais me le permettre. Catherine m’attendait devant la porte et m’a donné un petit bec sur la joue en me voyant, rien de bien convaincant. Elle semblait excitée par l’idée de notre escapade. Je savais par contre que ça n’allait pas dégénérer puisque Catherine était en plein contrôle de sa période de break.

Sur l’autoroute, on a parlé de notre longue fin de semaine à venir. Catherine m’a dit qu’elle préférait que l’on vive ça chacun de notre bord, et si possible qu’on le vive intensément. C’était le genre de trip de gang qui pouvait nous aider à réaliser quelque chose sur notre désir d’être en couple ou non. Je ne doutais pas que ça allait être intense pour Catou, puisque sa gang de filles de biologie aimait beaucoup avoir du fun à ce genre de party. De mon côté, je serais probablement accompagné de Sean et de quelques autres personnes du lab. On écouterait le show et on reviendrait ensuite calmement à la maison. On avait passé l’âge de se garrocher dans le feu et de boire jusqu’à être malade. J’ai quand même profité de l’occasion pour m’assurer que Catherine allait continuer de tolérer que l’on puisse sortir chacun de notre bord, avec des amis, une fois que l’on serait mariés. Sans surprise, elle m’a dit que c’était bien évident, sauf qu’une fois mariés, les dérapages possibles de ce genre de sorties ne seraient plus acceptés. C’était donc l’occasion, autant pour elle que pour moi, d’évaluer ces possibilités de dérapage.

Catherine a beaucoup trippé sur l’île d’Orléans. On est pas allé bien loin. On s’est rendu jusqu’à Ste-Pétronille puis on est revenu. Moi, j’avoue que ça me laissait assez indifférent ces vieilles maisons sur le bord de la route. Le paysage était beau, mais c’était à peu près le même de l’autre côté du pont. Par contre, c’était calme, ce qui favorise la contemplation. Le coucher de soleil a été beau, mais rien pour écrire à sa mère. C’est vrai qu’un coucher de soleil, quand on ne le regarde pas collé avec sa blonde, ça manque toujours un peu d’intensité. Le retour s’est fait dans l’amitié, rempli de conversations simples et naturelles. J’étais vraiment bien avec cette fille, ou plutôt cette femme-là.

*****20 juin 2006*****

Je me demandais un peu quoi faire quand j’ai reçu un appel de Sean, le lendemain. Il m’a dit qu’Hamid demandait à nous voir le plus rapidement possible. Comme Sean ne pouvait pas quitter l’hôpital, il avait suggéré que l’on se rencontre dans sa chambre, à 13 heures. Je n’avais rien à l’agenda, alors je pouvais difficilement refuser. Par contre, je n’anticipais rien de bon d’une telle rencontre. C’était inévitable, alors peut-être qu’il était aussi bien que l’on se parle le plus rapidement possible.

-Est-ce que tu as rencontré la psychiatre?

-Oui, j’ai même pris un abonnement de saison avec elle. On va se voir à toutes les semaines pour un certain temps, jusqu’à ce qu’elle ait pu me caser parmi sa liste de diagnostics possibles. Je vais devoir prendre mes médicaments jusque-là, alors j’espère ne pas être un cas trop compliqué. Elle me demande de ne rien changer à mes plans à court terme et m’a donné ses coordonnées au cas où je ne me sente pas bien.

-Et pour la rédaction de ton livre?

-Je te l’ai dit, elle m’a dit de ne rien changer à mes plans.

-J’imagine que c’est la même chose pour la rencontre avec Hamid à l’hôpital, pas de contre-indication.

-Je n’ai pas eu l’occasion de lui en parler, mais ça me semble évident!

*****Hamid*****

Quand je suis arrivé, quelques minutes avant l’heure prévue, Hamid était déjà là et il avait l’air fébrile. Quand il m’a vu, il ne m’a même pas laissé le temps de m’asseoir.

-Enfin, tu es là ! Bon, je ne vais pas passer par 4 chemins. On m’a demandé d’organiser un nouveau rassemblement à Montréal, sur le même thème que celui du PEPS. Ça se passerait au mois de juillet prochain au Parc Jean-Drapeau. Je dois savoir si vous embarquez. Si oui, je dois savoir quel sera le rôle de chacun d’entre nous. Dans le cas contraire, je dois savoir si vous me permettez de continuer par moi-même.

Je l’ai trouvé un peu vite en affaires, alors je ne me suis pas gêné pour lui passer une petite remarque :

-Tu vois bien que Sean est encore hospitalisé, tu devrais te préoccuper de lui plutôt que d’un futur rassemblement ! Y me semble évident que ce n’est pas vraiment le temps de parler de ça !

Hamid s’est défendu de l’insensibilité dont je l’accusais.

-J’ai eu le temps de parler avec Sean et il sait très bien que je suis désolé pour ce qui lui arrive et que je me préoccupe de sa santé. Sean était d’accord pour que l’on se parle des suites à donner au rassemblement dès maintenant. S’il avait refusé, je n’aurais pas insisté. Par contre, pour ce qui est de la possibilité de Montréal dont je vous parle, il faut donner une réponse d’ici vendredi.

-Il faut donner une réponse à qui? a demandé Sean fort judicieusement.

-C’est un groupe montréalais de rapprochement entre les palestiniens et les israéliens qui financerait le rassemblement et qui doit réserver une esplanade du Parc Jean-Drapeau le plus rapidement possible.

-Et ton père Sean, il a des droits dans cette affaire; c’est lui qui a financé le premier rassemblement.

-Ne t’en fais pas avec ça Jeff. Mon père ne veut plus rien savoir de ce rassemblement. Il est comme toi, il veut que je passe à autre chose. Il ne va rien demander, surtout qu’il n’y a pas d’argent à faire avec ça.

-Ah ça, on sait jamais ! a dit Hamid de manière convaincue.

Je me disais qu’il devait avoir une idée en tête ce petit futé. Sean m’a devancé:

-Moi, je ne vois pas d’inconvénient à laisser Hamid aller, mais à certaines conditions.

Il semblait déjà avoir pensé à son affaire.

-Et c’est quoi tes conditions, Sean ? a demandé Hamid.

-Rien de bien compliqué, tu ne parles plus de moi du tout en relation avec ce rassemblement, tu ne parles plus du concept d’individualiste conscient et tu ne parles du rassemblement de Québec que comme une référence historique. Pas question de partager des extraits de ce rassemblement, ni vidéo ou sonore, ou encore des textes. Si tu réponds à ces conditions, tu peux faire ce que tu veux et je retire tous mes droits sur la suite des choses.

J’avais presque l’impression que Sean avait consulté un avocat à ce sujet. Ça se pouvait très bien, étant donné la présence de son père dans les parages. Il parlait lentement, mais il semblait penser plus vite. J’ai tout de suite voulu m’associer à ses propos plein de sagesse.

-Je suis d’accord avec les conditions de Sean et je veux qu’elles s’appliquent à moi aussi.

-Mais est-ce que je vais au moins pouvoir m’inspirer de ce que l’on a fait au PEPS ? Je ne peux quand même pas tout reprendre à zéro.

-Mon avis est que tu peux faire ce que tu veux, en autant que tu respectes les conditions que l’on t’a posées. Tu peux faire le même show qu’au PEPS, intégralement, en autant que tu ne parles pas d’individualisme conscient, ni de nous. Après le show de Montréal, tu auras toutes les archives que tu voudras. Tu es d’accord, Jeff ?

-Je suis parfaitement d’accord.

-Tu sais, les gens de l’université Laval appuient cette démarche et voulaient, eux, que j’utilise des images d’archives de ce qui s’est passé au PEPS pour annoncer le rassemblement de Montréal.

-D’après moi, les gens de l’université Laval n’ont rien à dire. C’est à Jeff et moi de décider.

-OK, OK, tes conditions ne sont pas si difficiles à respecter. Mais il va falloir que vous renonciez à vos droits par écrit pour la suite des choses.

-Hamid, je veux que ce soit clair que Jeff et moi ne renonçons pas à nos droits concernant le principe de l’individualisme conscient. Si on veut exploiter ce principe, on aura aucune limite de ta part. Dans ce cas, c’est toi qui renonceras à tes droits par écrit.

-C’est facile de renoncer à mes droits, puisque je n’en ai aucun. De toute façon, il était prévu que l’on centre le discours sur la paix interraciale et interreligieuse. On a pas besoin d’un principe philosophique pour comprendre que c’est une bonne idée !

-En tout cas, on a besoin de quelque chose de plus que de simplement dire que l’on souhaite la paix. Sinon, ça ferait méchamment longtemps que le conflit palestinien serait réglé !

Ai-je dit avec conviction, même si j’avais un peu l’impression d’être hors sujet.

-Ce sera la première fois que le public nord-américain prendra position pour la paix, sans aucun parti pris. Si on fait un bon job, ça va influencer les politiciens états-uniens. Si les politiciens états-uniens sont plus objectifs, alors je crois que ça peut faire une grande différence. On a pas le droit de ne pas essayer !

-Donc, ce que tu vises Hamid, ce sont les États-Unis. C’est quoi l’étape après Montréal ?

-Jeff, pourquoi tu te dissocies du projet si vite ? Je crois que tu pourrais vraiment nous aider. Je comprends que Sean veuille s’en dissocier, étant donné sa situation, mais toi, tu es en pleine forme.

-Je n’ai rien contre un rassemblement pour la paix. Je pourrai même y participer passivement s’il n’y avait pas tout ce bagage de problèmes qui ne me revenait en mémoire à chaque fois que je pense au rassemblement du PEPS et à son organisation.

-Tu es trop émotif Jeff, et tu manques d’ambition.

-J’ai l’ambition d’être heureux. Me semble que c’est quand même pas mal !

Hamid commençait sérieusement à me pomper l’air. Il avait eu ce qu’il voulait, alors je ne vois pas pourquoi il continuait d’insister.

-Si tu veux tout savoir Jeff, la prochaine étape sera New York, et on a bien l’intention d’obtenir l’appui du congrès juif quand on sera là.

-Bonne chance, mon vieux !

S’il réussissait ça, j’allais tout de même devoir lui lever mon chapeau. C’est quand même beau la fraîcheur de l’enthousiasme et la naïveté de la jeunesse. Même si Hamid n’était que de 2 ans mon cadet, on voyait bien qu’il n’était pas aussi désillusionné que moi. À moins que ce ne soit seulement son ambition personnelle qui l’aveuglait. Sean nous a un peu remis les pieds sur terre.

-Bon, c’est pas tout ça, mais il faut en arriver à une entente écrite d’ici la fin de la semaine. Qui s’occupe de la rédiger ?

C’était une maudite bonne question. Hamid était tout aussi mal pris que moi. Il s’est permis de suggérer son groupe de rapprochement montréalais, mais c’était une mauvaise idée. Il n’avait pas à être mêlé au dossier pour l’instant. Sean a proposé de s’en charger, ce qui me confirmait qu’il en avait déjà parlé avec son père.

-Je vais m’en occuper, mon père va me trouver des avocats qui vont nous rédiger quelque chose rapidement, sans rien nous charger. Mais ça risque d’être en anglais, ça vous va ?

-Pas de problème, que je lui ai dit, en autant que ça fasse référence à la loi québécoise, et pas à la loi australienne.

Je pensais que je jokais en disant ça, mais Sean avait l’air de penser que c’était une revendication tout à fait sensée et sérieuse.

-Je devrais avoir quelque chose de prêt pour demain. On pourrait se voir demain au souper pour signer le tout. Si on est pas d’accord avec le document, ça nous laisse le temps de faire refaire une nouvelle version à notre goût.

Sean m’étonnait. Je reconnaissais maintenant en lui l’homme d’affaires qu’est son père. J’imagine qu’il avait eu l’occasion de travailler un peu dans l’entreprise paternelle avant de devenir un scientifique-théologien.

-Il faudrait pas que ce soit trop du charabia d’avocats, ni un document de 20 pages. Moi, je ne connais rien au langage des avocats, et je ne signerai rien que je n’aurai pas lu en entier et tout compris.

-Ne t’en fais pas Hamid, ce sera simple et clair. En une journée, les avocats auront pas le temps de générer quelque chose de long et de compliqué. Ça demande du temps et des efforts de compliquer les choses.

Ah, ce bon vieux défoulement collectif sur le dos des avocats, rien de mieux pour faire sourire son entourage… à moins que celui-ci ne soit constitué d’avocats.

-Si ça te va Hamid, j’aimerais que tu me laisses seul avec Jeff.

-OK, à demain pour le souper. Où est-ce qu’on se donne rendez-vous, et à quelle heure ?

-Tu viendras chez moi vers 6 heures et on partira de là. Ça te va, Jeff ?

-Ça me va parfaitement, et toi Hamid ?

-C’est parfait, à demain après-midi !

-C’est ça, à demain! avons-nous chanté en chœur.

Sean avait quelque chose à me dire, et il était pressé de me le dire. Il a laissé le temps à Hamid de faire quelques pas dans le corridor avant de me demander si j’allais avoir de la difficulté à vivre avec un éventuel succès d’Hamid.

-Pas vraiment, je serai toujours un peu jaloux du charisme qu’a Hamid en public. Mais il aura mérité son succès et moi, je n’aurai pas grand chose à voir là-dedans. Sauf peut-être d’avoir participé à donner la poussée initiale. Toi par contre, tu as organisé le premier rassemblement qu’il veut copier en partie pour faire une tournée mondiale.

-Bof ! Tu sais, c’est son charisme qui a fait le succès de l’événement, pas le contraire. De plus, Hamid a joué un grand rôle dans la mise en scène du rassemblement. À un moment donné, il m’a un peu tassé pour s’assurer que ça marche. Non, je ne serai pas jaloux ni frustré. Je m’appuie sur mes convictions religieuses pour me guider, mais toi ?

-Je m’appuie sur mes convictions personnelles, qui sont sûrement aussi fortes que tes convictions religieuses !

-C’est correct, j’ai rien dit Jeff, tout est OK alors.

J’haïs ça quand les partisans de la religion considèrent les non-partisans comme des êtres fragiles. Quelle prétention de leur part de se penser supérieur aux autres.

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