Épilogue

Ceci met un terme à ce premier tome d’une trilogie. Le deuxième tome, Le journal de Jean-François Lafleur, parlera d’un père de famille et époux dans la quarantaine qui vient de perdre son emploi et remet sa vie en question. Le troisième tome, Le journal de Jean-François Laplante, parlera d’un grand-père veuf atteint de la maladie d’Alzheimer, faisant face à son déclin et sa mort.

Si je reçois suffisamment de commentaires positifs en ce qui concerne ce premier tome, je trouverai peut-être la motivation pour compléter l’écriture de ces deux prochains tomes. Tous vos commentaires sont les bienvenus !

À la prochaine peut-être !

Jocelyn

P.S. Merci à Natalie pour ses corrections et son support.

Chapitre 8. C'est ça qui est ça!

Finalement, j’ai décidé que je ne publierais jamais ce manuscrit (je ne sais toujours pas exactement comment l’appeler). Catherine ne trouve pas que ce serait une bonne idée et je ne suis pas sûr que ça intéresserait grand monde de toute façon. Il y a aussi le problème de Sean et de son propre livre. La nécessité de demander à tout le monde leur autorisation avant de rendre le document public. Il faudrait en plus que je réécrive à peu près tout, puisque la qualité du français laisse à désirer. Ça a joué le rôle thérapeutique que ça devait jouer, et c’est peut-être une bonne chose que ça se limite à ça. Ça me fait quand même un beau souvenir pour mes vieux jours. Je vais donc limiter l’autorisation de lecture de ce texte à Catherine (dans quelques mois, question de laisser tomber la poussière sur certains événements sensibles) et à nos futurs enfants. Je sais que ça va me chicoter longtemps de savoir si j’aurais dû ou non au moins essayer ; mais je n’ai qu’une parole ! Pour mes futurs enfants, je leur demande de respecter aussi cet engagement, même après ma mort. Je leur demande d’en limiter la diffusion à leurs seuls enfants également. Dans quelques générations, ce récit deviendra peut-être un best-seller (sans vente), si les Lahaie sont le moindrement prolifiques.

Je ne trouve pas non plus que le concept d’individualisme conscient mérite que l’on écrive un livre à ce sujet. Ma conclusion, c’est que chacun doit vivre sa spiritualité de manière individuelle et en privé ; les religions, les sectes, les croyances religieuses c’est inquiétant. C’est sans doute un mal nécessaire, incontournable, mais d’après moi, ça ne doit certainement pas être encouragé. Publier ce livre viendrait en partie contredire cette conclusion en présentant une idéologie pour adoption. J’espère aussi de tout cœur que Sean ne publiera jamais son livre à ce sujet.

J’ai aussi découvert, pendant cette rédaction, que l’altruisme vrai existait, mais qu’en fait c’est l’amour ; je parle de l’amour du conjoint, l’amour d’une vie. Il faudrait retirer le mot altruisme du dictionnaire, il est inutile et crée de la confusion. Quand on confond son bien-être avec celui de l’autre, c’est seulement à ce moment-là que l’altruisme existe vraiment. Sinon, c’est de la générosité apporté par notre individualisme conscient et notre volonté de se valoriser. Si j’écris un jour un livre, ce sera sur l’amour. C’est magique l’amour ! C’est peut-être ça Dieu, c’est l’amour ! Pas besoin de religion pour s’aimer, juste besoin d’être chanceux et de se laisser aller à sa poésie.

Bon, je sais plus trop comment finir tout ça. J’étire la sauce, on dirait que je ne veux plus finir… OK, salut !

Chapitre 8. J'ai l'feu

On a jugé mon tacot encore assez fiable pour faire la route Québec-Montréal. On est parti vendredi soir, après souper, afin d’arriver à temps à Montréal pour voir des feux d’artifices de la fête du Canada. On s’est rendu directement au Mont-Royal. On s’est trouvé un petit spot tranquille (pas facile !), avec une belle vue sur le centre-ville. On s’était amené une couverture, une lampe de poche, des chips, du champagne et des verres. C’était du vrai champagne, pas du vin mousseux ; ce qu’on soulignait en valait la peine ! Par contre, question d’économie, c’était une demi-bouteille. On allait pas se saouler avec ça. Les chips avec le champagne, je sais que ça faisait un peu cheap, mais on aimait tellement ça. J’étais un peu inquiet que le voyage ait trop brassé la bouteille de champagne et que l’on en aurait plus sur nos vêtements que dans le gorgoton. Mais, dans notre état, ça n’aurait pas causé de drame, juste une anecdote de plus. À 10 heures précises, sachant que les feux d’artifices étaient sur le point d’être déclenchés, j’ai ouvert la bouteille d’un beau pop ! Je m’en faisais pour rien, le bouchon a fait un vol plané sans blesser personne, et le contenu de la bouteille est resté bien en place. Le pop de ma bouteille a été suivi presqu’immédiatement d’un autre pop, à proximité, provenant du premier pétard de la soirée. Comme si j’avais donné le signal de départ ! D’autres pop ont suivi, à gauche, à droite. De là où on était, on pouvait voir au moins quatre différents feux. Certains sur la rive-sud que l’on devinait à peine. La soirée était superbe et Catherine était ravie. On était les rois du monde ! Comme dans Titanic. Moi qui n’aime pas particulièrement le champagne, je lui ai trouvé un goût plutôt intéressant, dans l’euphorie du moment. Nos deux petites coupes chacun n’ont pas fait long feu (dans le sens de feu d’artifice, la pognez-vous ?). Le baiser suivant, lui par contre, n’était pas piqué des vers, question durée et qualité. Il ne fallait pas rentrer trop tard puisque l’on devait coucher chez mes parents. Comme les feux étaient terminés, on pouvait y aller et en profiter pour faire un détour vers un bar laitier. Je ne crois pas que j’avais jamais été aussi heureux de toute ma vie !

Évidemment, chez mes parents, pas question de coucher dans la même chambre. J’espérais bien que notre annonce du lendemain allait changer les choses une fois pour toutes.

On a fait l’annonce autour du déjeuner. Tout le monde semblait ravi. On a évidemment pas expliqué tout de suite que l’on ferait ça à notre façon, mais il a fallu y venir assez tôt, ma mère demandant sans arrêt dans quelle église on allait faire ça. Ça a créé un petit froid, le temps d’un instant, et puis on a oublié ça, et on s’est remis à célébrer ce grand événement. En tout cas, mes parents ne posaient plus du tout de questions par rapport aux modalités du mariage, ils avaient bien trop peur de ce que je pourrais leur répondre. Ma mère devait tout de même être soulagée que l’on ne se marie pas dans une autre religion. Catherine a appelé ses parents, j’ai appelé mes sœurs. Tout le monde était content, et tout le monde était disponible le 15 juillet; ou ils allaient s’arranger pour l’être. Le sablier pouvait donc officiellement être retourné, le décompte était en marche !

Chapitre 8. La fatwa

On a eu des nouvelles d’Hamid le lendemain. Il est venu nous voir, un peu affolé. Il a cogné à ma porte et m’a demandé d’aller chercher Sean; il devait nous parler de toute urgence. Sean et moi n’étions pas du tout énervés par l’attitude d’Hamid. On était un peu curieux par contre. Hamid nous disait qu’il avait besoin d’aide. Il avait un peu étiré la vérité en ce qui concernait la fatwa et risquait d’être dénoncé. En fait, un ami lointain, un peu intégriste sur les bords, l’avait menacé d’en parler à un imam, et lui annonçait qu’il risquait fort d’être le sujet d’une fatwa, comme Salman Rushdie, s’il persistait avec ses projets de rassemblement. Hamid avait inventé le reste, en se disant que ce n’était qu’une question de temps pour que ça se réalise vraiment. Les journalistes insistant pour obtenir de l’information croustillante en échange du temps d’antenne qu’ils demandaient, il avait présenté la fatwa comme étant une réalité plutôt qu’une possibilité. Encouragé par l’enthousiasme des journalistes, il avait brodé autour de ça afin de leur en donner pour leur argent. Mais la fatwa ne s’était jamais matérialisée. Les imams avaient sûrement d’autres chats à fouetter que de songer à un québécois, fils d’immigrant, en mal de publicité. Les journalistes insistaient maintenant pour en savoir plus. Hamid nous demandait quoi faire. Il ne voulait surtout pas mettre en péril l’organisation du rassemblement à venir à Montréal, celui-ci devait se tenir coûte que coûte. Ça s’annonçait déjà très bien, tout le monde en parlait, des artistes et des politiciens voulaient y participer. On lui a d’abord suggéré de dire la vérité, mais pour Hamid, il n’était pas question de perdre la face aussi tragiquement. On a donc fait un peu de remue-méninges afin de trouver une façon de dire la vérité sans qu’Hamid ne perde trop la face. C’était vraiment amusant, on se sentait comme les conseillers du président Clinton après le scandale Monica Lewinsky. Après plusieurs suggestions, toutes rejetées par Hamid, on a fini par trouver l’option suivante : la connaissance d’Hamid (qui risquait peu de le dénoncer : il était retourné en Algérie pour visiter sa famille pour les prochaines semaines) lui avait annoncé l’existence d’une réelle fatwa, plutôt que de simplement l’en menacer. Il semblait maintenant s’avérer, jusqu’à nouvel ordre, que cette fatwa n’existait pas vraiment. En tout cas, il n’en avait jamais vu la preuve. Mais, il en restait très préoccupé et demandait aux journalistes de vérifier pour lui si cette fatwa existait vraiment ou pas. Ce dernier ajout était d’Hamid, qui en était très fier. Il allait réussir à se sauver la face, tout en gardant l’intérêt médiatique. C’était un as cet Hamid, on le reverra sûrement en politique un jour que je me suis dit. Après ce grand succès, j’ai quand même pris le temps de mentionner à Hamid que sa connaissance m’inquiétait, que ça pouvait peut-être être un terroriste en puissance, et qu’il faudrait peut-être parler de lui à quelqu’un. Il m’a regardé comme si j’étais un extra-terrestre ou un fou fini, et il s’est mis à rire. Je n’ai pas insisté, qu’est-ce que je pouvais faire de plus ?

Il ne nous restait plus qu’à souhaiter bonne chance à Hamid, qui s’en est allé guilleret. À part pour l’amusement du moment, son rassemblement nous laissait vraiment totalement indifférents. Le rassemblement de Montréal était prévu pour le 15 juillet, la même journée que notre mariage. C’est quand même assez comique !

Chapitre 8. Le mariage

Il nous restait à trouver la date du mariage. Pour ça, il fallait trouver une salle. Ça devait se faire un samedi, et dans le mois de juillet. Il n’y avait pas de raison d’étirer les choses. On ne voulait pas de cadeaux, simplement que tout le monde contribue pour rembourser les coûts de l’organisation de la journée. Avec mes contacts à l’université Laval, j’ai réussi à réserver la salle de l’agora du pavillon Alphonse-Desjardins. Les 15 et 22 juillet étaient disponibles. Catou et moi avons choisi le 15, il risquait d’y avoir moins de monde parti en vacances. On faisait l’annonce deux semaines à l’avance, c’était en masse. C’était parfait ! Ça coûtait pas cher, on connaissait la place, il y avait un bar et des cuisines à notre disposition. On pouvait même sortir s’il faisait beau. J’ai poussé l’audace jusqu’à me négocier des vignettes de stationnement gratuites pour les invités. Ceux qui venaient de l’extérieur et voulaient coucher sur place pouvaient profiter des coûts modiques des résidences. Ceux qui avaient un peu d’argent pouvaient s’arranger avec les hôtels du coin. Catherine et moi pouvions accueillir des personnes de nos familles immédiates voulant économiser.

Il n’y aurait pas de voyage de noces, pas avant la fin de la rédaction de ma thèse en tout cas. Comme on avait tous les deux déjà renouvelé nos baux, le 1er juillet approchait vite, on allait continuer d’avoir deux appartements à notre disposition pendant le temps qu’on se chercherait quelque chose de mieux. J’allais sûrement être capable de me trouver un job à Québec dans la prochaine année, en attendant que Catherine finisse sa maîtrise. Si on trouvait quelque chose rapidement, on pourrait toujours sous-louer à des étudiants.

J’ai décidé de ne pas me remettre à la rédaction de ma thèse tout de suite. J’allais m’y mettre à temps partiel à partir du lundi 3 juillet, afin de pouvoir aussi m’occuper des préparatifs du mariage. À ce moment-là, je n’aurai plus ce journal dans les pattes et j’aurai mis un point final à ma saga spirituelle. Le 17 juillet, je me consacrerai complètement à cette thèse, et j’ai bonne confiance de finir le tout au début de l’automne, quelque part en octobre. C’est ce que j’allais annoncer à Alain dans les prochains jours.

En attendant, j’ai lu un peu. Question de me détendre, de me changer les idées complètement. De réaliser qu’il n’y avait pas juste moi et mes problèmes dans la vie, que la terre continuait de tourner. J’ai commencé un livre, Les trois mousquetaires, de la lecture d’été, mais j’ai surtout lu des magazines, que j’ai achetés à la tabagie. Dans L’Actualité entre autres, je trouvais que plusieurs articles étaient écrits par des vieux pré-baby-boomers imbus d’eux-mêmes qui annonçaient des catastrophes à venir, étant donné qu’ils allaient bientôt mourir. Ils pensaient que la société ne pourrait pas survivre à leurs pertes : après moi le déluge ! J’avais envie d’écrire au courrier des lecteurs pour demander à tous ces croûtons de se tasser un peu pour laisser la place aux jeunes. Vous allez voir, on va certainement faire aussi bien, ou aussi mal (c’est selon) que vous. Faites-nous confiance un peu, vieux prétentieux, vieux désabusés ! Je ne l’ai pas fait… peut-être plus tard. En tout cas, on ne parlait nulle part du rassemblement de Québec dans ces magazines. L’événement était probablement trop récent, ou encore pas assez important.

Je suis allé voir Sean le mercredi. Je ne lui ai pas annoncé la grande nouvelle, puisque nous devions garder la primeur pour la fin de semaine. Je lui ai par contre dit que Catherine et moi n’étions plus en break. Il m’a dit qu’il le savait déjà, avec un sourire moqueur me laissant entendre que nos ébats avaient été sans doute un peu trop bruyants. C’était gênant, je suis rapidement passé à autre chose. Sean n’avait pas eu de nouvelles d’Hamid, et de son projet, depuis notre dernière rencontre. Il allait être de retour au lab le lundi 3 juillet, sa convalescence était donc presque terminée. Il se sentait tout à fait capable d’y retourner, il se disait en pleine forme, mais il n’avait pas hâte à cette échéance, puisqu’il n’aurait pas terminé son manuscrit sur l’individualisme conscient d’ici là. Il avait effectivement l’air très en forme, dans les circonstances. Il y avait plein de livres de théologie et de philosophie sur son bureau. Il prenait sa rédaction très au sérieux et se documentait pleinement. Il avait quand même réussi à rédiger une introduction d’une trentaine de pages pendant les derniers jours. J’étais maintenant fixé, il allait de l’avant avec son projet de rédaction. Il allait falloir que j’en tienne compte au moment de décider si j’allais essayer de faire publier mon propre document. Sean m’a demandé de lire son texte.

C’était plate, répétitif, prétentieux, froid, pleins d’analogies assez réussies avec des courants de pensée peu connus. Il parlait un peu de moi, en termes flatteurs, mais de manière assez minimaliste, ce qui m’allait très bien. À ma grande surprise, ce n’était pas très linéaire, un peu pêle-mêle, mais je jugeais que la qualité de l’écriture était bonne ; bien que je ne sois pas un expert en langue anglaise, ni en langue française d’ailleurs. J’étais loin d’être certain que ça allait être publié. Je savais par contre que Sean allait tout faire pour que ce soit le cas. Il m’a demandé ce que j’en pensais. J’ai dit de façon diplomate que c’était un excellent début. C’était effectivement un bon début pour une thèse de philosophie, pas pour un livre grand public. J’admirais sa culture théologique cependant. Je l’ai laissé à sa rédaction, il était clair qu’il n’avait pas besoin de distractions présentement. Il voulait se donner complètement à sa mission d’écriture avant de devoir retourner au boulot. Je lui ai dit que je le verrais lundi prochain, au lab, où j’irais faire un tour… pour inviter tout le monde au mariage bien sûr.

Chapitre 8. 26 juin 2006

Le lendemain, Catherine est arrivée vers 8 heures. Elle avait l’air encore plus inquiet qu’hier. J’avais encore du pain sur la planche pour sauver les meubles. J’avais confiance cependant.

-Et puis, tu me crois maintenant ?

-Oui, je te crois, mais je te trouve pas mal con. Stéphanie ne prend pas ça si mal cependant, c’est ce que ses amies m’ont dit. Elle est déçue, mais elle est déjà en train de planifier qui sera sa prochaine cible semble-t-il.

La chronologie ne semblait pas prendre beaucoup d’importance dans le récit, alors il semblait que je m’en sois tiré. Stéphanie n’avait pas joué la comédie hier, elle n’était pas bouleversée par ma décision. C’était une bonne chose dans un sens, mais dans un autre, mon orgueil se sentait un peu blessé. Il le méritait bien après tout, il avait juste à ne pas s’être enflé autant.

-Tant mieux pour Stéphanie, mais ce n’est pas elle qui m’intéresse en ce moment.

-Je m’excuse d’avoir douté de toi Jeff. Je suis pas mal déçue de ma réaction. J’ai été tout simplement jalouse. Je me demande sérieusement si je suis prête pour le mariage, j’en doute beaucoup.

-De quoi tu parles ? Tu avais toutes les raisons d’être jalouse. Ça méritait des explications de ma part. Tu les as eues et maintenant c’est tout ! On a pas besoin de se culpabiliser pour ça.

-Mais tu ne comprends pas. La période de pause, c’était pour s’assurer que l’on soit prêt pour le mariage. Maintenant, je ne suis pas du tout certaine que je sois prête. La jalousie est un très grave défaut. Il va falloir que je corrige ça avant de m’engager.

Là, j’ai commencé à pogner un petit peu les nerfs. J’avais chaud aux tempes et j’essayais de me contrôler. Je n’allais quand même pas perdre Catherine parce qu’elle se sentait coupable de se fâcher quand je fais des conneries !

-Là, ça va suffire ! S’il faut absolument être certain avant de faire quoi que ce soit, on ne fera rien du tout. Il y en a toujours des risques. S’ils sont mesurés, si le gain potentiel dépasse les risques, alors on y va ! Si tu attends d’être certaine, tu vas attendre longtemps. Fais comme ma vieille tante, entre chez les sœurs et maries-toi avec Dieu ! Avec lui, tu vas être sûre. En plus de ça, dans ce cas-là, c’est moi qui prends le risque, c’est toi qui a ce si vilain défaut. Laisse moi décider si je veux le prendre ou pas, ce risque. Moi, je te dis que je veux le prendre, ce risque. J’en ai plein de défauts moi aussi, alors on ne va pas commencer à faire un concours pour savoir celui qui en a le plus. Moi je les aime tes défauts ! Je t’aime ciboire !

J’étais vraiment en feu. Pendant ma tirade, je voyais une petite étincelle s’allumer dans les yeux de Catherine, elle avait l’air d’aimer ça me voir de même la petite bonyenne ! Même si ça semblait tourner en ma faveur, j’étais vraiment plus capable de m’arrêter. L’adrénaline était sortie et il fallait la consumer.

-Calme-toi Jeff, je comprends ce que tu dis. On a encore quelques jours avant la fin de la pause pour tout régler ça.

-Parle-moi pas du tabarnak de break, je le déclare fini le tabarnak de break ! Je n’en peux plus du tabarnak de break ! Je t’aime, tu m’aimes, on s’aime, on se marie ! Pas besoin d’un break pour comprendre ça !

Elle est partie à rire en disant de manière exagérée :

-Tabarnak !

-C’est pas drôle Catherine, tu m’as mis sur le gros nerf.

-Maudit que je t’aime quand tu te bats pour moi ! Je commençais à croire que tu étais effectivement un peu mou. Finalement, c’est pas du tout le cas !

Et on s’est embrassés passionnément. C’est un autre excellent moyen de brûler un surplus d’adrénaline. Je ne conterai pas la suite, c’est personnel. Mais disons que ça confirmait que le break était enfin fini, on allait se marier.

En écrivant le compte-rendu d’aujourd’hui, j’ai décidé que je finirais ce récit avec l’annonce de notre mariage à ma famille, soit le 1er juillet. On venait de décider de descendre à Montréal pendant cette fin de semaine et d’en faire l’annonce.

Chapitre 8. Y'a des choses à régler

J’avais hâte de parler à Catherine. J’avais décidé de tout lui dire. Après tout, il ne s’était rien passé, et l’histoire s’était conclue positivement pour nous. Elle allait peut-être même être contente et rassurée de voir que j’ai vraiment été au bout de ma réflexion. J’ai attendu à ce matin pour la contacter, comme convenu. Je me demandais à quelle heure il serait convenable de lui lâcher un coup de fil, quand on a sonné à la porte. C’était elle. J’étais pas mal surpris, mais quand même content. Elle m’a demandé de m’habiller et de venir prendre une marche avec elle. Il faisait beau et c’était calme dehors, presque tout le monde dormait ou relaxait à l’intérieur de leurs logis. J’ai enfilé une paire de shorts et un T-shirt; on était parti.

Catherine semblait un peu préoccupée, mais pas trop. Elle était quand même superbe. Il faisait un peu frais ce matin et j’aurais dû m’amener un petit gilet. Catherine avait prévu le coup, elle. Mais je n’allais pas me plaindre, j’étais fait fort. Catherine ne parlait pas beaucoup, alors j’ai essayé de lancer la conversation en lui demandant comment c’était passé sa St-Jean.

-De mon bord, c’était assez banal. Par contre, on m’a dit que ça a été un peu plus excitant pour toi !

Les nouvelles vont vite à Québec. Une chance que j’avais décidé de tout lui dire.

-Pas nécessairement excitant, mais peut-être un peu plus perturbant. Est-ce que tu as su que Stéphanie m’a suivi jusqu’à mon appartement après le spectacle ?

-Non, c’est pire que je pensais ! On m’avait dit que vous aviez dansé collés toute la soirée et qu’elle ne t’avait pas lâché quand tout le monde a quitté les plaines, mais ce que tu me dis là est bien pire !

Elle s’était arrêtée net, s’est tournée vers moi un peu agressivement, et elle parlait un peu fort. À cette heure-là, dans un quartier résidentiel, ce n’était pas vraiment une bonne idée. J’avais presque envie de lui dire de baisser le ton. Mais, je ne crois pas que c’était la bonne tactique à ce moment. Il fallait que je trouve un autre moyen pour la calmer.

-Il ne s’est absolument rien passé Catherine. Oui, on s’est bien amusés ensemble sur les plaines. Oui, ça lui a peut-être donné des idées. Mais quand je lui ai expliqué que je n’étais pas intéressé, elle a relativement bien accepté la chose, et elle est partie.

Je n’avais pas prévu que j’allais choker comme ça. Son regard plein de colère, qui se remplissait d’eau pendant que j’essayais de la calmer, m’a stimulé à tourner les coins plus que ronds pour en arriver à mes fins. C’était correct de ne pas lui parler de la session de partage de salives dans ces conditions, mais de lui dire que j’avais déjà donné son 4% à Stéphanie ! Je cherchais vraiment le trouble. Il n’y avait pas beaucoup de distance entre Stéphanie et Catherine, elles avaient même des amies lointaines communes, sans parler de mes amis à moi, que Catherine connaissait maintenant relativement bien. S’il fallait que Catherine ou Stéphanie apprennent les véritables faits, j’étais fini. Je passais pour un menteur, alors qu’en fait, ce n’était pas le cas. Ma décision était prise, c’était juste que j’avais été trop couillon pour en parler tout de suite à Stéphanie. Maintenant, j’étais trop couillon pour dire à Catherine que j’avais été couillon. J’avais définitivement un gros problème de couilles. J’avais joué au macho en pensant que je pouvais choisir entre deux courtisanes, maintenant je risquais de me retrouver seul avec moi-même. Le pire, c’était que je n’avais même pas réussi à calmer Catherine, du moins très peu.

-Catherine, je t’aime ! J’ai fait ce que tu m’as dit. J’ai profité de ma soirée, et à la fin, je t’ai choisie. Je veux toujours me marier avec toi comme prévu. Je veux toujours que tu deviennes mon unique amante pour la vie.

Maintenant, elle pleurait un peu.

-Je ne sais pas si je peux te croire. Ça semble tellement difficile à croire ton histoire. J’avais déjà eu de la misère à me calmer en pensant à vos danses cochonnes, maintenant j’apprends qu’elle est montée à ton appartement. Pourquoi est-ce que je croirais qu’il ne s’est rien passé ? Pourquoi est-ce que tu l’aurais laissé monter dans ton appart pour qu’il ne se passe rien ?

-Tu l’as dit l’autre jour, je ne suis pas capable de mentir. Je te dis la vérité. Je l’ai laissé monter à l’appart pour pouvoir lui expliquer, et peut-être aussi un peu par mollesse.

-Comment ça par mollesse ?

-J’étais pas capable de la laisser là de manière bête et méchante. J’étais pas capable de saisir vraiment qu’elles étaient ses intentions, alors j’ai préféré attendre avant d’agir. Tu sais, j’avais aussi un peu trop bu.

-Je ne sais pas si je te connais aussi bien que je pensais. Je pensais que tu n’étais pas capable de mentir ; j’en suis moins sûre. Je ne te croyais pas mou, tu me dis maintenant que tu l’es. Je ne sais plus trop quoi penser !? Une chose est sûre, je me trompais d’une façon ou d’une autre, et c’est pas mal inquiétant !

-Écoute, je ne crois pas être mou, mais j’ai eu un passage de mollesse. Ce n’était pas de la mollesse extrême, je n’ai pas profité de la situation. Je te dis qu’il ne s’est rien passé, il faut que tu me croies.

Elle a pris le temps de bien réfléchir. Elle semblait se calmer, mais elle réfléchissait intensément. Allait-elle décider de me croire ?

-Où est-ce qu’elle a couché ? Tu ne l’as quand même pas laissée partir toute seule vers son appartement à cette heure-là.

J’aurais aimé mieux qu’elle ne me pose pas cette question-là. Ce n’était pas le temps que je me cale davantage, la vérité était la seule issue, même si les résultats n’étaient pas garantis.

-Elle a couché chez moi ; elle dans mon lit, moi sur le divan du salon.

-Quoi ? Tu viens de me dire qu’elle était partie après vos explications !

-Les explications ont eu lieu le lendemain matin. On était tous les deux crevés et un peu saouls. Je n’avais pas du tout le courage de la raccompagner chez elle.

Je me rapprochais un peu plus de la vérité, je me sentais un peu plus en confiance. Par contre Catherine n’était toujours pas calmée.

-Elle a passé la nuit chez toi, en pensant qu’il se passerait quelque chose, mais il ne s’est rien passé ? C’est de plus en plus difficile à croire ton histoire !

Plus je me rapprochais de la vérité, plus c’était difficile à croire. J’étais un peu mal pris. J’ai décidé de continuer à dire la vérité le plus possible en espérant que Catherine allait comprendre. Je n’étais pas assez bon en mensonges pour aller vers cette voie. De toute façon, si je voulais avoir une relation à long terme avec Catherine, il fallait éviter les mensonges. Les omissions étaient possibles, mais les mensonges finiraient toujours par ressortir au bout d’un certain temps. Restait à savoir si la vérité n’allait pas m’empêcher de vivre cette relation à long terme si convoitée.

-Je dis pas que c’était une situation confortable Cat, je dis que ça s’est bien fini, sans qu’il ne se soit rien passé. De toute façon, c’est pas toi qui voulait que je pousse ma réflexion jusqu’au bout ?

Oups ! Je venais de manquer une belle occasion de me taire. Juste quand j’allais peut-être la récupérer, voilà que je la reperdais.

-Tu appelles ça pousser une réflexion d’inviter une fille à coucher dans ton lit ?

-Ne joue pas avec les mots. Cette fille a couché seule dans mon lit, moi j’étais ailleurs !

Je commençais à m’échauffer, impatient devant ma propre bêtise. Elle s’est mise à pleurer, en se couvrant le visage, et en se retournant pour que je ne la voie pas. Je ne savais pas trop ce qu’elle pouvait penser.

-Écoute Catherine, je me suis mis dans une situation inconfortable, mais c’était bien involontaire. Ce n’était pas pour prouver quelque chose. C’était par laisser-aller un peu naïf suite à une dure semaine. Reste que je trouve que ça prouve quand même que je suis capable de résister à la tentation. Et si j’ai résisté, c’est parce que j’ai pensé à toi, à nous.

-Je m’excuse de t’imposer tant de sacrifices !

C’était de l’ironie, évidemment !

-Ce n’est pas un sacrifice, c’est une preuve d’amour !

-Trouves-en d’autres la prochaine fois, veux-tu ?

-Oui, je crois que tu as raison. Mais je te jure que je te dis la vérité.

Sauf un tout petit élément, mais l’essentiel était absolument vrai. Je crois qu’elle me croyait maintenant. Mais elle était bouleversée et elle ne voulait pas que je la voie comme ça.

-Je ne sais plus trop, Jeff. Je vais y penser. Je vais y penser toute seule de mon côté, OK? Je te reviendrai demain pour que l’on continue la conversation. Ne me rappelle pas, je viendrai te voir demain matin. Tu vas être là ?

-Oui, je serai là.

Je crois qu’elle voulait y réfléchir à tête reposée, peut-être obtenir une deuxième opinion d’une amie, et me revenir, plus calmement, avec d’autres questions dont les réponses, je l’espère, pourraient finir de la convaincre. Par contre, elle allait peut-être aussi faire une petite enquête, elle en était bien capable. Ce qui faisait que je devais parler à Stéphanie au plus maudit, avant de passer encore pour un menteur et de tout bousiller mes chances de rassurer Catherine. C’est quand même de la faute à son tabarnak de break tout ce qui arrive. Y fallait que ça finisse au plus sacrant cette maudite affaire-là !

J’avais peu de temps à perdre. Il fallait que je trouve le moyen d’annoncer la nouvelle à Stéphanie le plus rapidement possible. Je savais qu’elle n’était pas partie pour la fin de semaine, mais elle pouvait avoir des plans pour la journée. Il était seulement 8h30, si je l’appelais vers 9 heures, je risquais de l’intercepter avant qu’elle ne parte. Je risquais de la réveiller aussi, mais ça c’était secondaire étant donné la situation.

Je trouvais ça chien de lui annoncer ça dans un lieu public. Elle avait le droit de s’exprimer, je n’avais pas le droit de lui imposer le bâillon juste parce que je voulais me simplifier la vie. Par contre j’avais besoin de ne pas être isolé dans un lieu clos, avec elle. Je me disais que pour ma sécurité et la sienne (si elle se mettait à me fesser avec la musculature que j’avais constatée, il faudrait que je me défende), mais encore plus pour m’aider à bien faire les choses, à respirer et à ne pas me sentir contraint, c’était le bon choix. J’ai tout de suite pensé à la cafétéria du pavillon Pouliot à l’université Laval. Même un dimanche matin d’été, j’étais certain que l’on n’y serait pas complètement seuls.

J’ai appelé Stéphanie à 9 heures tapantes. J’allais utiliser un ton très froid, ça allait lui annoncer un peu ce qui s’en venait. Elle a répondu tout de suite, elle ne dormait pas.

-Je peux te voir ce matin Stéphanie?

-Ce matin ? J’avais prévu faire de la planche à voile. Il y a un bon vent sur le fleuve. Je devais partir dans moins de 30 minutes avec Ève. Je crois que tu connais Ève ?

Je connaissais Ève, Catherine la connaissait aussi d’ailleurs, mais je ne savais pas qu’elle faisait de la planche à voile. Je ne savais pas non plus que Stéphanie en faisait.

-Oui, je la connais. Mais j’aimerais te voir quand même. Est-ce que tu peux retarder ta sortie d’une heure ?

-Ça ne peut vraiment pas attendre ton affaire ? C’est à propos de nous ?

-Oui, c’est à propos de nous. J’aimerais mieux que ça n’attende pas.

-Si c’est à propos de nous, alors la planche va attendre. Ton ton me fait un peu peur par contre.

-Ne t’en fais pas. Je suggère que l’on se voit à la cafétéria du Pouliot dans 15 minutes, c’est le temps que ça nous prendra à tous les deux pour s’y rendre.

-Wow, tu es vraiment pressé. Et pourquoi la cafétéria du Pouliot, c’est vraiment moche !

-Je crois que c’est un bon endroit pour pouvoir se parler en paix.

-Tu peux venir chez moi si tu veux !

-Non, je préfère un lieu neutre.

-OK…, je vais être là à 9h15, à tantôt !

J’étais arrivé depuis 2 minutes quand je l’ai vue entrer par la porte principale. Deux barbus un peu étranges buvaient leur café à l’autre bout de la cafétéria. Elle ne semblait pas trop sombre, elle avait plutôt l’air sûre d’elle. Elle m’a souri et est venue me rejoindre. Je pensais qu’elle se douterait de quelque chose, mais maintenant, je n’en étais pas si certain. Elle était belle, mais pas du tout sexy. Bien différente d’hier matin, dans ses jeans et son ample coton ouaté. C’est elle qui a tout de suite pris la parole en arrivant jusqu’à moi.

-Je me dis que ça ne peut être qu’une annonce négative, ou bien encore une demande de précision dans le but de prendre ta décision. Je préférerais la deuxième option, bien que je trouverais assez étrange ce genre de négociation rationnelle quand il s’agit de choisir si on aime, ou si on veut aimer, ou non.

-Malheureusement, c’est la première option qui est la bonne !

Elle ne s’est pas décontenancée du tout. Moi qui pensais être l’homme de sa vie. Je pensais qu’elle allait s’effondrer et m’annoncer qu’elle entrait chez les sœurs. J’imagine que je me surestimais, que mon ego était gonflé à bloc. Il fallait que j’arrête un peu de me prendre pour un autre.

-Bon, malheureusement comme tu dis. Au moins j’aurai essayé et tu ne m’as pas trop niaisée. Je pense quand même que tu passes à côté d’une belle chance.

-Pour ça, je suis d’accord avec toi. Mais je ne suis pas certain l’on fitte très bien ensemble.

-Viens pas me dire que je t’intimide. Je me suis déjà fait dire ça par pleins de gars déjà.

En fait oui, ça faisait partie de ce que je voulais lui dire, plutôt que de mentionner que je la trouvais contrôlante. Je suis donc tout de suite passé au plan B, et je lui ai parlé de Catherine.

-J’ai vu Catherine ce matin, et tout a été clair pour moi. Comme tu dis, ces affaires-là, ça n’a rien de rationnel. Quand c’est clair, tu le sais. J’ai voulu te le dire tout de suite pour justement ne pas te faire niaiser, comme tu dis.

-C’est fini votre break, toi et Catherine, vous reprenez officiellement?!

-Oui, on a même décidé de se marier. À notre façon, sans curé ni juge…

C’était plus un souhait qu’une réalité, mais maintenant, je n’en étais plus à un mensonge près.

-Pis t’as tout décidé ça ce matin ? Quand tu m’as appelé il était même pas 9 heures !

-J’ai vu Catherine à 8h, et comme je t’ai dit, c’était clair. Ça n’a pas pris trop de temps.

-Vos breaks sont longs, mais vos fins de breaks sont rapides en tout cas !… Bon, je crois que l’on a plus grand-chose à se dire. J’espère que tu m’enverras une invitation à ton mariage. Bonne chance!

Elle m’a dit ça tout en se levant. Pendant qu’elle s’éloignait, tout ce que j’ai trouvé à lui dire c’est :

-Bonne chance à toi Stéphanie ! À bientôt !

C’était quand même toute une fille cette Stéphanie. J’espérais bien la garder comme amie et profiter de son énergie. Elle m’a fait un petit bye bye, sans se retourner, et elle est partie. C’était juste ça ! Il n’était même pas encore 9h30. Il me restait juste à mettre fin au break avec Catherine et j’allais retomber sur mes pattes par rapport à ma série de mensonges. J’allais retomber sur mes pattes tout court d’ailleurs. Tabarnak de break à la con !

Chapitre 7. 23...et 24 juin 2006

J’étais pas mal fripé quand la musique de mon réveil m’a réveillé. Mais mon devoir m’appelait.

J’avais hâte de parler à Sean de la nouvelle d’Hamid, je ne savais même pas s’il était au courant. Mais je ne voulais certainement pas en parler devant son père. Il aurait bien pu déchirer son billet d’avion s’il avait entendu parler de ça. De toute façon, je n’avais pas à attendre tellement longtemps, je suis arrivé presqu’à l’heure de l’embarquement, puisque je m’étais déplacé indépendamment des Hastings, dans ma voiture. M. Hastings a pris le temps de me demander de prendre bien soin de Sean. Je trouvais qu’il en mettait un peu trop, mais je m’attendais à ça. Il est parti, la larme à l’œil, presqu’à reculons ; mais il est parti. Ça a semblé soulager Sean qui s’est tourné vers moi avec un grand sourire.

-Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Je lui ai demandé s’il avait entendu parler de l’entrevue d’Hamid la veille. Il m’a dit que non. Il semblait être inquiet de ce que j’allais pouvoir lui dire.

-Hamid dit qu’on a émis une fatwa contre lui, qui demande de le torturer.

Ça l’a écœuré sur le champ. Il ne voulait vraiment plus entendre parler de tout ça. Je lui ai dit ce que Catherine me recommandait de faire à ce sujet. Il y a réfléchi 5 secondes et m’a dit que c’était effectivement ce qu’il y avait de mieux à faire. Qu’il ne fallait pas s’en faire avec ça. Je l’ai invité à se joindre à notre groupe, un groupe de notre lab, pour fêter la St-Jean sur les plaines d’Abraham le soir même. Il m’a dit qu’il préférait rester calme. Que c’était ce que le médecin lui avait recommandé et que ce serait plus sage ainsi. Il m’a ensuite invité à déjeuner, ailleurs qu’à l’aéroport, avant que l’on ne se rende chez nous. J’étais vraiment toujours rendu au restaurant.

*****La soirée de la St-Jean*****

La gang s’est rencontrée devant le parlement. Il y avait une dizaine de personnes, dont Alain, le seul prof, Paul, André et Stéphanie. Hamid n’y était pas, il devait être occupé par l’organisation de son rassemblement montréalais. Il y avait quelques personnes que je ne connaissais pas, sûrement des amis des amis, mais on a même pas pris le temps de se présenter. On s’est dit salut et on y est allé. Le mouvement de foule s’ébranlait, et on ne voulait pas être trop loin de la scène. J’avais un peu peur qu’Alain me demande où j’en étais avec ma rédaction, mais il a été super cool et n’a pas du tout abordé la question. Il m’a parlé de musique québécoise et du programme du spectacle que je n’avais pas pris le temps de consulter. Le groupe Mes Aïeux me faisait tripper, alors j’étais content qu’ils soient là. Évidemment, André en a profité pour nous inonder d’informations inutiles sur la vie des membres du groupe et leur cheminement professionnel. C’était quand même impressionnant toute l’information qu’il réussissait à absorber ce gars-là. J’aurais cependant préféré qu’il la garde pour lui. Seul Paul s’était drapé du fleurdelisé, avec un peu de maquillage en prime ; une fleur de lys sur la joue droite. Les autres membres du groupe étaient habillés normalement, sauf peut-être Stéphanie…

Stéphanie était habillée de manière très sexy. C’était assez surprenant étant donné que l’on était habitué de la voir s’habiller de manière très loose et simple, du style linge de jogging. Ça mettait en évidence ses formes, qui étaient somme toute assez intéressantes, et dont les dimensions m’ont impressionné. Son petit short jean lui faisait un postérieur rebondi très attirant, sans parler de sa petite camisole qui laissait juste assez de place pour l’imagination, mais pas trop. J’avais un peu de difficulté à regarder ailleurs. Stéphanie s’en rendait sûrement compte, car elle en profitait pour être très chatte avec moi. On aurait dit que Catherine me l’avait envoyée pour me mettre au défi. Stéphanie n’a pas trop perdu de temps à me demander où était Catherine. Je lui ai dit que notre période de break n’était pas terminée. J’ai cru comprendre que ça lui avait fait plaisir.

On a passé le début du spectacle à faire des remarques sur les imperfections de la diction et la grammaire du présentateur. Sans aller chercher un expert en diction, on pourrait peut-être s’assurer d’aller chercher quelqu’un qui maîtrise bien la langue française, pour animer un spectacle qui souligne la fête d’une province (pour au moins un certain temps encore) où habite la seule nation francophone d’Amérique. Je sais que c’est facile de critiquer, je ne ferais certainement pas mieux moi-même. À moins de vraiment prendre du temps pour préparer un discours, mon français est truffé d’anglicismes et de mots anglais. Ça me fait mal quand j’y pense !

Cet animateur-là me faisait justement y penser. Alors, on ne se gênait pas pour rire de lui pour se venger. Paul avait le tour de recueillir nos critiques et d’en lancer une synthèse comique, pas trop blessante, tout haut, qui nous faisait rire, ainsi que d’autres spectateurs de notre entourage qui prêtaient attention à nous. Au début du spectacle, c’étaient des groupes moins connus, à tendance folklorique, alors on en a surtout profité pour jaser. Jaser en se criant par la tête bien sûr, puisque c’était la seule façon de se comprendre pendant que la musique jouait. Évidemment, André connaissait ces groupes et nous demandait de nous taire pour qu’il puisse écouter. Je crois qu’André devait passer au moins la moitié de sa vie à demander aux gens de son entourage de se taire. C’était pas comme ça qu’il allait se faire des amis, ni obtenir le résultat escompté d’ailleurs. À chacune de ses demandes, il en avait pour au moins dix minutes à subir nos railleries. Peut-être qu’il aimait ça !

Méchante arnaque commerciale, à ce genre de spectacle, on ne pouvait pas amener de boisson, à part peut-être une bouteille d’eau. La boisson était vendue sur place, à prix raisonnable, dans des verres de plastique, pour éviter les combats de bouteilles. Impossible de s’opposer à un argument si vertueux. Par contre, il devenait bien plus difficile de contrôler ses consommations. Je ne prévoyais pas boire énormément. J’étais venu en autobus, surtout pour éviter les bouchons et par conscience environnementale, pas parce que je voulais éviter de conduire avec les facultés affaiblies. Mais il faisait chaud, et la bière était bonne, alors on buvait sans compter. Les copains se relayaient pour s’assurer que l’on ne se déshydrate pas. Je faisais ma part évidemment, mais j’avais l’impression que Stéphanie en faisait plus que les autres. Elle était vraiment sur le party ce soir-là ! J’en profitais sans arrière-pensée, ce qui a fait que j’étais déjà un peu feeling avant que le soleil ne se couche. C’est seulement après que je me suis demandé si Stéphanie n’agissait pas de manière stratégique. Je savais qu’elle nous fournissait la bière, mais je me demandais si elle en buvait autant que nous. Elle avait l’air pas mal feeling elle-même, mais d’une certaine manière, je trouvais qu’elle gardait un certain contrôle sur sa gang de mâles, ce qui était curieux. L’alcool faisait effet, j’étais complètement désinhibé. Je criais, je chantais et je dansais. Chaque fois que mon mouvement de hanche s’enflammait, Stéphanie en profitait pour transformer mon solo en danse lascive pour couple averti. Je me laissais faire. C’était très enfantin et joyeux. Je me suis permis une main sur une fesse à un moment donné. Elle s’est permis une main sur une cuisse. Main baladeuse d’ailleurs, dont j’ai su rapidement me dégager en faisant un spin impromptu, très apprécié par les spectateurs immédiats. Nos affaires n’ont pas dégénéré, on en est resté à ça. On a continué à boire cependant, danser ça donne soif, ce qui fait que j’avais l’esprit de plus en plus dans le brouillard. Mais j’avais du fun et je ne voulais pas que ça s’arrête.

Maintenant que j’y pense, j’avais complètement oublié les histoires de Sean et Hamid. J’avais aussi complètement oublié l’histoire du break avec Catherine. Peut-être un peu trop, mais on a le droit de se laisser aller de temps en temps. J’avais vécu pas mal de stress ces derniers jours.

C’était maintenant de la musique connue, de musiciens québécois connus pour la plupart. Même si je ne suivais pas la musique d’aussi près que dans mon adolescence, j’arrivais quand même assez bien à suivre les courants principaux. Par la radio, j’avais accès à la musique populaire. Par les journaux, j’avais accès à des critiques de choses moins accessibles. Il m’arrivait d’acheter des CD à l’occasion, et le contenu de mon IPod se renouvelait régulièrement. Je connaissais donc les paroles et je ne me gênais pas pour chanter celles-ci à tue-tête. Comme je chante très mal, j’étais heureux que les amplificateurs de la scène puissent m’enterrer, m’évitant ainsi de me faire trucider par mes voisins. Quand Mes Aïeux sont arrivés, j’étais presque hystérique. C’est quand même incroyable comment l’effet de foule peut nous rendre imbécile. Je rivalisais avec mon entourage afin de leur montrer à quel point j’aimais ce groupe. Je n’avais quand même plus 16 ans ! Mais c’était plus fort que moi. Je me regardais faire et je me trouvais drôle. J’étais une caricature de moi-même. Ma quasi-hystérie était au deuxième degré, mais mon entourage, lui, ne le savait pas. On m’a envoyé quelques regards du genre « coudonc-y’est-complètement-saoul-pis-y-nous-fait-honte », ce qui m’a un peu calmé. J’ai continué à danser, avec ou sans Stéphanie, de manière moins lascive, plus festive, et les regards ont cessé.

Le spectacle se terminait à minuit. À ce moment-là, on s’est souhaité une bonne St-Jean-Baptiste, et les organisateurs ont allumé le feu de joie, un peu plus loin sur les plaines. Je me souviens vaguement que le bec de Stéphanie a été assez intense et qu’elle ne décollait pas vite, mais sans plus. Paul et quelques-uns de ses amis se sont rendus au feu, et les autres se sont dirigés vers la sortie pour retourner à la maison. Paul nous trouvait très casseux de party, mais il n’a pas trop insisté. On s’est rapidement perdus de vue, sauf Stéphanie, qui ne me lâchait pas. On allait prendre le même autobus et elle m’avait choisi comme chaperon dans cette foule bruyante et parfois inquiétante. Je n’étais pas le chaperon le plus solide, je titubais un peu sous l’effet de l’alcool, mais le fait de sortir du cocon de la foule m’avait un peu dégrisé, et j’avais suffisamment repris mes esprits pour savoir où je m’en allais. Le petit vent froid qui pénétrait parfois dans les rangées de monde ne nuisait pas non plus à mon dégrisage. J’ai constaté du coin de l’œil l’effet qu’avait laissé ce petit vent froid sur les mamelons de Stéphanie, mais je me suis forcé à détourner la tête. On marchait à travers un lit de verres de plastiques qui jonchaient le sol des plaines. Des jeunes s’amusaient à se tirailler, partageant involontairement quelques claques et quelques poussées avec nous. Des hommes, incapables d’attendre, se vidaient la vessie où ils pouvaient, les toilettes chimiques étant débordées (dans le sens d’une longue file d’attente ; en tout cas, j’espère que c’était juste ça). Des personnes saoules mortes étaient recherchées par les ambulanciers en tournée. Certaines personnes étaient malades, beaucoup plus semblaient sur le point de l’être. La plupart des gens étaient dans un état normal et civilisé, mais on ne les remarquait pas, ceux-là. C’était pas très édifiant comme spectacle et j’avais juste hâte de partir. Ça nous a pris environ une heure pour nous rendre à notre arrêt d’autobus. À ce moment-là, Stéphanie était déjà pendue à mon bras. Elle semblait frigorifiée et très fatiguée. On ne se parlait pas, j’étais en mission pour rentrer à la maison et l’aider à faire de même. Comme on attend pas l’autobus en rang à Québec, il a fallu se battre pour arriver à trouver de la place dans le troisième autobus auquel on a tenté d’avoir accès. À l’intérieur de l’autobus, nous étions toujours en tapon, mais c’était moins grouillant et bruyant. Il y a eu un soupir de soulagement quand l’autobus s’est mis en marche et que l’on a senti un peu d’air se rendre jusqu’à nous.

Même si Stéphanie n’était sûrement plus frigorifiée, elle ne me lâchait toujours pas. Elle m’a souri, et je lui ai souri. On ne se parlait toujours pas.

Avec environ 8 pouces de différence de taille, quand on est collé comme des sardines, c’est difficile de se parler.

Je ne voulais pas lui infliger un torticolis. J’ai senti d’autres contacts sur ma cuisse, mais je ne savais pas si ça provenait de Stéphanie, volontairement, ou d’autres voisins, involontairement. Comme le contact a cessé, j’ai décidé de l’ignorer. Les gens descendaient petit à petit, ce qui nous laissait plus de place pour respirer. Notre arrêt était presqu’en bout de ligne, proche de l’université Laval. On a pas pu s’assoir, mais on était presque les seuls à être debout lorsque mon arrêt est venu. Un peu avant, j’ai dit à Stéphanie que je descendais au prochain arrêt. Elle m’a dit OK. Quand je me suis penché pour lui donner un petit bec de bonsoir avant de sortir, elle m’a dit qu’elle venait avec moi. Je n’ai pas eu le temps de protester, puisqu’il était temps de sortir, alors nous sommes rapidement sortis ensemble.

-Ton arrêt est un peu plus loin non ?

-Oui, mais j’ai le goût de marcher un peu. On peut passer par chez toi non ?

Je ne savais pas si elle voulait dire que mon bloc appartement était sur son chemin, ce qui était le cas, ou si elle voulait plutôt passer à mon appartement. Je n’ai rien dit. J’étais un peu confus. J’y ai pensé intensément par contre. Que faire si ce qu’elle voulait était de monter à mon appart ? À un moment donné, j’étais plus capable de penser, j’ai craqué et je me suis dit qu’il m’était impossible de réfléchir correctement dans l’état où j’étais. J’allais laisser faire les choses, et on verrait bien.

De toute façon, dans l’état où j’étais, il ne pouvait pas se passer grand-chose du côté de mon organe, si vous voyez ce que je veux dire.

Au pied de mon bloc, je lui ai demandé ce qu’elle faisait. Elle m’a souri et m’a fait signe de monter, en s’attachant à mon bras. Je n’ai pas souri en retour, mais je suis monté, la laissant se pendre à moi avec de plus en plus d’affection. En débarrant la porte, je lui ai dit de ne pas s’imaginer qu’il se passerait quelque chose. Elle m’a dit « Non ! non ! » avec un petit sourire coquin qui voulait dire qu’elle n’en croyait rien. J’ai encore laissé faire, je crois que je n’avais pas la force de protester. Je ne suis même pas certain que j’avais le goût de protester. Après être entré, je lui ai demandé si elle voulait quelque chose. Elle m’a dit qu’elle voulait un verre d’eau. C’était une excellente idée, et je l’ai accompagnée. J’avais peur qu’elle me demande un scotch ou quelque chose du genre. En plus du fait que je n’en avais pas, j’aurais tout de suite compris ses intentions machiavéliques. Mais elle était plus subtile que ça cette Stéphanie, malgré ce que j’avais toujours cru d’elle.

En buvant notre verre d’eau, sur le sofa du salon, elle a commencé à me jaser de choses et d’autres. Comment elle se sentait femme lorsqu’elle s’habillait comme ce soir, comment elle avait apprécié danser avec moi, comment elle était agréablement surprise par mes déhanchements de danseur. Je l’écoutais à moitié. Je n’avais pas tout mon esprit, et j’étais très fatigué. J’avais concentré ce qui me restait de lucidité et d’énergie pour m’assurer de me rendre jusqu’à mon lit. Maintenant, malgré la présence de Stéphanie, je relaxais. Je ne lui répondais presque plus lorsqu’elle me parlait, ce qui ne semblait pas du tout l’empêcher de continuer, calmement, régulièrement, comme une mère qui conte une histoire à son enfant pour l’endormir. À un moment donné, j’ai fermé les yeux. Je ne dormais pas, en tout cas pas tout à fait, mais j’ai fermé les yeux. Elle ne s’en est pas offusqué et elle a continué de jaser, je ne me rappelle plus très bien de quoi. Ensuite, je me souviens qu’elle m’a embrassé, doucement au début, puis avec de plus en plus de passion. Je lui ai remis ces baisers, mais sans jamais ouvrir les yeux. C’était bon, c’était doux. Je ne sais pas trop combien de temps ça a duré, mais ça a duré un certain temps. Je me suis retrouvé couché sur le divan, elle par-dessus moi. Ses mains se limitaient à me caresser le visage et les cheveux pendant qu’elle m’embrassait. Je l’entendais qui chuchotait parfois Jeff, oh Jeff ! d’où se dégageait une certaine surprise et une certaine joie, lorsqu’elle prenait le temps de reprendre son souffle. En ce qui concerne mes mains, je crois qu’elles s’accrochaient mollement à elle, de manière assez statique, probablement à sa taille. J’ai gardé un souvenir nébuleux de sa peau douce, et d’un corps musclé et en mouvement. Après, je ne me souviens plus de rien. Je crois que je me suis endormi pendant qu’elle m’embrassait, si c’est possible. Ou bien encore, elle a ralenti le rythme de ses ardeurs et m’a laissé dormir.

J’ai très bien dormi. Je me suis réveillé couché sur le divan, encore habillé, avec une couverture sur moi. J’ai tout de suite pensé à Stéphanie. J’avais encore le goût agréable de sa bouche dans ma bouche. J’étais en érection. La culpabilité s’est emparée de moi. J’ai fait de gros efforts pour me remémorer ce qui s’était passé. Avec la conviction que nous n’étions pas allé plus loin que quelques baisers langoureux, je me suis tranquillement levé, sans bruit, afin de savoir si Stéphanie était encore dans les parages. Je n’avais pas trop la gueule de bois pour un lendemain de veille. Stéphanie n’était nulle part dans le salon. Je me disais par contre qu’elle devait être chez moi, car il n’aurait pas été prudent pour elle de se rendre à son appartement toute seule, à l’heure qu’il était. D’ailleurs, j’aurais dû penser à ça lorsqu’elle est descendue à mon arrêt. Après un petit détour, un peu désagréable, pour me vider la vessie, je suis allé voir dans ma chambre. Stéphanie était-là, dans mon lit, bien emmitouflée sous mes couvertures. J’ai cru qu’elle était toute habillée puisque je ne voyais ses vêtements nulle part. Elle semblait très confortable, alors, je ne l’ai pas réveillée. Je suis allé me verser un bon verre d’eau froide, sachant que c’était la seule façon de m’éviter un mal de tête. C’était aussi une bonne façon de reprendre mes esprits et de décider de la suite des choses. Il était 8 heures du matin, j’avais suffisamment dormi pour avoir toute ma tête. J’allais laisser Stéphanie dormir jusqu’à 9 heures. Si elle se levait avant, on pourrait se parler et s’expliquer, surtout sans se toucher, et Stéphanie retournerait chez elle sachant à quoi s’attendre pour l’avenir. Je ne sais pas si cette conversation allait être difficile ou pas, mais de toute façon, je serais ferme et la conclusion serait la même, quoi qu’il arrive. Si à 9 heures, Stéphanie dormait encore, j’allais la réveiller doucement (je ne pouvais quand même pas rester sans rien faire, à l’attendre, tout l’avant-midi), mais surtout pas de manière câline, sans lui toucher, et l’explication prévue suivrait. Je me suis donc préparé pour une attente d’une heure. Sans trop faire de bruit, je ne voulais quand même pas être impoli, mais sans faire trop attention non plus, puisque je préférais qu’elle se réveille par elle-même, je suis allé me chercher une bonne bande dessinée et je me suis versé un verre de jus d’orange. J’allais prendre mon déjeuner avec Stéphanie pendant notre discussion. Si elle mangeait, ça la forcerait à arrêter de parler de temps en temps et ça risquait de m’aider à rendre la conversation plus civilisée ; du moins, c’était ce que mon intuition me dictait. Pour faire durer une bande dessinée, que j’avais déjà lue, pendant une heure, il fallait que j’étire un peu le processus. Je me suis forcé à regarder en détail les dessins dans toutes les cases, et ça n’a pas été trop pénible. J’ai même découvert de nouvelles choses pas mal rigolotes et intéressantes, dans quelques cases, comme deuxième niveau à ce que j’avais déjà remarqué. Stéphanie ne s’est pas réveillée. Il était 9 heures, je n’avais plus le choix. Un peu malgré moi, je me suis rendu dans ma chambre pour accomplir la tâche ingrate prévue.

Quand je suis entré, Stéphanie m’a regardé, elle m’a dit doucement : « je t’attendais ». Elle a soulevé délicatement les couvertures, et je l’ai vue, toute nue, un magnifique sein rose et rebondi à ma vue et à ma portée ! Sur le coup, j’ai presque oublié mes bonnes résolutions. Mon premier réflexe a été de me diriger vers elle, vers ce sein qui m’appelait, mais je me suis retenu. Stéphanie semblait penser que le dossier était réglé. Les baisers langoureux de la veille avaient scellé le pacte, nous étions maintenant un couple. Elle se trompait lamentablement, mais comment lui dire ?

-Je crois qu’il faut qu’on parle, Stéphanie. Rhabille-toi et viens me rejoindre dans la cuisine, je vais te préparer un petit déjeuner.

J’ai dit ça le plus froidement possible, mais il était évident que j’avais un trémolo dans la gorge.

-Jeff, ne me dit pas que ce qui s’est passé hier ne veut rien dire ? Quand on s’embrassait, ce n’était quand même pas rien ! Des baisers aussi agréables, ça signifie qu’il y a une chimie. On ne peut pas aller contre la nature !

C’est vrai que ces baisers étaient particulièrement bons ! En plus, elle disait ça en s’assoyant sur le lit, sans couvrir sa poitrine. Elle était magnifique, encore plus que Catherine. Ses seins se tenaient admirablement, malgré leur grosseur respectable. Et c’étaient des vrais, il n’y avait pas de doute. Elle était musclée des épaules, des bras et de l’abdomen ; pas de six-pack, mais pas loin. Elle devait s’entraîner beaucoup plus que ce que je croyais. J’ai flirté avec l’idée de profiter d’elle, juste une fois, sachant que ça n’irait pas plus loin, mais j’ai résisté. Je ne sais pas trop pourquoi. La pudeur prenait le dessus sans doute.

-Stéphanie, c’est vrai que c’était bon, c’est vrai qu’il y avait sans doute une chimie physique, mais ça va prendre plus que ça pour que je quitte Catherine et me retrouver avec toi. Tu es magnifique, pas de doute, mais STP habille-toi pour que je réussisse à contrôler l’animal en moi.

Évidemment, elle ne m’a pas écouté. J’avais une nouvelle érection qui se pointait à l’horizon !

-Tu veux discuter pour me dire que ça ne marchera pas entre nous, ou pour que l’on puisse voir si ça peut marcher entre nous ? Il me semble que l’on a bien mérité de se laisser une chance! Physiquement, c’est si puissant, et on est déjà des amis ! Il ne manque pas grand-chose pour que l’on puisse avoir quelque chose de très bon ensemble, et pour un bout de temps.

Elle avait peut-être raison ! Même en pensant à Catherine, je la voyais qui me disait d’aller jusqu’au bout dans ma réflexion. Il fallait être sûr. De toute façon, si je ne voulais pas que Stéphanie me saute dessus, nue comme elle était, je devais profiter de la porte de sortie qu’elle m’offrait. En plus, je ne pouvais pas dire non à ses deux beaux seins qui me regardaient dans les yeux.

-Tu as raison, on va se parler, pour mieux se connaître, pour voir si vraiment ça pourrait marcher nous deux, comme couple.

Elle s’est tout de suite calmée. Sachant que je n’étais pas insensible à sa beauté charnelle, elle s’est levée avant que je n’ai eu le temps de sortir de la chambre, tout en disant :

-OK, qu’est-ce que tu me prépares pour déjeuner ?

En me rendant à la cuisine, lui faisant dos, je lui ai dit :

-J’ai des œufs, je peux te faire une omelette au fromage avec des toasts, est-ce que ça te va ?

Elle ne m’a pas suivi, elle a plutôt commencé à s’habiller. Elle a dit OK et m’a demandé de lui préparer un jus d’orange avec ça. Une chance qu’elle ne m’a pas demandé une assiette de fruits, j’avais presque rien dans le tiroir à fruits du frigo. D’après le corps que j’ai vu, elle devait manger plus souvent des fruits que des omelettes pour le petit déjeuner.

J’étais encore en train de préparer l’omelette quand elle est venue me rejoindre dans la cuisine. Elle m’a frôlé et donné un petit bec sur la joue avant de s’assoir à la table. J’ai vraiment vécu un moment d’angoisse quand je l’ai senti se diriger vers moi. Ma pré-érection était toujours présente et ce petit bec n’a rien fait pour aider. Maintenant que j’avais vu ce qui se cachait derrière, ses vêtements serrés ne servaient plus que d’éléments d’agacement supplémentaire. J’avais hâte de pouvoir me calmer complètement, j’ai pris quelques grandes respirations et décidé de ne la regarder que dans les yeux pendant notre conversation.

Après une petite gorgée de jus, Stéphanie a pris la parole. Elle avait une mission de vente à accomplir, et elle n’allait pas rater sa chance. Elle semblait calme, mais résolue. Elle m’a expliqué qu’elle pensait que nous avions beaucoup de choses en commun. Nous étions sportifs, nous aimions la technologie, nous n’étions pas superficiels, ni matérialistes. Nous avions les mêmes goûts musicaux, du moins certains. Surtout m’a-t-elle dit, nous étions des gagnants.

-Qu’est-ce que tu veux dire par là, Stéphanie ?

-Je te vois aller. Tu n’es pas le genre à te contenter de faire juste le nécessaire. Tu essaies de briller. Tu as obtenu plusieurs publications pendant ton doctorat. Tu peux utiliser ça pour te trouver un super job, payant et stimulant.

-Et toi, pourquoi es-tu une gagnante ?

-Moi, après ma maîtrise en sciences, je vais faire un MBA. Je ne veux pas me contenter d’être une assistante de recherche, je veux être une femme d’affaire avertie. Je vais réussir dans les hautes sphères de la société. En plus, je vais faire le nécessaire pour que l’homme à mes côtés réussisse également aussi bien, sinon mieux. Je veux être un accélérateur pour sa carrière plutôt qu’un frein. Je veux que l’on soit un couple modèle. Je nous vois bien, ensemble, réussir à l’échelle internationale.

-Je ne suis pas certain que l’on ait la même notion de la réussite. Moi, j’ai une nette tendance socialiste, et je suis plutôt du genre famille, plutôt que carrière.

-Si tu veux vraiment aider les autres, il faut que tu te donnes des moyens, du pouvoir. Pour ce qui est d’avoir une famille, je suis parfaitement d’accord. Ça va se faire après que l’on ait eu l’occasion de nous positionner dans la vie, mais avec la capacité et la volonté, ça peut se faire rapidement.

-Qu’est-ce que tu voudrais faire au juste après ton MBA ?

-Peut-être travailler pour une firme de placement boursier en me spécialisant dans l’évaluation de sociétés technologiques. Il parait que c’est très payant et que c’est un excellent moyen de se construire un important réseau de contacts.

-Mais il n’y a même pas de bourse au Québec. Il faudrait t’expatrier !

-Peut-être pour une courte période de temps. Mais il y a des firmes de placement à Montréal. De toute façon j’aimerais bien vivre quelques années à New York, ça me semble exaltant !

-Tu sais Stéphanie, moi le système boursier, je ne l’aime pas beaucoup. Je trouve que c’est trop basé sur la spéculation. C’est tout à fait artificiel. C’est une anomalie extrémiste du système capitaliste. Ça pousse le principe de l’offre et de la demande trop loin. Pendant que quelques courtiers s’amusent à jouer comme au casino, il y a des gens qui perdent leurs jobs. Il y a des conséquences réelles, sur des gens réels suite à ces spéculations artificielles ; ces jeux pour homme d’affaires pleins aux as. Des fois, je me dis que la solution serait d’abolir les bourses monétaires. Revenir aux bases du système capitaliste, limité à des échanges de biens réels.

-Mais comment peux-tu remettre en question le système économique occidental? Tu es loin d’être un expert il me semble ?

-C’est vrai, je suis loin d’être un expert et peut-être que ce que je dis n’a pas d’allure. Par contre, je trouverais sain que l’on remette en question ces grandes institutions de temps en temps, plutôt que de les voir comme des incontournables. Tu sais, tu es loin d’être une experte toi-même, et pourtant tu appuies ce même système économique sans condition. Tu ne peux pas plus y souscrire, que moi je peux le remettre en question, puisque nous ne savons pas exactement de quoi il s’agit.

-Je vais le savoir sous peu moi, je vais faire un MBA.

-C’est vrai, tu fais ce qu’il faut pour ne pas parler à travers ton chapeau. Par contre, je ne suis pas certain que le MBA est un exercice de réflexion sur le système capitaliste. C’est plutôt l’incubateur des futurs grands exploitants du système capitaliste non ?

-Avec toi, il n’y a jamais de conversations ordinaires. C’est ça que j’aime, tu veux voir plus gros, plus loin ! Tu veux changer le monde ! Il ne faut pas gaspiller une intelligence comme la tienne. Si j’étais là pour te guider, tu pourrais faire de grandes choses avec cette intelligence, pas juste quelques publications scientifiques, de grandes choses. Ça te prend quelqu’un pour t’aider à atteindre ton potentiel. Je peux t’aider. Avec moi, tu pourras les atteindre tes idéaux de justice sociale et de paix dans le monde. Les rassemblements de Sean et Hamid, c’est de la petite bière. Je nous vois ensemble, dans quelques années, faire partie des décideurs de ce monde. Plutôt que de manifester dans la rue, on pourra agir, directement, pour faire changer les choses.

-C’est beau, ce que tu dis, mais on ne se rendra jamais au sommet en défendant des idées de justice sociale. Il y a trop de monde qui risquent de perdre leurs places, ils ne nous laisseront pas passer comme ça.

-Jeff, il faut être plus futé qu’eux, la fin justifie les moyens. C’est pour ça que tu as besoin d’être guidé. Tu es intelligent, mais un peu trop naïf. Moi, il n’est pas question que je me contente d’une petite vie. Ensemble, je suis certaine qu’on va faire de grandes choses. Ça te semble pas une vie plus excitante que ce que peux t’offrir Catherine ?

-Peut-être, mais peut-être pas une vie plus heureuse.

-Le bonheur, c’est de se dépasser Jeff ! En faisant du sport, je sais que tu as compris ça.

Je n’avais plus aucun signe d’érection. Sa façon de parler me donnait froid dans le dos. C’était définitivement une femme contrôlante. Ça n’aurait jamais marché pour moi avec une femme comme ça. En plus, je l’imaginais bien, si elle ne réussissait pas à devenir le magnat de l’industrie qu’elle espérait (et les chances n’étaient pas de son côté, il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus) devenir une femme frustrée et aigrie. Si son mari n’obtenait pas la promotion qu’elle souhaitait pour lui, elle allait sûrement l’engueuler ; ou harceler son patron. J’avais même l’impression de parler à une républicaine américaine, ne jurant que par le système capitaliste et le pouvoir des riches. Elle m’avait effectivement rapidement convaincu. Elle m’avait convaincu à quel point j’étais bien avec Catherine. Je pouvais certainement continuer de la considérer comme une amie, son discours était intéressant, sa fougue était contagieuse ; mais certainement jamais comme une conjointe. Pour son corps, j’en ferais mon deuil. Juste à l’imaginer vouloir me contrôler, me guider jusque sous les couvertures, et j’avais presque envie de courir jusqu’à Catherine en criant au secours, pour qu’elle me sauve des griffes de Stéphanie !

-Tu es pensif Jeff. Est-ce que ça te donne des idées tout ça ? Tu devrais peut-être aussi faire un MBA, comme moi ? On pourrait étudier ensemble.

C’est quand même le comble de l’égocentrisme quand on pense que ce qui est le mieux pour l’autre, c’est ce que l’on a choisi de faire nous-mêmes.

Maintenant, il s’agissait de trouver le moyen de me sortir de cette conversation-là. Il était évident que Stéphanie croyait être sur la bonne voie pour m’attirer à elle, alors qu’elle venait tout juste de m’éloigner d’elle à jamais. Peut-être qu’il était trop tôt pour prendre une décision si drastique, peut-être que j’étais mieux d’y penser ? Peut-être que j’avais juste pas le goût, ni le courage, de régler ça tout de suite, et que je voulais gagner du temps pour mieux préparer le terrain ?

Stéphanie, me voyant encore pensif, s’est rapprochée de moi. Elle y allait pour le coup final, elle allait m’achever d’un de ses puissants baisers. Le baiser m’intéressait, mais je ne pouvais pas jouer à ce jeu-là sans en payer le prix. J’ai tout simplement, rapidement, mais pas brusquement, sorti le bras pour la retenir en l’effleurant. Je me suis trouvé pas mal bon dans les circonstances, de réussir à l’arrêter, sans qu’elle ne se sente brusquée. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas précipiter les choses. Que ce n’était pas l’envie de l’embrasser qui me manquait, mais que je devais penser à ce que l’on s’était dit avec la tête froide, avant de décider si c’était avec elle ou avec Catherine que je voulais faire ma vie. En m’écoutant, j’ai trouvé que cette remarque faisait très macho, mais ça a semblé être relativement bien accepté par Stéphanie, qui a mis un frein à sa tentative d’accolade.

Elle m’a dit calmement :

-Elle est encore dans le coup Catherine ? Des périodes de break qui s’étirent comme ça, ça veut tout dire habituellement ! Peut-être que tu ne réalises pas toi-même que c’est déjà fini avec Catherine.

Tout ce que j’ai trouvé à dire, c’est un banal mensonge.

-Peut-être !

Elle semblait donc encore très confiante que mon cœur penche de son côté. Raison de plus pour se donner du temps, pour bien préparer l’annonce de ma décision que je lui ferai sous peu. On a continué la conversation calmement, sur des sujets moins chauds. Elle était toujours aussi cajoleuse, mais étant confiante, ne voulait pas me brusquer comme je le lui avais demandé. Moi, sachant déjà ce qui s’en venait, je pouvais tout simplement apprécier sa compagnie et discuter avec elle sans arrière-pensée. Je n’avais pas à décider de la manière dont je procéderais. Je pouvais profiter de cette conversation pour dire adieu à ce corps magnifique que j’avais eu à ma portée. Je lui ai demandé de me donner quelques jours pour bien réfléchir à la question et lui revenir avec une réponse définitive. Je lui ai demandé d’y penser aussi de son bord. Elle m’a dit que de son côté, c’était déjà tout réfléchi et qu’elle ne ferait que m’attendre. On s’est entendu pour se recontacter, au plus tard, lundi prochain. J’ai eu droit à un beau gros bec (sur la joue!) et un câlin, et elle est partie en me souhaitant une bonne réflexion. L’accolade m’a laissé à peu près froid, ce qui me semblait me confirmer que j’avais pris la bonne décision.

Chapitre 7. 22 juin 2006

Après une journée de pseudo-écriture de thèse (je passais mon temps à écrire, effacer, puis réécrire le même paragraphe, sur le même sujet), j’ai pris la peine de regarder le bulletin de nouvelles de TVA. J’ai été assez impressionné de voir qu’Hamid faisait les manchettes. On y disait que l’organisateur du rassemblement avait été menacé de torture par un groupe extrémiste islamique. Qu’est-ce que c’était que ça ?

Après une histoire de trafiquants de drogue dont on a découvert le butin, on en est venu tout de suite à Hamid et son entrevue en direct. Il avait l’air plutôt sombre par rapport à ce qu’on avait vu de lui lors du souper de la veille. Il disait qu’une fatwa avait été émise contre lui, par un imam radical, suggérant qu’il méritait la torture pour son rôle dans l’organisation du rassemblement pour la paix. Ce rôle atténuerait la portée du message de la religion musulmane, en le mettant au même niveau que l’athéisme et d’autres croyances incultes dangereuses. La fatwa indiquait aussi qu’Hamid semblait accuser l’Islam de certains torts dans les conflits en cours avec l’Occident, alors qu’il n’en était que la victime. La conclusion indiquait que ce genre d’attitude n’est pas acceptable chez un frère arabe, et qu’il fallait agir afin de punir l’infidèle. Le plus bizarre dans tout ça, c’est qu’il disait qu’il avait reçu cette fatwa hier après-midi, donc avant notre rencontre de la soirée. Il n’avait certainement pas l’air affecté par des menaces lorsque nous avons soupé ensemble ! L’imam ayant émis la fatwa n’était absolument pas identifié. Aucune deuxième source, ou témoin ne venait confirmer les propos tenus par Hamid à ce sujet. Celui-ci n’hésitait pas, par contre, à dire que le rassemblement de Montréal se tiendrait quand même, et que jamais il ne renoncerait à suivre ses convictions sous la menace. Il disait qu’on avait tort de le percevoir comme un infidèle, qu’il était un fier musulman et que sa démarche se voulait constructive, autant pour les musulmans, que pour les croyants en d’autres religions, ou même les incroyants, qui n’ont pas à se considérer comme des ennemis entre eux. Le journaliste qui lui faisait passer l’entrevue semblait bien impressionné par son courage, et lui demandait s’il avait peur. Il a répondu qu’il ne pouvait se permettre d’avoir peur et qu’il se sentait protégé par Dieu. Le journaliste lui demandait comment il pouvait accepter de partager ses efforts avec des non-croyants, alors qu’il était un fier musulman. Hamid a répondu qu’il savait que ces non-croyants avaient tort, et manquaient certainement l’amour de Dieu dans leurs vies, mais qu’il ne pouvait les changer de force, et qu’il se devait d’être tolérant envers eux ; d’autant plus qu’ils étaient moins avantagés que ceux qui ont vu la lumière. Ayoye, c’était quasi-mystique son affaire, et pas mal arrogant ! En tout cas, il semblait moins sombre qu’au début de l’entrevue. Surtout quand le journaliste lui a demandé de préciser la nature du rassemblement qui causait cette réaction de la part de certains représentants islamiques. À ce moment-là, il a semblé retrouver tout son aplomb et a lancé son discours bien huilé au sujet de la date et du lieu du rassemblement montréalais, l’annonçant comme une suite du succès du rassemblement de Québec ayant eu lieu la semaine dernière. Je trouvais que ça ne sentait vraiment pas bon, cette affaire-là ! Hamid serait-il capable de lancer une nouvelle mensongère simplement par soif de publicité pour son rassemblement ? Ça ne me semblait pas croyable. D’autant plus qu’Hamid se mettrait en danger lui-même en annonçant une fatwa contre lui, que ce soit vrai ou pas.

En tout cas, pour la publicité, ça marchait ! En voulant en savoir plus sur la nouvelle, j’ai écouté les autres postes de télévision et j’ai fouillé sur le web. La nouvelle était reprise comme un sujet divers par les autres postes, alors que l’on en parlait déjà abondamment sur le web, dans différents blogues, ou simplement comme une reprise de la nouvelle. Par contre, pas plus de détails, d’explications ou de confirmation quant à l’affirmation d’Hamid. Celle-ci n’était pas non plus remise en question. On vantait à l’unanimité le courage et la détermination du jeune homme, et on dénonçait le groupe islamique intégriste ayant émis cette fatwa. Mais qui était ce groupe islamique que l’on dénonçait avec autant de véhémence ?

Il fallait que j’en parle à quelqu’un ! Sean n’étant pas disponible, j’ai pensé à Catherine. Même si relancer ce sujet avec elle n’était pas la chose la plus habile à faire en ce moment, elle était la mieux placée pour me comprendre, m’aider et me calmer.

Catherine était chez elle. Quand elle a répondu, elle m’a tout de suite dit qu’elle pensait justement à moi et qu’elle voulait m’appeler pour m’inviter à souper en quelque part. C’est vrai, avec tout ça, j’avais complètement oublié que c’était l’heure du souper. Je lui ai dit que c’était une bonne idée, et je lui ai demandé où elle voulait aller. Elle a sûrement senti la tension dans ma voix, car elle m’a demandé ce que j’avais. Je lui ai demandé si elle était au courant pour Hamid et la fatwa. Elle m’a dit que oui, elle venait tout juste de recevoir un coup de téléphone d’une amie qui lui en avait parlé, se rappelant qu’elle connaissait ce gars-là, par mon intermédiaire. Elle trouvait ça bien plate, mais disait que ce n’était pas de nos affaires. Alors, je lui ai dit que j’avais des raisons de penser qu’Hamid avait inventé cette histoire de toutes pièces. Ça ne lui a pas plu. Elle m’a demandé si j’étais en train de recommencer la même hystérie que j’ai vécue avec l’initiative de Sean. Je lui ai dit que non, mais que je voulais quand même lui en parler, pour me faire confirmer que je divaguais.

Comme le fast food était maintenant hors de question pour Catherine, qui disait en avoir abusé ces derniers temps, on s’est rendu dans une sandwicherie à la mode. Au prix où ils vendaient leurs sandwichs, ma bourse de recherche allait y passer si je revenais trop souvent. C’était très minimaliste et très froid comme décor. On se serait cru dans une cafétéria, mais avec les murs de couleurs vives, des peintures abstraites sur ceux-ci, et des serveuses relativement sexy, mais avec beaucoup de classe.

C’est quand même bizarre qu’on associe la bouffe santé à un décor froid et urbain, alors que je l’associe bien plus naturellement à un jardin de campagne. Est-ce plus une question de mode qu’une question de santé ? En tout cas, c’est certain que c’est une question de profits.

De toute façon, j’avais pas le goût de parler du décor avec Catherine, je voulais lui parler de cette possible fraude médiatique. Catherine n’a pas bronché quand je lui ai fait part des observations qui avaient mené à mon doute. Elle m’a demandé ce que je pensais faire si jamais j’avais raison, si c’était vraiment un mensonge. Je n’y avais pas vraiment pensé à celle-là. Je n’allais quand même pas le dénoncer ! Donc, je ne ferais rien, donc pourquoi en parler ? Parce que ça me faisait du bien, c’est tout. Parce que je voulais savoir si ma réflexion avait de l’allure ou si j’étais un peu paranoïaque. Parce que je considérais Hamid comme un ami et que je ne pourrais jamais tolérer ce genre d’attitude chez un ami. Parce que si j’avais tort, Hamid avait plutôt besoin d’aide que de dédain, et qu’entre les deux je ne saurais pas du tout comment agir avec lui si l’on se rencontrait.

Catherine, dans sa sagesse, m’a dit que si je n’avais pas affaire à Hamid, je serais mieux de ne pas aller au devant de lui, étant donné ma perplexité. Si Hamid me contactait, je n’avais qu’à lui poser les questions qui me chicotaient, avec beaucoup de tact et de chaleur, afin d’en avoir le cœur net, et décider ma façon d’agir à partir des conclusions que je pourrais tirer de ses réponses. En attendant, je n’avais pas à m’inquiéter. Hamid avait sûrement un important groupe de soutien autour de lui. Ces paroles me semblaient pleines de sens. C’était vrai qu’Hamid avait un gros entourage, dont je ne faisais partie que de manière périphérique. J’allais quand même en parler avec Sean demain pour voir s’il était d’accord. J’étais tout à fait calmé maintenant. Catherine pouvait être très fière d’elle, moi je l’étais en tout cas.

Elle a refusé de nous accompagner à l’aéroport le lendemain matin, ce qui ne m’a pas trop surpris. Ce n’était pas une lève-tôt, et elle n’avait pas vraiment d’affaire-là. On a continué à se parler de notre futur mariage, en éliminant le party dans la prairie, à cause des risques de pluie. On s’est entendus que tout se ferait dans une salle de réception, où le party pourrait pogner, aussitôt que l’on se serait juré amour et fidélité devant tout le monde. Je lui ai dit que je ne voulais pas de jonc, que je ne mettais même pas mon jonc d’ingénieur. Elle a pensé à me donner une belle montre ; ce qui me semblait pas mal. Pour elle, la bague allait faire l’affaire, ou encore un beau collier avec un petit diamant. Rien de trop cher m’a-t-elle dit : « mes parents vont peut-être me prêter de l’argent, mais je ne veux pas trop m’endetter ». J’étais content que le sujet de l’argent vienne d’elle, pour une fois je n’avais pas l’air du pingre de service. Je n’avais pas beaucoup d’argent de côté et j’étais révulsé par l’idée de demander de l’argent à mes parents. Il semblait convenu qu’on allait se séparer les dépenses moitié-moitié. Il y avait peut-être moyen de se trouver une salle pas trop chère en faisant jouer nos contacts universitaires. Il fallait que ça se passe à Québec puisque c’était à peu près le point central entre la plupart des membres de nos deux familles respectives.

On a continué à jaser comme ça toute la soirée, et ça a été pas mal agréable. Vers 11 heures, j’ai dit qu’il fallait que j’y aille puisque je devais me lever tôt le lendemain matin pour faire ma B.A. pour Sean. On s’est souhaité une bonne St-Jean-Baptiste, en se jurant de se recontacter dimanche matin. On continuait de respecter le contrat convenu.

J’ai quand même pris le temps d’écrire le résumé de la journée avant de me coucher.

Chapitre 7. 21 juin 2006

Je me suis rendu à l’hôpital pour la sortie de Sean. Ma présence n’était pas indispensable, mais je sentais que je devais y être, étant donné mon niveau d’implication dans cette crise jusque-là. Je n’ai fait que suivre passivement le processus déjà en cours au moment de mon arrivée. Je ne savais plus où me mettre. Je voulais bien aider, mais on ne sollicitait pas mon aide. Quand je faisais quelque chose, avec plein de bonnes intentions, ce n’était pas ce que l’on voulait. J’avais vraiment l’impression de déranger. Mais je n’étais quand même pas pour m’en aller, ou bouder. J’ai donc fait le piquet qui sourit, en souhaitant que ça se termine le plus rapidement possible. J’ai suivi comme un chien de poche. Je n’avais pas du tout le contrôle de la situation, je n’avais aucun défi à relever, cette passivité m’écœurait au plus haut point. J’aurais aimé être ailleurs, faire quelque chose d’utile. J’ai quand même persévéré dans mon calvaire, me disant que Sean allait sûrement, d’une certaine façon, apprécier ce témoignage d’affection que je lui faisais ; bien qu’il ne se rende probablement pas compte du niveau de sacrifice que ça signifiait pour moi. J’espérais presque qu’il y ait un problème quelconque pour que je puisse me mettre en valeur d’une certaine façon. Il n’y a eu aucun problème. Sean est sorti, j’ai remis les clés du Jeep au paternel, et on s’en est allé tout bonnement vers nos appartements respectifs. J’ai indiqué au père de Sean que le réservoir était quasiment vide, en lui faisant savoir que j’avais utilisé son véhicule pour une escapade avec Catherine. Je lui ai dit qu’il me ferait plaisir de rembourser le coût de l’essence. Il m’a dit d’oublier ça, qu’il m’en devait bien plus que ça pour toute l’aide que je lui avais procurée. Juste ça, et j’oubliais mon calvaire récent. La visite de ce matin en valait la peine finalement.

Après en avoir discuté longuement avec Sean, son père avait décidé de quitter Québec à la date prévue, vendredi le 23 juin, soit dans deux jours. Il était clair que Sean avait insisté pour que son père n’étire pas son voyage, car celui-ci n’avait pas l’air très convaincu que c’était la bonne chose à faire. Il semble que j’avais joué un rôle important dans la discussion. Comme Sean et moi vivions à proximité, je m’occuperais de lui en cas de besoin. En tout cas, pas question pour moi d’être paternaliste avec Sean. Il devait être d’accord avec ça d’ailleurs. Il devait être un peu tanné de l’attitude sur-paternelle du papa. Je suis certain qu’il l’appréciait, mais à notre âge, on l’apprécie d’autant plus à distance. Sean allait passer toute la journée du lendemain avec son père, pour lui faire visiter ses coins préférés de la région de Québec avant son départ. Originalement, ils devaient visiter ensemble une grande partie de la province, plutôt qu’une grande partie de la région de la capitale, mais personne ne semblait trop s’en faire avec ça. Je ne crois pas que M. Hastings était un avide touriste. Il voulait voir son fils, un point c’est tout. Et il l’avait vu sous toutes ses formes, même les plus inusitées. Il avait même eu l’occasion de connaître un échantillon intéressant du système de santé québécois. C’était quand même pas peu dire. Je m’effacerais donc pour la journée du lendemain, pour mieux réapparaître au moment du départ de M. Hastings à l’aéroport, faisant partie du comité d’adieu par la force des choses. J’avais une voiture, un mini tacot plein de rouille que j’utilisais le moins souvent possible, et Sean n’en avait pas. Pour ce qui est de la soirée, elle était consacrée au souper avec Hamid et à notre entente contractuelle. En attendant ce souper, je me suis replongé dans la lecture de documents scientifiques, en espérant que je sois ainsi mieux préparé psychologiquement pour me remettre à la rédaction de ma thèse. Ça me faisait drôle de savoir Sean et son père juste à côté et de ne pas être appelé à me joindre à eux, d’être sur la touche. On avait vécu ensemble des choses pas mal intenses ces derniers jours, et j’imagine qu’il me restait à décompresser de tout ça, à m’en détacher pour passer à autre chose.

À 6 heures, Je me suis rendu chez Sean, qui avait le document contractuel en main, en trois copies. J’ai pu constater que Sean et son père avait déjà fait des aménagements mineurs à l’appartement. On avait entre autre installé un rideau, ou un drap, sur le mur de la cuisine, en attendant les réparations. L’appartement avait l’air assez normal et Hamid ne verrait sûrement aucun indice de ce qui s’y était réellement passé.

J’étais bien impressionné de voir ce texte légal dans les mains de Sean. On l’a regardé un peu ensemble en attendant Hamid. Bien que le texte était très rébarbatif, et difficile à comprendre, je me sentais privilégié d’avoir l’opportunité d’étudier un tel texte, et peut-être même de le signer. Je me sentais important, un homme d’affaires, pas un simple étudiant. Le père de Sean avait disparu, probablement était-il de retour à sa chambre d’hôtel. Sean m’a dit qu’il avait des affaires urgentes à régler pour son entreprise. Hamid ne s’est pas fait trop attendre. Il a préféré que l’on aille souper tout de suite plutôt que de lire le document ensemble auparavant. Il a dit que l’on pourrait en parler en soupant et qu’il le lirait en détail par la suite. Il était clair qu’il voulait signer l’entente le plus rapidement possible et s’occuper du rassemblement de Montréal. Il n’allait certainement pas s’enfarger dans les fleurs du tapis.

Pendant le souper, dans un buffet chinois du coin, on a presque pas parlé du document, malgré ce qui était convenu. Hamid a pris le plancher pour nous jaser du prochain rassemblement qui l’enthousiasmait beaucoup. Il allait être interviewé pendant les nouvelles de TVA demain, à peu près à la même heure, pour parler de ce rassemblement. Une entrevue en direct pour la ville de Québec et les régions couvertes par le bulletin de nouvelles local, et une entrevue enregistrée, faisant partie d’un reportage, pour la ville de Montréal et le reste du Québec. Il était au comble du bonheur. Il avait réservé les droits exclusifs de couverture du rassemblement de Montréal à Quebecor, qui possédait TVA, le Journal de Montréal et le Journal de Québec, en échange de cette publicité gratuite. Un beau pied de nez au journal Le Soleil et à madame Jolicoeur, qui avaient parlé de l’initiative en premier! Hamid ne se rendait pas du tout compte que, l’entente n’étant pas signée, on pouvait encore tout faire planter son beau scénario. Mais on allait pas faire ça. On avait juste hâte de se sortir de cette situation qui nous dépassait. Elle ne semblait certainement pas dépasser Hamid en tout cas.

Après que Sean et moi eurent bien mangé, mais pas Hamid, qui était trop occupé à parler pour avoir le temps de manger, nous sommes rentrés chez Sean ensemble. Pour Hamid, il était clair que l’on ne faisait plus partie du coup. Il nous parlait du rassemblement à venir comme à des amis quelconques ; pas comme à d’ex-partenaires fondateurs, des alliés ou même peut-être des ennemis. Ça aurait sans doute pu nous blesser, mais ce ne fut pas le cas pour moi, et pour Sean non plus d’après ce que je pouvais voir. Sean semblait très indifférent au discours d’Hamid. Il avait juste hâte que celui-ci lise le document, qu’on le signe et qu’on en finisse. Il me regardait souvent avec des airs d’impatience pendant qu’Hamid épiloguait sur ses activités. Enfin, rendu à l’appartement, Hamid a lu le document. À moins qu’il ait eu une deuxième vie en tant qu’avocat, il est clair qu’il n’a fait que survoler le texte. Après moins de 15 minutes, il l’a signé et s’est levé pour s’en aller. Sean a insisté pour que l’on signe tous les trois les trois copies, et que l’on en garde chacun une. Je suis certain que le document était correct, mais quand même, on ne signe pas quelque chose sans avoir bien tout lu ce qu’il contient… C’était par contre la fin d’une période tumultueuse, et je n’en étais pas fâché. On s’est serré la main et tout de suite Hamid a quitté. Ce n’est certainement pas Sean et moi qui allions le retenir. Une fois qu’il a passé la porte, Sean et moi nous sommes regardés, on a eu un petit fou rire, et on s’est fait l’accolade des vainqueurs avec deux petites claques dans le dos. On avait rien gagné du tout pourtant, à part peut-être un peu de paix. C’est important la paix !

Chapitre 7. On passe à autre chose!

Je suis passé chercher Catherine pour notre tour de Jeep. On venait de convenir de se rendre à l’île d’Orléans et de profiter des journées plus longues et du véhicule pour voir du paysage, et si possible, un beau coucher de soleil. Au diable la pollution, ça nous arrivait si peu souvent de faire ce genre de mini-voyage en automobile qu’on avait pas à se sentir coupable. J’espérais tout de même que M. Hastings allait payer le gaz. Mais si ce n’était pas le cas, je pouvais me le permettre. Catherine m’attendait devant la porte et m’a donné un petit bec sur la joue en me voyant, rien de bien convaincant. Elle semblait excitée par l’idée de notre escapade. Je savais par contre que ça n’allait pas dégénérer puisque Catherine était en plein contrôle de sa période de break.

Sur l’autoroute, on a parlé de notre longue fin de semaine à venir. Catherine m’a dit qu’elle préférait que l’on vive ça chacun de notre bord, et si possible qu’on le vive intensément. C’était le genre de trip de gang qui pouvait nous aider à réaliser quelque chose sur notre désir d’être en couple ou non. Je ne doutais pas que ça allait être intense pour Catou, puisque sa gang de filles de biologie aimait beaucoup avoir du fun à ce genre de party. De mon côté, je serais probablement accompagné de Sean et de quelques autres personnes du lab. On écouterait le show et on reviendrait ensuite calmement à la maison. On avait passé l’âge de se garrocher dans le feu et de boire jusqu’à être malade. J’ai quand même profité de l’occasion pour m’assurer que Catherine allait continuer de tolérer que l’on puisse sortir chacun de notre bord, avec des amis, une fois que l’on serait mariés. Sans surprise, elle m’a dit que c’était bien évident, sauf qu’une fois mariés, les dérapages possibles de ce genre de sorties ne seraient plus acceptés. C’était donc l’occasion, autant pour elle que pour moi, d’évaluer ces possibilités de dérapage.

Catherine a beaucoup trippé sur l’île d’Orléans. On est pas allé bien loin. On s’est rendu jusqu’à Ste-Pétronille puis on est revenu. Moi, j’avoue que ça me laissait assez indifférent ces vieilles maisons sur le bord de la route. Le paysage était beau, mais c’était à peu près le même de l’autre côté du pont. Par contre, c’était calme, ce qui favorise la contemplation. Le coucher de soleil a été beau, mais rien pour écrire à sa mère. C’est vrai qu’un coucher de soleil, quand on ne le regarde pas collé avec sa blonde, ça manque toujours un peu d’intensité. Le retour s’est fait dans l’amitié, rempli de conversations simples et naturelles. J’étais vraiment bien avec cette fille, ou plutôt cette femme-là.

*****20 juin 2006*****

Je me demandais un peu quoi faire quand j’ai reçu un appel de Sean, le lendemain. Il m’a dit qu’Hamid demandait à nous voir le plus rapidement possible. Comme Sean ne pouvait pas quitter l’hôpital, il avait suggéré que l’on se rencontre dans sa chambre, à 13 heures. Je n’avais rien à l’agenda, alors je pouvais difficilement refuser. Par contre, je n’anticipais rien de bon d’une telle rencontre. C’était inévitable, alors peut-être qu’il était aussi bien que l’on se parle le plus rapidement possible.

-Est-ce que tu as rencontré la psychiatre?

-Oui, j’ai même pris un abonnement de saison avec elle. On va se voir à toutes les semaines pour un certain temps, jusqu’à ce qu’elle ait pu me caser parmi sa liste de diagnostics possibles. Je vais devoir prendre mes médicaments jusque-là, alors j’espère ne pas être un cas trop compliqué. Elle me demande de ne rien changer à mes plans à court terme et m’a donné ses coordonnées au cas où je ne me sente pas bien.

-Et pour la rédaction de ton livre?

-Je te l’ai dit, elle m’a dit de ne rien changer à mes plans.

-J’imagine que c’est la même chose pour la rencontre avec Hamid à l’hôpital, pas de contre-indication.

-Je n’ai pas eu l’occasion de lui en parler, mais ça me semble évident!

*****Hamid*****

Quand je suis arrivé, quelques minutes avant l’heure prévue, Hamid était déjà là et il avait l’air fébrile. Quand il m’a vu, il ne m’a même pas laissé le temps de m’asseoir.

-Enfin, tu es là ! Bon, je ne vais pas passer par 4 chemins. On m’a demandé d’organiser un nouveau rassemblement à Montréal, sur le même thème que celui du PEPS. Ça se passerait au mois de juillet prochain au Parc Jean-Drapeau. Je dois savoir si vous embarquez. Si oui, je dois savoir quel sera le rôle de chacun d’entre nous. Dans le cas contraire, je dois savoir si vous me permettez de continuer par moi-même.

Je l’ai trouvé un peu vite en affaires, alors je ne me suis pas gêné pour lui passer une petite remarque :

-Tu vois bien que Sean est encore hospitalisé, tu devrais te préoccuper de lui plutôt que d’un futur rassemblement ! Y me semble évident que ce n’est pas vraiment le temps de parler de ça !

Hamid s’est défendu de l’insensibilité dont je l’accusais.

-J’ai eu le temps de parler avec Sean et il sait très bien que je suis désolé pour ce qui lui arrive et que je me préoccupe de sa santé. Sean était d’accord pour que l’on se parle des suites à donner au rassemblement dès maintenant. S’il avait refusé, je n’aurais pas insisté. Par contre, pour ce qui est de la possibilité de Montréal dont je vous parle, il faut donner une réponse d’ici vendredi.

-Il faut donner une réponse à qui? a demandé Sean fort judicieusement.

-C’est un groupe montréalais de rapprochement entre les palestiniens et les israéliens qui financerait le rassemblement et qui doit réserver une esplanade du Parc Jean-Drapeau le plus rapidement possible.

-Et ton père Sean, il a des droits dans cette affaire; c’est lui qui a financé le premier rassemblement.

-Ne t’en fais pas avec ça Jeff. Mon père ne veut plus rien savoir de ce rassemblement. Il est comme toi, il veut que je passe à autre chose. Il ne va rien demander, surtout qu’il n’y a pas d’argent à faire avec ça.

-Ah ça, on sait jamais ! a dit Hamid de manière convaincue.

Je me disais qu’il devait avoir une idée en tête ce petit futé. Sean m’a devancé:

-Moi, je ne vois pas d’inconvénient à laisser Hamid aller, mais à certaines conditions.

Il semblait déjà avoir pensé à son affaire.

-Et c’est quoi tes conditions, Sean ? a demandé Hamid.

-Rien de bien compliqué, tu ne parles plus de moi du tout en relation avec ce rassemblement, tu ne parles plus du concept d’individualiste conscient et tu ne parles du rassemblement de Québec que comme une référence historique. Pas question de partager des extraits de ce rassemblement, ni vidéo ou sonore, ou encore des textes. Si tu réponds à ces conditions, tu peux faire ce que tu veux et je retire tous mes droits sur la suite des choses.

J’avais presque l’impression que Sean avait consulté un avocat à ce sujet. Ça se pouvait très bien, étant donné la présence de son père dans les parages. Il parlait lentement, mais il semblait penser plus vite. J’ai tout de suite voulu m’associer à ses propos plein de sagesse.

-Je suis d’accord avec les conditions de Sean et je veux qu’elles s’appliquent à moi aussi.

-Mais est-ce que je vais au moins pouvoir m’inspirer de ce que l’on a fait au PEPS ? Je ne peux quand même pas tout reprendre à zéro.

-Mon avis est que tu peux faire ce que tu veux, en autant que tu respectes les conditions que l’on t’a posées. Tu peux faire le même show qu’au PEPS, intégralement, en autant que tu ne parles pas d’individualisme conscient, ni de nous. Après le show de Montréal, tu auras toutes les archives que tu voudras. Tu es d’accord, Jeff ?

-Je suis parfaitement d’accord.

-Tu sais, les gens de l’université Laval appuient cette démarche et voulaient, eux, que j’utilise des images d’archives de ce qui s’est passé au PEPS pour annoncer le rassemblement de Montréal.

-D’après moi, les gens de l’université Laval n’ont rien à dire. C’est à Jeff et moi de décider.

-OK, OK, tes conditions ne sont pas si difficiles à respecter. Mais il va falloir que vous renonciez à vos droits par écrit pour la suite des choses.

-Hamid, je veux que ce soit clair que Jeff et moi ne renonçons pas à nos droits concernant le principe de l’individualisme conscient. Si on veut exploiter ce principe, on aura aucune limite de ta part. Dans ce cas, c’est toi qui renonceras à tes droits par écrit.

-C’est facile de renoncer à mes droits, puisque je n’en ai aucun. De toute façon, il était prévu que l’on centre le discours sur la paix interraciale et interreligieuse. On a pas besoin d’un principe philosophique pour comprendre que c’est une bonne idée !

-En tout cas, on a besoin de quelque chose de plus que de simplement dire que l’on souhaite la paix. Sinon, ça ferait méchamment longtemps que le conflit palestinien serait réglé !

Ai-je dit avec conviction, même si j’avais un peu l’impression d’être hors sujet.

-Ce sera la première fois que le public nord-américain prendra position pour la paix, sans aucun parti pris. Si on fait un bon job, ça va influencer les politiciens états-uniens. Si les politiciens états-uniens sont plus objectifs, alors je crois que ça peut faire une grande différence. On a pas le droit de ne pas essayer !

-Donc, ce que tu vises Hamid, ce sont les États-Unis. C’est quoi l’étape après Montréal ?

-Jeff, pourquoi tu te dissocies du projet si vite ? Je crois que tu pourrais vraiment nous aider. Je comprends que Sean veuille s’en dissocier, étant donné sa situation, mais toi, tu es en pleine forme.

-Je n’ai rien contre un rassemblement pour la paix. Je pourrai même y participer passivement s’il n’y avait pas tout ce bagage de problèmes qui ne me revenait en mémoire à chaque fois que je pense au rassemblement du PEPS et à son organisation.

-Tu es trop émotif Jeff, et tu manques d’ambition.

-J’ai l’ambition d’être heureux. Me semble que c’est quand même pas mal !

Hamid commençait sérieusement à me pomper l’air. Il avait eu ce qu’il voulait, alors je ne vois pas pourquoi il continuait d’insister.

-Si tu veux tout savoir Jeff, la prochaine étape sera New York, et on a bien l’intention d’obtenir l’appui du congrès juif quand on sera là.

-Bonne chance, mon vieux !

S’il réussissait ça, j’allais tout de même devoir lui lever mon chapeau. C’est quand même beau la fraîcheur de l’enthousiasme et la naïveté de la jeunesse. Même si Hamid n’était que de 2 ans mon cadet, on voyait bien qu’il n’était pas aussi désillusionné que moi. À moins que ce ne soit seulement son ambition personnelle qui l’aveuglait. Sean nous a un peu remis les pieds sur terre.

-Bon, c’est pas tout ça, mais il faut en arriver à une entente écrite d’ici la fin de la semaine. Qui s’occupe de la rédiger ?

C’était une maudite bonne question. Hamid était tout aussi mal pris que moi. Il s’est permis de suggérer son groupe de rapprochement montréalais, mais c’était une mauvaise idée. Il n’avait pas à être mêlé au dossier pour l’instant. Sean a proposé de s’en charger, ce qui me confirmait qu’il en avait déjà parlé avec son père.

-Je vais m’en occuper, mon père va me trouver des avocats qui vont nous rédiger quelque chose rapidement, sans rien nous charger. Mais ça risque d’être en anglais, ça vous va ?

-Pas de problème, que je lui ai dit, en autant que ça fasse référence à la loi québécoise, et pas à la loi australienne.

Je pensais que je jokais en disant ça, mais Sean avait l’air de penser que c’était une revendication tout à fait sensée et sérieuse.

-Je devrais avoir quelque chose de prêt pour demain. On pourrait se voir demain au souper pour signer le tout. Si on est pas d’accord avec le document, ça nous laisse le temps de faire refaire une nouvelle version à notre goût.

Sean m’étonnait. Je reconnaissais maintenant en lui l’homme d’affaires qu’est son père. J’imagine qu’il avait eu l’occasion de travailler un peu dans l’entreprise paternelle avant de devenir un scientifique-théologien.

-Il faudrait pas que ce soit trop du charabia d’avocats, ni un document de 20 pages. Moi, je ne connais rien au langage des avocats, et je ne signerai rien que je n’aurai pas lu en entier et tout compris.

-Ne t’en fais pas Hamid, ce sera simple et clair. En une journée, les avocats auront pas le temps de générer quelque chose de long et de compliqué. Ça demande du temps et des efforts de compliquer les choses.

Ah, ce bon vieux défoulement collectif sur le dos des avocats, rien de mieux pour faire sourire son entourage… à moins que celui-ci ne soit constitué d’avocats.

-Si ça te va Hamid, j’aimerais que tu me laisses seul avec Jeff.

-OK, à demain pour le souper. Où est-ce qu’on se donne rendez-vous, et à quelle heure ?

-Tu viendras chez moi vers 6 heures et on partira de là. Ça te va, Jeff ?

-Ça me va parfaitement, et toi Hamid ?

-C’est parfait, à demain après-midi !

-C’est ça, à demain! avons-nous chanté en chœur.

Sean avait quelque chose à me dire, et il était pressé de me le dire. Il a laissé le temps à Hamid de faire quelques pas dans le corridor avant de me demander si j’allais avoir de la difficulté à vivre avec un éventuel succès d’Hamid.

-Pas vraiment, je serai toujours un peu jaloux du charisme qu’a Hamid en public. Mais il aura mérité son succès et moi, je n’aurai pas grand chose à voir là-dedans. Sauf peut-être d’avoir participé à donner la poussée initiale. Toi par contre, tu as organisé le premier rassemblement qu’il veut copier en partie pour faire une tournée mondiale.

-Bof ! Tu sais, c’est son charisme qui a fait le succès de l’événement, pas le contraire. De plus, Hamid a joué un grand rôle dans la mise en scène du rassemblement. À un moment donné, il m’a un peu tassé pour s’assurer que ça marche. Non, je ne serai pas jaloux ni frustré. Je m’appuie sur mes convictions religieuses pour me guider, mais toi ?

-Je m’appuie sur mes convictions personnelles, qui sont sûrement aussi fortes que tes convictions religieuses !

-C’est correct, j’ai rien dit Jeff, tout est OK alors.

J’haïs ça quand les partisans de la religion considèrent les non-partisans comme des êtres fragiles. Quelle prétention de leur part de se penser supérieur aux autres.