Chapitre 5. 7 juin 2006

Sean est arrivé pour le lunch à midi tapant. Sa ponctualité n’était pas affectée par l’effervescence qu’il vivait. J’avais préparé des sandwichs et je n’ai pas perdu de temps, j’ai tout de suite mis cartes sur table.

-Sean, c’est décidé, je ne vais pas participer au rassemblement. J’y serai. Vous pourrez mentionner que je suis l’instigateur du concept, mais je désire rester en marge. Je te laisse le plancher et je vais très bien vivre avec ça! J’y ai bien réfléchi.

-Bon, je m’attendais quand même un peu à ça. Ce n’est pas si grave en ce qui concerne le rassemblement du PEPS, on peut s’arranger sans toi. Mais n’oublie pas, tu n’embarques pas à ce rassemblement, tu dois oublier ça pour d’autres rassemblements du genre que l’on pourrait tenir ailleurs. Le train quitte la gare, et si tu n’embarques pas maintenant, il sera trop tard.

-C’est correct, j’ai déjà pensé à tout ça. Ça n’a pas été facile, mais je suis très confortable avec ma décision et elle est tout à fait ferme et finale.

Il n’était pas question que je parle à Sean de mon texte en cours de rédaction et de mon intention de le publier éventuellement. J’avais peur que ça lui donne des idées et qu’il veuille absolument s’associer à cette rédaction. Je voulais garder ça pour moi. Comme je parle beaucoup de Sean dans ce récit, j’imagine que je devrai un jour lui demander la permission avant de publier ce document. Mais je vais attendre que le texte soit parfaitement complété avant d’aborder ce sujet avec lui.

Sean n’a pas du tout insisté. Il me voyait très sûr de moi et n’avait certainement pas de temps à perdre. Il a donc abordé d’autres sujets de discussion, ce que j’ai fortement apprécié. On a un peu renoué avec une relation d’amitié toute simple, plutôt que d’être co-gestionnaire d’une situation délicate.

-Jeff, je vais quand même te demander quelque chose. Peux-tu STP aller chercher mon père à l’aéroport? Il arrivera la veille du rassemblement et je risque d’être pas mal dans le jus.

-Si ça peux t’aider, ça me fera plaisir! Par contre, j’imagine que ton père va être un peu déçu. C’est pas moi qu’il veut voir. Ça fait combien de temps que tu es ici, presque 6 mois?

-Je sais, mais il va rester à Québec une semaine entière, alors j’aurai le temps de me reprendre après. C’est même lui qui m’a suggéré de ne pas m’occuper de son arrivée, étant donné que je serai en plein dans les arrangements de dernière minute. Je préfère cependant que quelqu’un soit là. Mon père n’est plus très jeune. Il a peu voyagé, et il ne parle pas un mot de français. Avec son accent australien, on risque de ne pas le comprendre. Comme tu le sais, mon père n’est pas très patient, il est habitué à ce que les choses se fassent rondement. Je veux éviter qu’il soit frustré en partant, et que ça teinte le reste de son séjour.

-Est-ce que tu l’as averti?

-Non, j’attendais de t’en parler, mais je vais le faire maintenant que tu acceptes.

Je reconnaissais mieux mon bon vieux Sean. On a pu discuter de manière détendue. Il m’a demandé si je m’attendais à reprendre la rédaction de ma thèse. Je lui ai dit que oui; un peu à ma propre surprise. J’ai songé que je pourrais commencer demain, avant que Catherine me téléphone. Ce serait une bonne façon de lui démontrer que j’ai repris le contrôle de la situation. J’étais un peu fébrile par contre, je me demandais bien comment reprendre le collier après une si longue pause.

*****

Après quelques minutes de psychose de la page blanche, j’ai décidé de relire ma thèse du début. J’ai peut-être perdu quelques heures; mais après la lecture, j’ai repris la rédaction sans hésitation, comme si je n’avais jamais fait de pause, et tout a très bien été. Même que mon expérience de rédaction hors-thèse m’a peut-être un peu aidé à me sentir plus à l’aise avec mon clavier. Par contre, il fallait que je fasse attention de ne pas déraper vers la rédaction d’éditoriaux scientifiques. Je devais garder mon objectivité, respecter les règles de rédaction de cette thèse.

Chapitre 5. Suite de proverbes et autres réflexions

J’ai effectivement beaucoup réfléchi. Sean avait raison au moins sur un point : fondamentalement on fait les choses pour nous, mais ça ne veut pas dire que ça ne fait pas de bien aux autres. Je savais ça, c’était même à la base de ma réflexion sur l’individualisme conscient. La question était donc de savoir si j’allais effectivement me faire du bien en participant à ce rassemblement. Si ce n’était pas le cas, c’était game over. Si c’était le cas, il me fallait aussi m’assurer que je ne faisais pas de mal aux autres en me faisant du bien. Dans les deux cas, la réponse ne me semblait pas évidente.

Mon grand désavantage de participer à tout ça, est que ça m’entraîne plus loin dans le tourbillon, si le tourbillon se maintient. Ainsi, je risque fort de perdre Catherine. Je risque fort de perdre bien des choses de la vie que je me suis bâtie et que j’apprécie. Si je participe et ça floppe, je ne risque que d’avoir l’air fou, ce qui n’est pas si grave en somme.

Mon grand avantage, est que si ça marche, je peux m’embarquer dans une nouvelle aventure exaltante, qui me mènerait je ne sais où. Qui me ferait vivre des expériences intenses que je n’aurais pu vivre autrement. Ce serait la grande vie, celle où l’on est un instrument de quelque chose de plus grand que nous, qui nous dépasse. Il y a aussi la possibilité de faire le bien autour de nous. Si ça floppe, il n’y a aucun avantage, et les désavantages, je les vis déjà, alors ça ne doit pas peser lourd dans la balance. Ma réflexion doit donc se concentrer sur le cas où l’initiative de Sean pogne et me mène à quelque chose de plus grand.

Le choix se fait donc entre le haut-risque / haute-récompense, et la continuation de mon travail entrepris vers un bonheur qui s’annonce, mais qui n’a rien de certain. Je dois choisir entre Catherine, que j’aime dans l’immédiat, mais avec laquelle rien ne me garantit contre une rupture possible; et miss mystère qui pourrait très bien être une femme sensationnelle avec qui je pourrais très bien m’entendre encore mieux qu’avec Catherine. Est-ce qu’un tien vaut vraiment mieux que deux tu l’auras? Est-ce que ça vaut la peine de quitter ceux qu’on aime pour aller faire tourner des ballons sur son nez?

Je suis jeune, c’est le temps de vivre l’aventure; peut-être que plus tard j’en serai incapable. Peut-être que plus tard je ne serai même plus là. Pourquoi remettre à demain ce que l’on peut faire aujourd’hui? Cependant, serait-il si grave que je ne vive jamais ce genre d’aventure; peut-être pas? Je suis jeune, je peux toujours me reprendre un peu plus tard, quand je saurai mieux ce que je veux et ce que je vaux, avant d’entreprendre un changement de vie. Par contre, à ce moment-là, je ne serai peut-être plus seul, j’aurai des contraintes, des responsabilités externes.

Choisir l’aventure c’est bien, mais est-ce que celle-là m’intéresse vraiment? Ce n’est pas l’aventure pour l’aventure, il faut choisir le type d’aventure. Qui me dit que je ne peux pas vivre une aventure exceptionnelle, mais bien différente de celle qui me tourmente, avec Catherine? Mon père m’a toujours dit que la solution est dans le meilleur compromis. N’y aurait-il pas un compromis possible où je peux garder Catherine et l’aventure en même temps? Un compromis où je m’assure de ne pas manquer le bateau et le regretter toute ma vie? J’ai beau réfléchir, la réponse ne me semble pas plus claire.

Évidemment, il y a le raisonnement qu’en cas de doute, quand le changement peut mener à des perturbations négatives, on est mieux de ne pas bouger. On peut attendre, le temps aide souvent à prendre la meilleure décision. Ça explique le break avec Catherine. Je pourrais peut-être prendre un break avec Sean. Mais de toute façon, un jour il faut décider, et il est impossible d’avoir des garanties sur l’avenir quand on prend ce genre de décision. Si on attend d’être certain, on ne fait jamais rien, comme le Québec qui n’arrive pas à choisir de devenir un pays plutôt qu’une province. Dans le cas des référendums sur la souveraineté du Québec, je dis souvent qu’un pays est une affaire de cœur. On choisit sa communauté et on fait avec. Si on se sent davantage québécois que canadien, il faut voter oui, et ainsi on s’assure de bâtir quelque chose de bien ensemble. Après tout le Québec, ce n’est essentiellement que ses citoyens. Si on se sent plus québécois que canadien et qu’on vote non, on est un peu hypocrite. On veut se faire considérer comme un égal, mais on n’ose pas prendre les responsabilités qui vont avec. Est-ce que je m’égare ou si je peux utiliser cette réflexion dans mon cas? Est-ce que je me sens plus comme un homme ayant besoin d’amour ou comme un philosophe en quête d’aventure? Quand la question est posée de cette façon, c’est clair que je me sens davantage comme un homme ayant besoin d’amour. Par contre, dans ce cas, un philosophe en quête d’aventure peut aussi être un homme ayant besoin d’amour. Est-ce que le contraire est vrai? Est-ce que j’aime mieux Catherine que Sean? C’est trop évident comme question, ce n’est sûrement pas à propos. Est-ce que l’aventure d’une relation avec Catherine est suffisante pour moi? Est-ce si important pour moi de devenir populaire et de léguer quelque chose au monde? Sans doute, car c’est la vie éternelle que l’on recherche, que je recherche. Est-ce que la vie éternelle véritable n’est pas celle que l’on laisse par notre souvenir, notre éducation, à nos enfants? Sans doute, mais de vivre l’aventure présente ne m’empêchera pas d’avoir des enfants. Je promets solennellement que lorsque j’aurai des enfants, ceux-ci passeront bien avant mon besoin de laisser un héritage personnel au monde entier! Mais pour l’instant, je n’ai pas d’enfant. Est-ce que me lancer dans l’aventure réduit mes chances d’en avoir? Sans doute un peu. Est-ce que ma vie d’aventure, où je serai sur la sellette, me rendrait heureux, que je laisse un héritage positif ou pas? C’est loin d’être certain, mais la seule façon de le savoir c’est d’essayer. Qui ne risque rien, n’a rien, dit le proverbe. Mais dans mon cas, j’ai déjà beaucoup; j’ai beaucoup à perdre. Les deux options me semblent bonnes, il s’agit sans doute de décider si je vais me contenter d’une petite vie, ou s’il me faut absolument viser la grande vie.

Quel est le compromis possible? Ne pas aller de l’avant avec les rassemblements, qui me semblent définitivement un peu tribal, et publier ce « livre », ce document que je suis en cours de rédaction, pour offrir un témoignage au monde sans faire trop de flammèches, en leur permettant d’absorber le principe d’un point de vue individuel. Profiter de la publicité faite par l’initiative de Sean pour m’assurer que mon livre ne passera pas inaperçu. Lui laisser tous les risques, mais prendre une partie des bénéfices. C’est chien, mais c’est peut-être ma solution. Je suis déjà pas mal avancé avec ce texte. Je pourrais le finir à temps partiel, quand j’aurai un travail, en poursuivant la rédaction certains soirs plutôt que de regarder la télévision. Je ne renie pas l’initiative de Sean, mais je reste en marge. C’est quand même un pas pire compromis. Même si Sean devient une vedette internationale, il continue de me donner le crédit pour le concept, et moi je suis le penseur en coulisse. Je peux très bien vivre avec ça. Je saurai contrôler ma jalousie de Sean si celui-ci devient une star. Je ne vivrai pas des regrets éternels et de plus, je crois que je pourrai garder Catherine et la potentielle vie de bonheur qui vient avec. Je couvre de plus mes arrières en cas de débandade de l’initiative, ou en cas de réactions violentes vis-à-vis cette initiative. Ça me semble pas mal. Reste maintenant à savoir comment présenter ça à Sean….et à Catherine aussi. J’aimerais bien avoir son feedback plus terre-à-terre!

Chapitre 5. 6 juin 2006

La fin de semaine ayant été grise, je me suis complu dans mon état de zombie. À part regarder la télévision, je n’ai rien foutu et je n’étais pas très fier de moi. Je pensais à Catherine et à ce qu’elle devait vivre à ce moment-là. Elle était revenue à l’heure qu’il était. Il a fallu que je me donne un petit coup de pied au derrière pour me sortir de ma léthargie. Il faisait beau en ce mardi matin, et j’ai décidé que c’était le temps de prendre une marche pour me sortir de mes idées noires et m’aérer le cerveau un peu.

Je ne sais pas où Sean avait pu dénicher les budgets nécessaires; mais déjà, le 6 juin, il y avait de la publicité concernant le rassemblement du 17 juin partout sur le campus, et en périphérie de celui-ci, sur les poteaux électriques de mon voisinage par exemple. Louer le PEPS, ça devait aussi coûter une beurrée! Son organisation semblait une machine bien huilée, je n’aurais jamais pensé Sean capable de gérer tout ça de cette façon. C’était annoncé davantage que les spectacles au Festival d’été de Québec. Rien ne m’associait à ce rassemblement. Rien n’associait personne à ce rassemblement d’ailleurs. On l’annonçait pour ce qu’il était, sans qu’une vedette ou personne n’y soit associée :

« Rassemblement pour la paix et le respect entre tous groupes moraux ou religieux. Le concept de l’individualisme conscient sera suggéré comme la piste de solution pour atteindre cet objectif que nous espérons tous ».

Ça me semblait pas très sexy, mais ça pouvait probablement attirer des curieux, surtout s’il ne faisait pas très beau ce samedi-là. Sean m’avait dit qu’il comptait surtout sur le bouche-à-oreille initié par des leaders de communautés religieuses et groupes moraux (comme il disait) pour créer l’engouement désiré. Ces panneaux n’étaient que le complément grand public et médiatique de son effort de marketing. Sean avait sûrement pris un congé sans solde du lab pour s’occuper de tout ça. J’avais plein de questions pour lui et je me demandais bien pourquoi j’attendais qu’il vienne me voir. Je n’avais qu’à aller à lui et lui poser mes questions! Je devais m’assumer dans tout ça; cesser d’être la victime! Je n’entendais d’ailleurs pas grand bruit chez Sean, rien d’anormal dans les derniers jours. Ça me semblait incompatible avec tout ce branle-bas que je constatais partout dans les rues. Je suis monté directement à son appart.

Bien que nous soyons voisins, nos appartements sont dos-à-dos, ou plutôt dos-à-côté, et nos portes donnent sur différents couloirs, c’est pourquoi je pouvais difficilement constater ce qui se passait chez lui sans lui rendre directement visite; à moins de percer un trou dans le mur du salon, ce qui m’a souvent tenté, je l’admets.

En arrivant devant chez Sean, j’ai tout de suite constaté que sa porte était placardée de plusieurs messages et annonces, ce qui n’était pas normalement le cas. Il y avait bien la publicité de l’événement, que j’avais déjà vu à l’extérieur. Il y avait aussi un message bilingue annonçant que si on le cherchait, on pouvait le trouver au quartier général du comité d’organisation du rassemblement dans un local du PEPS qui était bien indiqué. Le genre de message que l’on ne peut voir que dans une ville avec un bas taux de criminalité. Il n’y avait d’ailleurs pas grand-chose à voler chez Sean. De toute façon, ça confirmait ma théorie qu’il ne se trouvait pas au lab et qu’il consentait tout son temps à cette organisation. Il prenait vraiment ça au sérieux le Sean. Je me suis demandé pourquoi il ne m’avait jamais parlé de ce local avant.

Je me suis rendu à ce local, situé à une quinzaine de minutes de marche, sans plus. J’y ai constaté le brouhaha de l’organisation bien huilée qui s’affairait de manière efficace. Il s’agissait d’un petit local et Sean n’a pas été difficile à trouver. Je m’attendais par contre à le voir gesticulant et dirigeant tout ce monde-là. Il était à l’avant-scène, mais ce n’était pas lui qui dirigeait la quinzaine de personnes qui s’affairaient autour de l’estrade principale. Une personne que je ne connaissais pas était le chef. Sean semblait travailler studieusement à ses côtés et agir comme conseiller, au besoin. Le chef était beaucoup plus vieux que nous, ce n’était sûrement pas un étudiant. Ni même un prof d’après moi, il avait une désinvolture qui faisait penser à un businessman arriviste.

Quand Sean m’a vu, il semblait super content. Il s’est tout de suite dirigé vers moi. Il m’a dit qu’il fallait qu’il me parle au plus sacrant. Il organisait l’horaire de l’événement lui-même. Il lui restait beaucoup à faire, pendant que des spécialistes s’affairaient à la vente et au marketing du rassemblement.

-Mais Sean, où as-tu pris tout l’argent pour te payer des consultants en vente et marketing?

-Ma communauté religieuse y est pour beaucoup. C’est d’ailleurs elle qui m’a dirigé vers cette firme de marketing avec laquelle elle fait affaire depuis longtemps. Tu sais, l’argent des quêtes, ça ne sert pas juste à faire des rénovations à l’église.

-Ta communauté religieuse te donne tant que ça? Je ne me doutais pas qu’ils avaient tant de moyens.

-En fait, tu sais, ma famille est riche, alors l’argent me vient surtout de là. La communauté en fournit un peu, mais son soutien est plus au niveau des opérations qu’au niveau pécuniaire.

-C’est ton argent, ou celle de tes parents?

-C’est l’argent de mes parents. Moi, comme tu le sais, je n’ai pas grand-chose.

-C’est comme si c’était la tienne, tu n’as qu’à demander et tu obtiens ce que tu veux pour tes « petites » initiatives.

-C’est pas vraiment ça. Viens, allons à la cafétéria, on aura plus le loisir de parler calmement de ça et de bien d’autres choses.

Sean est allé chercher son espèce de gros cahier de notes et m’a rejoint. Effectivement, on avait l’air de déranger dans le local. On était dans les jambes.

-Écoute Jeff, j’ai beaucoup de choses à te dire concernant la mise en scène du rassemblement. Je veux bien répondre à tes questions, mais rapidement. Je suis pas mal occupé comme tu vois.

-Finissons quand même ce que nous avons commencé. Comment se fait-il que tes parents sont prêts à te donner tant d’argent maintenant, alors que tu restes dans un appartement tout à fait ordinaire? Tu aurais pu leur demander de l’argent pour ça non?

-Mes parents donnent cet argent pour financer le rassemblement auquel ils croient, ils ne le donnent pas à moi personnellement. D’ailleurs mon père va descendre de Sydney pour être présent à l’événement. Ça te montre un peu à quel point il y croit!

-Il croit surtout à toi j’ai l’impression!

-Il croit à toi aussi. Tu sais, tu l’avais bien impressionné lors de ton passage chez nous et il était déçu de ton athéisme. Pour lui, de savoir que nous avons bâti quelque chose comme ça ensemble, ça l’a vraiment ému. En plus,… en plus, non oublie ça!

-Tu as piqué ma curiosité Sean, trop tard pour reculer.

-Non non, c’est rien d’important, il faut parler de l’horaire du rassemblement! Tu as vu, j’ai choisi de faire ça de 16h00 à 18h00. Ça me semble le meilleur créneau pour ne pas trop déranger le monde dans leurs habitudes. Il y a un souper prévu après…

-Arrête ça tout de suite, ne change pas de sujet! C’est quoi ce « en plus »? Tu es bien mieux de me le dire. Tu sais très bien que je ne vais pas lâcher le morceau.

-Ah puis merde (il n’a pas dit ça, le puritain de Sean ne dirait jamais ça, mais ça transmet mieux son émotion si c’est comme ça que je le présente)! Maria, que tu connais, ma copine, m’a laissé tomber il y a environ 3 semaines, par téléphone, à partir de Sydney. Disons que ça a rendu mon père plus sensible à mes demandes et suggestions.

-C’est pas croyable! Tu avais déjà tout planifié avec elle, le mariage, les enfants…

Maria était sa première blonde. Il l’avait connu quand j’étais là-bas. C’était une co-paroissienne anglicane. Une première blonde à presque 30 ans, choisie avec soin; méchante affaire! J’avais agi comme chaperon lors de mon passage down under. On sortait très souvent à 3 et j’avais beaucoup de fun avec Maria qui était le prototype de la jeune fille naïve et bubbly. Elle ne devait pas avoir beaucoup plus que 20 ans. Elle était surprotégée par sa famille et avait beaucoup de choses à apprendre sur le monde. Elle était fascinée par mon parcours et le fait que j’étais sorti des rangs d’une famille de cultivateurs catholiques pour devenir un scientifique athée. Elle était persuadée que j’étais complètement perdu, mais elle était fascinée. Moi, je trouvais que c’était un excellent public. Elle riait de mes jokes, écoutait mes récits comme si j’étais le conteur de St-Élie-de-Caxton, dont je ne me rappelle plus le nom. Je crois que le couple Sean-Maria s’était peut-être un peu trop bâti sur cette dynamique à trois. Ce n’était sûrement pas sain. Se retrouver seule avec Sean après mon départ l’avait peut-être déçue. Pourtant, pendant cette période de 6 mois entre mon départ et l’arrivée de Sean à Québec, ils étaient restés ensemble. Je ne sais pas si ça allait bien par contre, Sean a toujours prétendu que oui. C’est quand même chien de casser comme ça à distance! Je sais pas trop ce qui a pu passer par la tête de Maria. J’imagine qu’elle ne pouvait pas faire autrement. Elle était peut-être en break, comme Catherine et moi, et venait de conclure pendant ce break que ça ne marcherait plus. Chose certaine, Sean n’était sans doute pas au courant qu’il était en break et que son couple était sous évaluation. De toute façon, c’était pas vraiment de mes affaires, alors j’avais pas l’intention de faire enquête là-dessus.

Sean n’a pas répondu à ma remarque, il semblait assez bouleversé. Je n’avais rien vu! Il avait très bien caché son jeu. Tout ce que j’ai pu trouver à dire c’est :

-Je suis désolé!

-T’en fais pas, c’est peut-être mieux comme ça! En tout cas, ça me laisse plus de temps pour organiser le rassemblement.

Ça expliquait peut-être aussi l’enthousiasme de Sean envers mon concept. Il avait besoin de quelque chose à quoi se raccrocher. Il avait besoin de se changer les idées. Je ne pouvais pas être certain si le timing avec l’annonce de Maria était bon, mais j’étais certain qu’il y avait un lien en quelque part. Ça expliquait aussi probablement l’insensibilité de Sean envers ma propre situation de couple. Dans le fond, toute cette situation devenait de plus en plus une affaire de cœur plutôt qu’une affaire spirituelle! Ou peut-être était-ce plutôt un mauvais mélange des deux.

-Jeff, voici où je te vois intervenir dans le spectacle (il a dit show). Au début, il y a une longue introduction historique sur les religions de toutes sortes, et les conflits interreligieux. On parle aussi de la discrimination faite en ce moment aux athées, aux États-Unis entre autres. Toi, tu viens après et tu expliques le concept d’individualisme conscient, de responsabilisation et de soutien communautaire.

-Ça va être plate en maudit ton affaire! De toute façon, il n’est pas question que je participe au spectacle, comme tu dis!

-Ce sera pas plate! La firme de marketing s’occupe aussi de jazzer la mise-en-scène. Je leur donne le contenu, ils font quelque chose de hot avec. Un peu comme un documentaire de la BBC, mais théâtral, en direct, avec des outils multimédias.

Sean savait que je trippais sur les documentaires scientifiques de la BBC. Je comprenais ce qu’il voulait dire, bien que je savais aussi qu’il n’aurait pas les moyens de production, ni le temps de réalisation de la BBC.

-Même si c’est très hot, je n’ai pas l’intention d’y participer. Je n’ai rien d’une vedette moi!

-Tu m’as déjà dit que tu avais fait du théâtre plus jeune. En plus, tu es capable de faire de très bonnes présentations publiques. J’ai pu le constater par moi-même.

-Les présentations que j’ai faites étaient des présentations scientifiques, devant quelques dizaines de personnes. Elles n’avaient rien de hot ou de multimédia. De toute façon, oublie-moi, je refuse par principe!

-Quel principe?

-Le principe que je ne veux pas être mêlé de trop près à ce rassemblement.

-Mais tu y es mêlé, que tu le veuilles ou non! Tu as même participé à l’entrevue du journal de l’université!

-J’y ai participé en mentionnant certaines préoccupations comme tu le sais. Ces préoccupations sont assez grandes pour m’inciter à m’éloigner un peu de l’événement. De plus, je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin de ça. Je suis à l’aise avec ma façon de voir les choses. Je n’ai aucun besoin de la partager avec des centaines de personnes.

-Des milliers Jeff, des milliers, on attend environ 2000 personnes au PEPS!

-Tes pas sérieux! Qu’est-ce qui te fait dire ça?

-C’est la capacité du PEPS, en y ajoutant le plancher, que l’on va utiliser.

-Mais qu’est-ce qui te fait dire que tu vas remplir le PEPS?

-Fais-moi confiance, on fait tout ce qu’il faut!

-Quelques centaines ou quelques milliers ne change rien à ma décision, au contraire!

-Et qu’est-ce que tu fais des médias? Il y aura tous les médias de la région de Québec qui seront là; peut-être même des journalistes de Montréal!

-J’aimerais bien passer dans les médias, mais pour autre chose que ça; pour une découverte scientifique importante par exemple.

-Rêve pas en couleurs, c’est ta chance, profites-en!

-Coudonc, est-ce que tu renies ta formation scientifique?

-Il est fort possible que je laisse tomber la science pour me lancer corps et âme dans la défense de cette initiative! C’est peut-être le combat de ma vie; de notre vie, pourquoi pas?

-Calmes-toi un peu, Sean.

-Ce n’est pas le temps d’être calme, c’est le temps d’être enthousiaste. Je te présente le programme du rassemblement :
-D’abord l’intro dont je t’ai déjà parlé.
-Ensuite, on explique que l’on recherche une solution à ça.
-Ensuite, la présentation du concept, que j’aimerais bien que tu fasses.
-Ensuite, des témoignages multi-religieux, multi-croyances locaux et internationaux. On va avoir la possibilité d’utiliser un système de vidéoconférence pour aller chercher des témoignages un peu partout. On va avoir un écran géant au PEPS tu sais!
-Vient ensuite la conclusion où j’essaie de répondre à tes préoccupations. Je rassure tout le monde. Il ne s’agit pas d’un mouvement, il s’agit d’une suggestion pour alimenter les réflexions individuelles. J’invite le monde à signer une pétition pour la paix et le respect entre tous groupes moraux ou religieux que l’on enverra à l’ONU. J’invite aussi les gens à venir manger et discuter avec les témoins sur place, de façon tout à fait informelle. Voilà, ça devrait couvrir 2 heures.

-Et ce sera bilingue ce spectacle?

-Non, ce sera en français, avec certains témoignages étrangers qui seront traduits simultanément en sous-titres. Les témoignages seront enregistrés à l’avance bien sûr.

-Et toi, tu vas faire ta contribution en français; j’en doute!

-Oui monsieur, c’est le défi que je me donne! Je vais avoir le temps de me pratiquer d’ici là. Les gens vont apprécier l’effort que je vais faire. Ils ne m’associeront pas à un colonisateur, comme tu m’as déjà fait remarquer que l’on pouvait être perçu ici, si on fait des suggestions en anglais à tes concitoyens.

-Tu as vraiment pensé à tout Sean. En tout cas, bonne chance pour le français, je crois que ce sera pas facile pour toi. J’ai bien hâte d’entendre ça!

-Puisque tu y seras pour l’entendre, pourquoi pas participer? Ça pourrait être comme témoin si tu ne veux pas expliquer le concept. Tu vas quand même pas me laisser prendre toute la place!

Il me connaissait bien le Sean, il savait que ça me dérangeait effectivement beaucoup qu’il se mette en vedette et prenne toute la gloire pour lui, alors que le catalyseur de tout ça c’était moi. D’un autre côté, j’aurais peut-être aimé mieux ne rien catalyser du tout. Cette ambivalence me tuait. Si je voulais récupérer Catherine, il était évident que je devais m’abstenir. Par contre, peut-être que Sean avait raison, peut-être que j’allais manquer une grande opportunité de faire le bien autour de moi. On dit souvent que derrière tout grand homme, il y a une grande femme. Est-ce que Catherine était assez grande pour moi? Qu’est-ce qui m’arrivait d’avoir des pensées aussi macho? Pourquoi la maxime que je me répétais souvent, keep it simple, ne s’appliquerait-elle pas en ce moment? Ne serait-il pas beaucoup plus simple de finir calmement ma thèse, « auprès de ma blonde, qu’il fait bon, fait bon, fait bon »?…Étais-je un paresseux de ne vouloir que cette petite vie douce? J’étais vraiment tout fourré. Il fallait que je change de sujet avec Sean.

-T’as un budget de combien pour tout ça, 100 000$?

-Pour l’instant, on a un budget préliminaire autour de 50 000$, mais il est très approximatif puisque l’on a pas eu beaucoup de temps pour le préparer. On n’exagère pas cependant! Pour la bouffe par exemple, on limite ça à des petits sandwichs pour 1000 personnes. S’il en manque, les gens iront souper ensemble aux alentours. Pour le PEPS, on a eu un prix d’ami. Là où on met le paquet, c’est pour le marketing, pour l’écran géant et le système de son. Il faut avoir du monde et il ne faut pas qu’ils s’ennuient. Le reste, c’est secondaire. Il y a aussi les relations avec la presse pour lesquels nous avons embauché une relationniste.

-Et le message dans tout ça, c’est secondaire?

-C’est secondaire au niveau de l’organisation du rassemblement. Si on réussit ce que je t’ai dit, c’est certain que le message passera! Sinon, même si le message est super bon, on oublie ça, on a perdu notre temps.

-Pis ton budget lousse, qui va éponger les dépenses excédentaires s’il y en a?

-Mon père; il sait exactement dans quoi il s’embarque, il est parfaitement au courant et il accepte les conditions. Il a mis un plafond à 100 000$, et on ne se rendra jamais là. Tu sais, son nom apparaîtra comme commanditaire principal de l’événement, alors il ne fait pas ça juste pour moi. Lui aussi il veut laisser un héritage positif.

-Alors on fait pas ça pour partager une suggestion constructive, on fait ça pour se bâtir un héritage, laisser notre marque! Tu me disais égoïste de ne pas partager mon idée. Finalement c’est toi qui es égoïste de la partager. Tu fais ça pour toi, pour le souvenir que tu lègueras au monde. Ça sent pas très bon tout ça!

-Et pourquoi ce qui est bien pour nous ne pourrait pas être bien pour les autres? Je ne m’empêcherai pas de faire du bien aux autres car ça m’en fait à moi aussi!

Là il m’avait eu, j’étais bouché et il le savait.

-Alors, tu embarques Jeff?

-Je vais te dire ça demain OK? Il faut que je réfléchisse.

-C’est déjà mieux que tout à l’heure. OK pour demain, je passe te voir à ton appart pour dîner, ça va?

-OK pour le lunch.

-En attendant, je vais planifier le spectacle comme si tu acceptais d’y participer. J’ai confiance!

-C’est à tes risques et périls, Sean mon homme!

Moi qui allais voir Sean pour obtenir des réponses à mes questions. Je ressortais de cette rencontre avec encore plus de questions, mais cette fois, c’était à moi que je devais les poser.

Chapitre 5. 2 juin 2006

J’ai donc entrepris de réfléchir; de faire mes devoirs, comme l’exigeait Catherine. Est-ce que je pouvais vivre ma spiritualité en sourdine, ou devait-elle prendre toute la place? La réponse était évidente me semble-t-il. Je n’avais pas l’intention de devenir moine ou prêtre. J’avais l’intention de vivre dans le quotidien, dans la société moderne; pas en marge. Il m’arrivait quelque chose de bizarre, qui avait pour thème la spiritualité. Par contre, ce qui m’attirait dans ça n’était pas le thème spirituel comme tel. C’était plutôt la possibilité de changer le monde, d’avoir un impact grand public. J’aurais sans doute vécu des choses similaires si un réalisateur d’Hollywood était venu me découvrir, ou si une agence de mannequins m’avait recruté… comme je ne suis pas une beauté rare, ça ne risquait pas d’arriver. Par contre, hypothétiquement, ce ne serait pas parce que je devenais un comédien connu que la comédie, le cinéma, le jeu d’acteur, deviendraient les phares de ma vie. Il s’agirait d’une opportunité, une chance, s’étant présentée à moi et dont j’aurais décidé de profiter. Il était évident que Catherine ne voyait pas les choses de cette façon. Il était également évident que le thème de la spiritualité était un sujet beaucoup plus sensible que celui du cinéma hollywoodien. Je comprenais donc Catherine de réagir comme elle le faisait. Si je devais être honnête avec moi-même, il était aussi évident que je ne vivrais pas une telle tourmente s’il ne s’agissait que de déménager à Los Angeles pendant un certain temps. Il fallait que je voie les choses en face, ce n’était pas si simple. La réponse à la question de Catherine, elle, était simple : je mettais facilement ma spiritualité en sourdine, en arrière-plan. Par contre, si j’embarquais dans l’aventure de Sean, celle-ci reprendrait le premier rôle; pour moi, comme pour les autres. Je devais donc trouver le moyen de me sortir de l’engrenage en cours. Il n’était sûrement pas trop tard.

Je me poussais à réfléchir à des moyens de me sortir élégamment de cette situation peu commune, mais mon esprit divaguait et se concentrait sur d’autres sujets. C’était comme si je me refusais à moi-même de chercher une véritable solution. Est-ce que c’était parce que c’était trop difficile ou trop pénible? Est-ce que c’était parce que je désirais me laisser porter encore un instant par la tempête et voir où ça allait me mener avant de prendre une décision? Cette deuxième option, où j’essayais de gagner du temps par rapport à mes responsabilités, me faisait honte. C’était un jeu dangereux qui ne me ressemblait pas. Je me laissais mener passivement par les événements. Je pouvais facilement me réveiller et réaliser qu’il était trop tard pour faire marche arrière. Il me fallait me prendre en main. Mater la tempête plutôt que de me laisser porter par elle. Mais je n’y arrivais pas. Je refaisais le monde, réfléchissais à pleins de questions importantes, mais je ne m’occupais pas vraiment de mon cas. Je me rassurais sur mon intelligence, mais je n’utilisais pas celle-ci pour régler mon problème. Comment pouvait-on être aussi con, tout en réalisant parfaitement qu’on l’était?

C’est vrai tout de même que la manière que s’exerce la démocratie de nos jours m’inquiète. On critique nos politiciens de parler avec la langue de bois. Mais quand ils parlent crûment, la moitié de la population s’insurge aussitôt. On ne leur laisse plus le bénéfice du doute une fois au pouvoir. On ne leur laisse pas remplir leur mandat à leur façon, en sachant que l’on va évaluer leur bilan dans quelques années. La population désire s’impliquer dans tous les dossiers, au rythme des sondages. Pour les dossiers les plus complexes, on se fie aux groupes de pression. Pour les dossiers plus banals, on se sent capable d’exercer notre pouvoir de citoyen, on s’y oppose directement. Un changement de nom de rue à St-Alphonse-de-meuh-meuh : aux armes citoyens! C’est facile de trouver des moyens de s’opposer à une initiative. C’est tellement grisant pour un quidam de montrer qu’il est capable de faire dérailler les idées des élus; même s’il a voté pour cet élu… la question n’est pas là, la question est de vivre son trippe de pouvoir! Évidemment, ces power trips viennent en partie de la crise de confiance envers les élus. On ne pourrait être fier de faire dérailler une initiative d’un gourou charismatique. Donc, la seule façon de faire avancer la société de la manière dont on utilise notre système politique est soit :
a) que les politiciens utilisent la ruse (langue de bois ou autres),
b) demander de donner la chance au coureur (ce que personne ne semble plus prêt à faire),
c) d’élire des leaders charismatiques.
La dernière option semble la meilleure, mais la plus dangereuse. Le leader étant charismatique, on se retrouve avec l’autre côté de la médaille. Il peut tout faire, sans se faire réellement questionner. Des fois, on refuse même d’élire le politicien charismatique; car il nous fait peur. L’idéal est donc un leader charismatique qui est sous-estimé par la population; on approche du ridicule! Un leader charismatique, c’est un peu une petite dictature à court terme. Je m’inquiète de considérer parfois qu’une dictature pourrait être un meilleur système politique que la démocratie de l’immobilisme actuelle. Mais le pouvoir corrompt, la dictature est trop dangereuse! J’en reviens à la démocratie, mais sans l’immobilisme, qui la limite à la gestion du quotidien. Y a-t-il un moyen d’exercer notre démocratie sainement? Faut-il réviser ce système politique de fond en comble pour se faire; ou est-il possible de trouver les ajustements nécessaires pour nous sortir de cette espèce d’immobilisme qui pollue nos vies? Pourquoi n’a-t-on pas un préjugé favorable envers le changement? C’est ça la vie! Plus ça change, plus c’est pareil; c’est vrai! Mais il faut quand même que ça change, sinon la vie ne mérite pas d’être vécue. On sait très bien qu’on arrivera pas à faire de la société un paradis, mais il faut se tuer à essayer quand même, sinon c’est le suicide collectif. Il faut cesser d’être si fataliste, si défaitiste, si blasé, si cynique; il faut être volontaire. Il faut casser le syndrome « pas dans ma cour ». Il faut valoriser le cobaye qui va nous permettre de tester un concept porteur d’espoir. Il faut cesser de ne vouloir agir que si un dossier n’est associé à aucun risque, c’est impossible! Pourquoi le risque calculé ne reprend-il pas sa position de noblesse? Pourquoi ne pourrait-on pas aller de l’avant quand les bénéfices surpassent les inconvénients? Un dossier sans inconvénient, au moins potentiel, ça n’existe pas. Il faut que cette affirmation redevienne l’évidence qu’elle est, sans arrière-goût péjoratif. Il faut que ceux qui prêchent le non-compromis recommencent à être vus comme des empêcheurs de tourner en rond, plutôt que comme des héros. S’il y a des risques, gérons-les. N’essayons pas des les éviter à tout prix. Quand j’entends une quantité de gens intelligents dirent qu’il ne faut pas ouvrir la question du suicide assisté car il y a des risques de dérapage, j’ai envie de vomir. Ces mêmes personnes admettent souvent aussi que dans la majorité des cas, ce serait une bonne façon d’assurer la dignité de l’Homme; alors pourquoi l’immobilisme? On est paresseux? On a peur de se tromper? On a peur de ne pas être à la hauteur? Cette attitude de loosers venant des supposés leaders de notre société est assez décourageante. Ces leaders devraient être stimulés par le défi, vouloir laisser une solution en héritage de leur passage au pouvoir. La responsabilisation que je prêche, c’est ça aussi! Il faut recréer l’optimisme dans la société. Il ne faut pas attendre les politiciens pour créer l’engouement. Si on est dans une vraie démocratie, ce sentiment doit être généralisé, venir de la base et s’élargir à tous et toutes.

Les groupes de pression ont leur place, il faut décider en connaissance de cause. Par contre, s’opposer pour s’opposer est trop facile. Il faut dévaloriser l’opposition non-constructive. Il faut valoriser l’action, la volonté de faire mieux. Pour se faire, je suggère d’abolir l’opposition oppositionniste de la Chambre des communes et de l’Assemblée nationale. Quel message on envoie à la société en créant des entités politiques dont le rôle est de s’opposer pour s’opposer? Il faut envoyer le message contraire. De plus, ce ne sont pas les députés d’opposition qui déterrent les scandales et découvrent les erreurs de gouvernance; ce sont les journalistes ou les vérificateurs. Plusieurs personnes prêchent l’abolition du sénat, qui pourtant a le rôle d’améliorer les projets de loi. Moi, je vais être à contre-courant, je prêche de donner plus de pouvoir au sénat, même de recréer le sénat québécois. Je prêche l’abolition des confrontations inutiles entre le parti au pouvoir et les partis d’opposition dont le seul but est de planter l’adversaire dans un débat oral afin d’avoir un clip marquant aux bulletins de nouvelles du soir.

J’en étais à peu près là dans mes élucubrations inutiles, dans mon pelletage de nuages, quand Catherine m’a appelé à l’heure convenue. Je n’avais malheureusement pas grand-chose à lui offrir en ce qui concerne mes réflexions. J’étais quand même très heureux d’entendre sa voix.

-J’ai eu un bon succès avec mon poster. Je ne savais plus où donner de la tête pendant toute la période de 2 heures où j’ai reçu les visiteurs. J’ai eu plusieurs bonnes questions. J’ai ramené une cinquantaine de cartes d’affaires avec des demandes de suivi. Des grosses entreprises américaines se sont même intéressées à mes travaux. Ma référence scientifique, Dr Bosworth de Grande-Bretagne, je ne sais pas si je t’en ai déjà parlé, elle est même venue me voir pour me dire qu’il s’agissait d’un excellent travail. J’étais vraiment émue. J’ai bégayé une réponse absolument incompréhensible. Elle m’a dit qu’elle serait intéressée à collaborer avec notre groupe. Tu imagines!

-Je suis super content de voir que ça a bien été. Étais-tu seule pour présenter ton poster?

-Non, j’étais avec mon superviseur. Mais, il a rencontré un ami américain au tout début de la présentation et je ne l’ai plus revu par la suite. Il a beaucoup regretté de ne pas être là quand Dr Bosworth est venue voir le poster.

-Tant pis pour lui. Est-ce que la conférence est un gros succès?

-C’est énorme cette conférence. Je crois qu’il y a environ 10 000 participants. Je capote. Ça n’a rien à voir avec les petites conférences québécoises et canadiennes auxquelles j’ai déjà participées.

-As-tu eu le temps de visiter un peu la ville?

-Oui, pas mal à part de ça, on est un petit groupe d’étudiants de l’université Laval et on sort ensemble tout le temps. C’est complètement révoltant cette ville. Ailleurs dans le monde, on se préoccupe d’économiser l’énergie, ici on gaspille dans l’allégresse et personne n’a rien à redire. Pour moi, c’est le meilleur symbole de la déchéance américaine. On montre notre opulence à la face du monde, tant pis si vous crevez de faim ou si on gaspille des ressources non-renouvelables qui mettront tout le monde dans le pétrin.

-J’imagine qu’il y a quand même moyen d’avoir un peu de fun malgré tout.

-C’est sûr que c’est un trip de gang et qu’on a quand même du fun ensemble. Reste que ce mauvais feeling teinte toutes mes impressions de cette ville absolument artificielle. Mes amis, qui sont capable de se laisser aller et de profiter de ce gros parc d’amusement, me reprochent mon attitude de militante enragée. Moi, je leur reproche leur insensibilité. Combien de familles se retrouvent dans la merde à chaque jour parce qu’un des parents a tout perdu à Las Vegas? En tout cas, j’aime autant limiter les conversations à la conférence, sinon on a beaucoup moins de fun ensemble.

-Qu’est-ce que tu as vu?

-Je visite avec les autres, le Strip, les grands hôtels, mais pour moi c’est comme si je prenais des notes en vu d’accumuler les évidences contre le coupable. Ça n’a rien d’un émerveillement, comme c’est le cas pour les autres.

-Et qu’est-ce que tu vas faire d’ici ton retour?

-Je reviens dimanche soir comme tu le sais. La conférence vient tout juste de se terminer. Je crois qu’on va louer une auto et aller dans le coin de Death Valley demain. Je suis très curieuse de voir ça.

-Est-ce que tu veux que j’aille te chercher dimanche?

-Non, mon boss va me donner un lift jusque chez moi, c’est déjà organisé.

-OK, et tu n’as pas peur d’attraper un coup de chaleur à Death Valley?

-C’est certain qu’il fait vraiment extrêmement chaud ici. Je veux dire à l’extérieur. À l’intérieur, on gèle. Ils mettent l’air climatisé à bien trop basse température, encore du gaspillage!

-Bon, ne recommence pas, parle moi plutôt de Death Valley.

-On sait qu’il va faire encore plus chaud là-bas. On s’est bien renseigné et on va se préparer en conséquence. On fait un aller-retour dans la même journée, on ne va pas coucher là-bas. Nos chambres d’hôtel sont payées par l’université Laval jusqu’à dimanche, alors on va en profiter au max.

-Ça fait combien d’heures de route cet aller-retour? C’est pas banal, me semble.

-Ça fait environ 3 heures de route, deux fois 1.5 heures environ, y’a rien là. En plus, on sera 4 pour se relayer au volant. Si l’air climatisé tient le coup, on n’aura pas de problème. On va quand même avoir plusieurs heures pour profiter du paysage sur place.

J’osais pas parler de nous et de notre situation. Je voulais pas avoir l’air du casseux de party, mais je commençais à en avoir un peu assez du small talk. Je m’inquiétais aussi un peu de constater qu’elle ne semblait pas vouloir en parler non plus. Avait-elle peur de m’annoncer une conclusion trop brutale, avait-elle déjà décidé de passer à autre chose? Elle m’a vite rassuré cependant, comme si elle sentait que je commençais à me poser de sérieuses questions à l’autre bout de la ligne. Après une petite pause dans la conversation, et un petit malaise qui flottait dans l’air, elle m’a dit :

-Je crois que le temps de voyage dans le désert sera parfait pour un peu de méditation sur notre couple. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour y penser depuis que je suis ici, mais ça reste ma priorité, j’espère que tu en es conscient.

-Donc, de ton côté, rien de nouveau par rapport au break.

-Pas vraiment non, j’espère que tu comprends.

-Oui, d’une certaine façon, je suis content que tu aies pu profiter de ta conférence comme il se doit, sans arrière-pensée.

C’est vrai que j’étais content pour elle. J’étais aussi soulagé de constater que nous en étions au même point. Par contre, je trouvais que la priorité de notre cas prenait le bord facilement pour Catherine. De mon côté, je n’étais pas capable de faire abstraction de notre situation aussi facilement. Je n’avançais pas, mais j’essayais au moins. Notre niveau d’engagement l’un envers l’autre n’était peut-être pas de même niveau. Par contre, le texte qu’elle m’avait écrit semblait prouver le contraire.

-Jeff, tu sais très bien que c’est toujours en arrière-pensée, et très présent. Par contre, c’est un sujet qui mérite toute mon attention. Je ne vais pas y réfléchir à la sauvette, alors que je dois quand même m’assurer de montrer à mon prof qu’il n’a pas perdu son argent en m’envoyant ici. J’ai dû faire mon travail d’étudiante, voir les présentations pertinentes (et il y en a un méchant tas) et rencontrer du monde.

-Je comprends je te dis!

-Mais toi, j’imagine que tu as pas mal de chose à me raconter.

Pas tant que ça, en fait, mais j’étais content qu’elle aborde le sujet!

-J’ai beaucoup pensé! J’essaie de trouver un moyen de me sortir élégamment de la situation actuelle. Je n’ai pas encore trouvé, mais je vais y arriver!

-Tu sais, si ton objectif est de t’en sortir, l’élégance de la sortie n’est peut-être pas une nécessité!

-Il faut quand même ne pas blesser des personnes qui ne méritent pas de l’être. C’est important pour moi de ne pas tout casser en sortant. Si j’agis trop brusquement, je ne serai plus capable de me regarder dans le miroir après. Ce ne serait pas nécessairement bon pour notre relation que je me sente coupable et que tu partages avec moi la persécution que l’on réserve aux gros méchants.

-Jeff, tu fais peut-être une montagne avec pas grand-chose. C’est quand même pas si difficile de dire non merci à Sean!

-Pour l’instant, je trouve pas ça si simple en tout cas, mais je vais continuer d’y réfléchir.

Je pouvais quand même pas lui dire que je voulais m’assurer de ne pas manquer le bateau par rapport à une opportunité potentiellement unique.

-OK, je fais la même chose de mon bord comme tu le sais!

-Est-ce que je t’ai parlé de l’article du Fil des événements auquel j’ai participé en ce qui concerne le rassemblement?

Il fallait bien que je lui en parle. Elle allait finir par le savoir. Par contre, pour un gars qui disait chercher une porte de sortie, j’avais l’air plutôt hypocrite en parlant de cet article.

-Pardon! Tu participes directement à l’organisation du rassemblement maintenant?

-Ça n’a rien à voir avec l’organisation. Sean a insisté pour que je participe à l’article en tant qu’instigateur du concept. Même que j’ai participé à l’entrevue à condition que je puisse transmettre mes inquiétudes au sujet du rassemblement.

-Je sais pas Jeff, ça ne me dit rien de bon cette affaire-là!

-C’est quoi ce bruit que j’entends derrière toi?

-C’est la gang qui s’impatiente. On a prévu aller faire un tour en ville, entre autres pour magasiner les autos à louer. On est en plein milieu de l’après-midi ici tu sais.

Autant je voulais la rassurer sur mon détachement concernant le rassemblement, autant je n’aimais pas régler cette question devant témoins. De toute façon, je voyais bien que Catherine n’était plus toute avec moi. Il n’était plus possible de vider la question. J’avais trop attendu pour amener le sujet et j’en payais le prix.

-Je sais. Quand est-ce qu’on se revoit à ton retour?

-Donne-moi un peu de temps pour récupérer du voyage. Je pourrais t’appeler mardi… mais j’y pense, selon l’entente de la pause, je devrais t’appeler vendredi prochain seulement… Je dois te laisser, ils s’impatientent de plus en plus ici.

-Tu me manques tu sais!

-Tu me manques aussi Jeff! OK, bye, à vendredi prochain!

-Bye, à vendredi!

On venait de se laisser sur une note d’inquiétude. Je n’aimais pas ça du tout. Surtout que je n’avais pas la possibilité de corriger le tir avant une semaine complète. Rien pour m’aider à gérer mon stress!

Chapitre 5. 29 mai 2006

La journaliste est finalement arrivée à 11h35. J’étais à la veille d’appeler chez Sean. Elle s’est excusée de son retard en me disant à quel point elle était intéressée par le sujet, ce qui l’avait amenée à poser plus de questions que prévu à Sean.

Elle s’appelait effectivement France Jolicoeur. Elle était employée à temps plein au journal Le fil des événements, bien qu’elle faisait aussi de la pige ailleurs. Quand l’occasion se présentait, m’a-t-elle expliqué. Elle devait avoir pas loin de 30 ans. Elle semblait professionnelle et motivée par son travail. Elle avait un enregistreur miniature, ainsi qu’un cahier de notes. Après s’être confortablement installée, elle m’a dit qu’elle n’avait besoin de rien et m’a expliqué la démarche qu’elle allait suivre dans le but de rédiger son article. Elle m’a dit que son intérêt était davantage de souligner l’initiative étudiante gratuite, sans recherche d’avantage personnel, plutôt que de parler du concept derrière l’initiative. Elle voulait aussi souligner l’étroite collaboration entre l’étudiant visiteur et l’étudiant résident du couple Sean / Jean-François. Elle m’a dit par contre que, suite à sa discussion avec Sean, le concept l’intéressait davantage et qu’elle tenterait de bien l’expliquer dans l’article, sans en faire le nœud de son texte. Elle m’a dit qu’elle croyait maintenant être peut-être en mesure de faire aboutir cet article en première page du journal, souhaitant du même coup que d’autres événements d’actualité ne se présentent pas à la dernière minute, pour lui voler sa position-vedette. Elle semblait persuadée que l’article allait être publié vers la fin de la prochaine semaine. Un photographe allait passer d’ici quelques minutes (vers midi) pour prendre une photo de moi qui allait accompagner l’article, avec une photo de Sean, et une autre du PEPS, où se tiendra le prochain rassemblement.

Elle m’a expliqué ce que Sean lui avait raconté. Rien de bien nouveau dans ce cas, c’était une répétition du discours que j’avais déjà entendu, avec l’ajout d’éléments démontrant l’engouement que créait maintenant cette initiative. Sean lui avait mentionné que le concept était de moi, alors c’est à ce sujet qu’elle a lancé sa série de questions. J’ai répondu poliment, mais brièvement, en tentant de l’attirer vers les risques que pouvait prendre cette initiative. Il s’agissait d’un terrain glissant, où la volonté de trouver un terrain neutre et rationnel pouvait soulever les mêmes passions belliqueuses que l’on tentait de dénoncer. Elle ne voulait vraiment pas aller dans cette direction, mais j’ai assez insisté pour qu’elle n’ait pas le choix.

-Vous semblez très préoccupé par les réactions que pourraient susciter ce rassemblement, M. Lahaie. Est-ce que vous désirez démontrer que votre initiative n’est pas teintée de naïveté? Que vous êtes conscient d’aborder un sujet brûlant, mais que son importance vous incite à aller de l’avant malgré tout?

Elle semblait vouloir à tout prix trouver une interprétation positive à mes réticences. Pour l’objectivité journalistique, on repassera…

-Je ne crois pas que cette façon de présenter les choses soit juste, Mme Jolicoeur. Il s’agit plutôt de se questionner à savoir si la démarche de créer un rassemblement est la bonne afin d’aider à propager ce message. Le message se veut une suggestion de responsabilisation individuelle, dans le respect des autres. Une démarche individuelle, par le bouche-à-oreille par exemple, serait peut-être plus appropriée, plutôt que d’utiliser les outils pouvant mener au dogmatisme, ou à la perception de dogmatisme, que nous dénonçons.

-Mais le bouche-à-oreille serait beaucoup moins efficace pour votre cause. On pourrait d’ailleurs se retrouver avec une situation de téléphone arabe où le message se déforme au fur et à mesure de sa transmission.

-Ce qui me semblerait parfaitement acceptable dans ce cas. Le message se doit de se transformer au fur-et-à-mesure de sa transmission pour s’adapter aux individus et à leur réalité.

-Comment s’assurer que vous atteindrez vos objectifs dans ce cas?

-Il s’agit d’une suggestion, pas d’une cause avec des objectifs précis…

C’est à ce moment qu’on a sonné à la porte. Dommage, je crois que j’étais lancé dans une envolée orale qui aurait pu mener à quelque chose d’intéressant. C’était le photographe, bien entendu! Il n’a pas trouvé l’éclairage souhaité dans mon demi-sous-sol. Il a fallu aller prendre la photo à l’extérieur, dans le jardin de la propriétaire. Il a dû se contenter d’un sourire constipé de ma part, c’est tout ce que je sais faire quand je pose pour la caméra. Quand ce fut enfin fini, ma journaliste m’a dit qu’elle avait faim et qu’elle m’invitait au restaurant pour la suite de l’entrevue. Pourquoi pas, un lunch gratuit ne se refuse pas. De plus, je n’avais pas grand-chose dans le frigo. Évidemment, le restaurant allait peut-être restreindre un peu les envolées orales, mais ça ne me semblait pas une contrainte importante. Elle a choisi un restaurant végétarien, étant elle-même végétarienne. Ce n’aurait certainement pas été mon premier choix, mais il y avait moyen de trouver de bonnes choses à ce restaurant que je connaissais; et de plus, à cheval donné, on ne regarde pas la bride.

Elle n’a pas perdu de temps, et aussitôt assise, elle m’a lancé une première question. Je crois bien qu’elle avait eu le temps de se préparer pendant que je vivais le supplice du photographe.

-Le manque d’unanimité que vous me révéliez par rapport à la rencontre du PEPS n’est-il pas représentatif de l’ensemble de votre initiative? Un mouvement démocratique, non-dogmatique, arc-en-ciel!

Wow, je l’avais pas vue venir, celle-là!

-Peut-être bien. C’est vrai que le comité qui met en place le rassemblement est très diversifié. Notre point commun est la recherche d’un point commun semble-t-il.

Je savais pas trop quoi dire. Je brodais afin de ne pas avoir l’air trop épais.

-Parlons effectivement de cette diversité si intéressante…

Et blablabla… elle venait de réussir à me faire perdre le fil de mes revendications anti-rassemblements. Après ça, je me suis contenté de répondre à ses questions cléricales, sans jamais vraiment revenir sur le message que j’avais l’intention de faire passer. À accomplir simultanément les tâches de manger et de répondre aux questions posées, mon cerveau était saturé et n’avait pas la force de reprendre le contrôle de la conversation. Je payais le prix pour ma gourmandise, j’aurais pu me contenter d’une soupe, comme la madame. Mais non, au lieu de ça je me permettais une salade, une lasagne et un dessert. Je déployais des efforts importants pour me rendre au prochain service, tout en ne faisant pas trop attendre cette journaliste après ses courtes questions. On a parlé beaucoup de Sean et de moi, de la manière dont nous nous sommes connus, de la raison de sa présence à Québec, de notre relation d’amitié. On a aussi parlé de l’historique ayant mené à cette initiative, et maintenant à l’organisation de ce rassemblement; toutes des choses assez insignifiantes d’après moi.

Finalement, l’idée d’une entrevue au restaurant n’était pas si bonne que ça. Mon manque d’expérience en tant qu’interviewé m’a mal servi. Je ne referai plus cette erreur si j’ai un jour une autre fois le bonheur de faire une entrevue. J’espérais quand même avoir suffisamment parlé de mes inquiétudes pour que ça ressorte d’une certaine façon dans l’article à venir.