Chapitre 4. Lettre de Catherine

Je n’aime pas beaucoup les textes écris à la première personne. Je n’aime pas non plus les textes écris en langage oral. Par contre, je vais utiliser ce style pour des raisons de continuité, et surtout car je n’ai pas beaucoup de temps pour rédiger ce texte.

Ce texte explique les raisons personnelles pour lesquelles j’ai demandé à Jean-François de prendre une pause dans notre relation amoureuse. Ce texte explique également mes attentes par rapport à cette période de pause et la conclusion heureuse que je souhaite à notre couple, suite à cette période plus difficile.

D’abord, je tiens à clarifier mon impression de notre relation de couple, afin de contrebalancer certains propos que Jean-François a pu tenir à notre sujet. Je considère que notre relation se déroulait très bien jusqu’à tout récemment. Jean-François et moi nous sommes connus lorsque nous étions déjà adultes. Nous avions déjà vécu des aventures amoureuses précédemment. Nous n’étions pas blessés de nos ruptures passées. Par contre, nous savions davantage ce que nous recherchions. Nous sommes deux personnes rationnelles, stables émotivement (jusqu’à tout récemment dans le cas de Jean-François) et saines. Par ce dernier qualificatif, je veux dire que nous sommes physiquement et moralement en santé, que nous poursuivons un idéal relativement bien établi. Nous ne nous cherchons pas, à l’instar de plusieurs de nos collègues et ami(e)s. Lorsque j’ai rencontré Jean-François pour la première fois, j’ai tout de suite senti sa grande confiance en lui. Son bien-être était palpable. Il n’était pas à la recherche d’une proie féminine, mais il semblait ouvert à une rencontre pouvant lui permettre d’aborder quelqu’un d’intéressant, une femme de préférence dans son cas. J’étais dans la même situation, recherchant un homme de préférence dans mon cas. Jean-François est également très beau. Ce n’est pas nécessairement une beauté plastique, mais il a un très beau sourire. L’ensemble de sa physionomie, avec son corps athlétique, sa taille, sa démarche solide, ses cheveux en bataille, font qu’on le trouve beau, sans trop savoir pourquoi. Il dégage en effet un petit quelque chose qui nous donne le goût de lui parler.

Je n’ai pas été déçue par nos premiers rendez-vous. J’ai apprécié la découverte de son romantisme discret. J’ai surtout apprécié sa grande générosité et son insatiable curiosité. Il voulait tout faire, tout connaître, il mordait dans la vie. Ce qui me donnait le goût de mordre en lui. Il ne voulait pas me changer, il semblait m’apprécier, me respecter. Il semblait être impressionné par qui j’étais, ce que je faisais, ce que je pouvais lui montrer, lui apporter. Ces marques d’affection n’étaient pas étalées au grand jour. Il n’agissait pas pour épater la galerie, pour montrer son bonheur à la face du monde. Ses câlins se faisaient en privé, parce qu’il en avait envie. Il voulait en recevoir autant qu’en donner. Il ne vivait, ou ne vit pas seulement pour le plaisir immédiat, il a certains objectifs de vie qu’il poursuit. J’apprécie le fait qu’il veuille donner un sens à sa vie. Je n’apprécie cependant pas que cette quête prenne une place démesurée dans sa vie.

Il a encore des choses à prouver, c’est son côté enfant. Je m’en rends surtout compte lorsqu’il côtoie mon père. Mais il s’en rend compte lui-même. Il travaille à s’améliorer. Il est très impatient, c’est son plus vilain défaut. Par contre, c’est le prix à payer pour sa passion de la vie en général. Ces défauts le rendent charmant, surtout qu’il n’est pas macho du tout. Il est orgueilleux, mais pas macho. On peut expliquer cette affirmation en observant que son orgueil ne s’applique pas afin d’éviter de perdre la face par rapport à ceux qui l’entoure. Il est orgueilleux car il veut réussir sa vie et souhaite que sa communauté l’appuie dans sa démarche vers cet objectif. Il est capable de s’excuser, se donne le droit à l’erreur. En autant que ce soit une erreur isolée, qui ne se répète pas, par laquelle il apprend et peut s’améliorer.

Effectivement, ce n’est pas le meilleur amant que j’ai connu. Il n’a peut-être pas la fougue que d’autres ont plus naturellement. Sauf que lorsque l’on fait l’amour, il est là en entier. Il est tendre, chaleureux, à l’écoute de sa conjointe. Avec lui, je fais vraiment l’amour. Il ne s’agit pas d’un homme qui m’utilise, en ne pensant qu’à son propre plaisir, comme j’en ai connu dans le passé. Il ne prend pas souvent l’initiative de nous pousser vers une relation sexuelle; moi non plus d’ailleurs. Je crois que c’est dû au fait que l’on a tellement d’activités, de choses à faire, d’intérêts. Le sexe fait partie de ces intérêts. Il a l’avantage d’être exclusif et très intime, une chose particulière et précieuse. Mais ce n’est pas l’objectif ultime de notre relation de couple. C’est un petit luxe que l’on se paie à l’occasion pour se faire plaisir mutuellement. C’est la seule façon pour nous d’exprimer à quel point l’on s’aime vraiment. Car souvent, les mots ne suffisent pas.

J’aime toujours Jean-François, c’est une évidence pour moi. Je n’ai pas l’intention de voir ailleurs pendant notre pause. Mon amour est exclusif et fort. Je ne veux que du bien à Jean-François. J’ai nettement l’impression que c’est la même chose pour lui. J’ai une grande confiance en lui. Pas une confiance absolue : j’ai aussi mes périodes de doute comme tout le monde, mais je crois qu’il ne me fera jamais ce qu’il ne voudrait pas que je lui fasse. C’est un gars honnête et sensible. Je l’aime vraiment.

Il est vrai que nous nous donnions à chacun beaucoup de temps pour nos projets personnels, mais je crois que ça reflétait notre confiance l’un envers l’autre, notre volonté de voir l’autre s’accomplir. Je crois que ça témoignait de la solidité de notre couple, du bon équilibre de notre relation. Je suis désolée de voir que Jean-François a perçu les choses différemment. Je suis désolée qu’il doute de la solidité de notre couple. Je ne considérais pas du tout que nous nous éloignions, bien au contraire! Quand je fais mes projets personnels, j’ai hâte de lui montrer les résultats. Il me motive à bien faire car je souhaite qu’il soit fier de moi. J’ai hâte de lui parler de ce que je fais! J’aime profiter de son esprit d’analyse lorsque je vis une période d’incertitude. C’est vrai, je crois que notre couple n’a presque pas vécu la période de passion du début d’une relation. On est tout de suite passé au stade de l’amour-amitié, mais je ne vois rien de malsain à ceci. Notre amour n’est peut-être pas aussi intense que d’autres, mais il a certainement le mérite d’être très dense.

Cette période de réflexion, cette pause, est nécessaire afin de s’assurer mutuellement que nous sommes sur la même longueur d’onde au sujet de la perception de notre couple. De plus, je veux m’assurer que la spiritualité de Jean-François prend une place raisonnable dans sa vie. Une place avec laquelle je suis à l’aise. Je veux m’assurer que ce qui se passe présentement ne lui montera pas à la tête. Je veux que sa spiritualité, et la mienne - mais c’est déjà mon cas - inclut de manière prioritaire notre relation de couple. J’ai toujours eu un malaise avec la réflexion spirituelle de Jean-François. Elle est très extravertie par rapport à la mienne. Il semble rechercher une vérité absolue. Alors que moi, je ne recherche que le bien-être, une philosophie qui fait que je sois à l’aise avec moi-même et mon entourage. Je suis en partie agnostique, car je ne cherche pas à tout comprendre, sachant que c’est impossible. Je sais de plus qu’aucun mouvement religieux actuel ne répond parfaitement à ma philosophie personnelle, alors je n’adhère à aucun d’eux. J’écoute cependant, et je prends ce qui me semble bon à gauche et à droite, dans chacune de ces religions, mais pas juste dans celles-ci; dans les discours familiaux, de philosophes, de jovialistes et même de politiciens charismatiques parfois. Évidemment, mon éducation catholique fait que j’ai principalement été influencée par celle-ci. Par contre je rejette totalement la perception des femmes par le catholicisme actuel. D’ailleurs, je rejette la perception des femmes dans presque toutes les religions que je connais. Ça met en lumière que ces religions sont des mouvements d’hommes, au même titre que des mouvements politiques, et ça n’a rien à voir avec la parole de Dieu. Est-ce que je connais toutes les religions et ce qu’elles ont à offrir : non?! J’y consacrerai du temps lorsque le besoin se fera sentir. Pour l’instant, j’ai assez d’information pour me bâtir une structure de valeurs qui me permet d’atteindre le bonheur et ça me suffit. Est-ce que je crois en Dieu? J’aime souvent penser qu’il y a une puissance suprême qui donne un sens à tout ce qui nous entoure, qui veille sur nous, c’est rassurant. Je dirais que j’aime croire en Dieu, mais que je n’y crois pas nécessairement. Dieu existe car il me fait du bien de penser à lui. Un peu comme le père Noël quand on est jeune. S’il existe, est-il important que je le louange, que je lui accorde une grande place dans ma vie? Je ne crois pas. J’imagine que s’il existe, il serait beaucoup plus important pour nous d’investir notre temps à faire progresser sa création plutôt que de la détruire, plutôt que de s’entre-déchirer en son nom. Une chose est certaine, s’il existe, il n’y en a qu’un. Il n’y a pas un Dieu pour les arabes, un autre pour les asiatiques et un autre pour les caucasiens. Ce qui nous ramène à rejeter les religions. Je me définirais donc comme une agnostique non-catégorique, une agnostique opportuniste. Une agnostique qui regarde les menus et qui refuse de prendre une table d’hôte en particulier, la même table d’hôte tout le long de sa vie. Contrairement à une agnostique convaincue, je ne me refuse pas à y réfléchir; mais je me refuse à y réfléchir jusqu’à en être complètement convaincue. Cette réflexion est un outil pour construire mon bonheur, pas le pilier sur lequel je bâtis toute ma vie. Je ne me bâtis aucun modèle ou théorie, il y a déjà assez de solutions existantes pour que je puisse piger à gauche et à droite ce qui répondra à un besoin particulier, au moment où je le vis.

Ceci dit, est-ce que je serais capable de vivre en couple avec quelqu’un qui fait de sa réflexion spirituelle le pilier de sa vie, plutôt qu’un outil? Peut-être, c’est en partie la question que je vais me demander durant cette période de pause. Si le pilier ne prend pas toute la place, sert d’appui, mais agit en coulisse, je ne crois pas que ça posera de problème. Si le pilier sert à bâtir une structure de valeurs, mais qu’il disparaît la plupart du temps pour laisser la place au quotidien; si le pilier ne revient que pour des périodes ponctuelles, en cas de besoin, suite à une remise en question ou un besoin d’enrichissement de sa structure de valeur, il n’y aura pas de problème. C’est une perspective différente de la mienne, mais on en arrive au même résultat : on vit sa vie en entier plutôt que de se faire moine dans sa propre abbaye. Est-ce que Jean-François va réussir à mettre le pilier en sourdine dans sa vie, plutôt qu’en premier plan? Ça reste à voir! Je sais bien que c’est la réaction de Sean qui impose présentement de mettre le pilier en premier plan. Ce n’est pas vraiment Jean-François qui a provoqué la situation. Mais le résultat est le même s’il est impliqué. Jean-François verra-t-il dans la situation actuelle une occasion de réussir sa vie, de faire sa marque? Si oui, il deviendra pèlerin et il devra se chercher une partenaire pèlerine qui ne sera pas moi. D’une certaine manière, la rédaction de ce petit paragraphe me fait mieux comprendre la pertinence du célibat des prêtres, que j’ai toujours tant décriée.

Donc, la pause permettra à Jean-François de décider de l’importance qu’il accorde à l’initiative de Sean dans sa vie. Mais pas juste à l’initiative de Sean, à toute autre initiative « spirituelle » à venir. Ça me permettra d’assimiler l’importance qu’a sa réflexion philosophique pour Jean-François, de ne plus être mal à l’aise par rapport à celle-ci, si elle retourne à l’arrière-scène. Elle me permettra de m’assurer que je suis bien à l’aise avec ma propre spiritualité. Que mon malaise par rapport au discours de Jean-François ne provient pas, en fait, de mon propre malaise d’avoir une spiritualité fragile ou incomplète. Elle nous permettra aussi de nous assurer que nous partageons une vision d’avenir commune pour notre couple, que nous nous aimons vraiment l’un l’autre comme j’ai toujours pensé que c’était le cas.

Je m’attends à ce que cette pause ne dure pas plus de quelques mois, la période estivale probablement. Je m’attends à ce que nous restions fidèles, amis et respectueux durant cette période. Que nous respections notre entente d’un contact par semaine, quoi qu’il arrive. Que ces contacts ne soient pas utilisés pour débattre de nos réflexions respectives. Ces contacts doivent servir à simplement rester en contact, à prendre des nouvelles, à présenter les conclusions lorsqu’elles seront disponibles. La période de pause ne doit se terminer que lorsque les deux parties auront tirées leurs conclusions. Si un a terminé sa réflexion avant l’autre, alors il attendra patiemment. Le couple ne reprend que si les conclusions de chacun mènent à ce constat de façon claire et évidente. Si la conclusion d’un des deux parties est que le doute va persister encore longtemps, alors c’est la fin du couple. S’il n’y a pas unanimité entre les deux parties, alors c’est la fin du couple. Tant pis pour celui qui y croit. C’est froid et directif comme description de mes attentes, mais je crois que c’est honnête et que ce sera acceptable pour toi. On pourra en reparler vendredi prochain si tu veux.

Les conclusions souhaitées pour notre couple suite à cette pause me semblent évidentes. Je veux que l’on se retrouve. Je veux que l’on partage ensemble le but de fonder un jour une famille. Je veux que l’on soit à l’aise avec la spiritualité de l’un et de l’autre. Je veux que cette spiritualité joue un rôle secondaire dans notre quotidien, un rôle d’arrière-scène. C’est drôle, mais au moment où j’écris ceci, je suis persuadée que ce sera le cas, je n’ai presque aucun doute. Mais ne profite pas de ma confiance pour ne pas faire tes devoirs, M. Lahaie. Je te promets de faire de même.

Merci Jean-François, je crois finalement que tu avais raison. Le fait d’écrire ce texte est sans doute la meilleure façon d’aborder la situation actuelle entre nous. J’ai l’impression d’avoir pu t’exprimer des choses que je n’aurais pas pu avouer autrement. Ça démontre peut-être un petit problème de communication dans notre couple. Mais ce n’est déjà plus un problème puisque la solution existe. S’il ne nous restait que ça comme petit problème, n’est-ce pas que l’on serait bien? Je le souhaite en tout cas.

Bonne chance à toi dans ta réflexion, et bonne chance dans ta gestion de Sean et du brouhaha actuel!

Je t’aime!

Catherine
xxx

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Quelle femme quand même que cette Catherine, c’est super intéressant sa réflexion spirituelle. Dommage qu’elle ne m’en ait jamais parlé avant. Je crois bien que je l’aime moi aussi. Je souhaite de tout cœur que ça marche entre nous. Mais je n’ai toujours pas le contrôle sur la situation. Je suis par contre bien motivé à mater cette bête. La récompense en vaut la peine. J’ai promis de faire mes devoirs et je vais les faire!

Chapitre 3. 27 mai 2006

Sean est venu me voir le surlendemain matin. Il n’était pas invité, mais je n’avais pas la force de le renvoyer. Je ne devais pas être beau à voir! Je n’avais pas beaucoup dormi ces derniers temps. En tout cas, Sean, lui, il pétait le feu!

Il s’est au moins rendu compte que j’avais l’air déprimé. Il m’a dit que je n’avais pas bonne mine. Mais il n’a pas eu le temps de s’arrêter à mon cas, il avait trop de choses à me dire, il ne voulait pas que je dégonfle sa balloune. Son bonheur n’allait pas être altéré par mes malheurs. Sans attendre que je lui explique les causes de ma mine actuelle, il m’a inondé d’un flux de paroles incroyable. Je suis bon en anglais, mais j’avais quand même de la difficulté à suivre. J’aurais peut-être eu de la difficulté en français tellement le débit était impressionnant. C’était d’autant plus traumatisant que Sean a l’habitude de parler très calmement, en prononçant bien chaque mot, à la manière britannique plutôt qu’australienne.

-Jeff, c’est vraiment incroyable la réaction à notre initiative! Tu sais, on a décidé d’appeler ça une initiative plutôt qu’un mouvement, ça fait moins péjoratif, plus constructif. L’initiative pour la communauté interreligieuse en fait, qu’en penses-tu? En tout cas, ça pogne en masse! J’ai jamais vu ça! J’ai l’impression d’être une vedette de rock! J’en ai parlé à mes parents, qui en ont parlé à notre curé de paroisse. Il veut faire son sermon là-dessus demain. Il m’a appelé pour en discuter. J’ai failli le mettre en contact avec toi. Il me dit que cette initiative peut aller loin! Il peut utiliser son réseau de contacts en Australie et en Angleterre pour faire cheminer l’idée rapidement. Il est encore plus enthousiaste que moi…

Ça m’étonnerait, en fait d’enthousiasme, Sean était à la limite de l’hyperventilation. D’ailleurs je me demandais un peu comment il faisait pour respirer. Allait-il arrêter son élan verbal à un moment donné pour prendre son souffle? Pas à ce moment là en tout cas!

-…écoute bien ça Jeff, même les employés de la construction que Red (en fait, son vrai prénom est Kyle) a rencontré embarquent. Pas tous évidemment, mais la plupart nous encouragent et veulent participer. Une minorité se limite à suivre avec intérêt, et aucun ne réagit négativement à l’initiative. Le timing semble bon, le monde à envie d’entendre parler de ça. Je le savais! On a maintenant un mini-comité de soutien à l’initiative fait d’anglicans, de catholiques, d’athées, d’un juif, d’un musulman; Hamid s’est joint à nous, tu imagines, Hamid, c’est presque pas croyable; il y a aussi des haïtiens et des asiatiques qu’Anne et Kate (l’une des deux étant peut-être la petite brune cute à lunettes) sont en train de convaincre!…

-En tout cas, ne t’attends pas à recruter des témoins de Jéhovah, dis-je, me rappelant que tout avait commencé par une rencontre avec Gorgeous George. En disant ça, je tentais de détendre mon atmosphère, et de donner à Sean l’occasion de respirer, avant de devenir bleu. J’avoue quand même que l’euphorie de Sean était presque contagieuse. J’étais pris d’un mélange de goût de rire, de dépassement total, de désir de succès pour l’initiative; autant que de désir de me réveiller de ce cauchemar m’ayant mis en période de break conjugal. J’ai presque pas eu le temps de finir ma petite phrase, Sean a enchaîné sans vraiment m’écouter.

-Ça va vraiment vite, tout ça en moins d’une semaine! C’est capotant (Sean a utilisé un meilleur terme que ça, mais je n’arrive pas à m’en souvenir)! M. Skinner, notre prêtre anglican de Québec, va aussi faire des messes spéciales demain, des messes interreligieuses, avec notre initiative comme thème. J’aimerais vraiment que tu viennes! Il y aura deux cérémonies, une à 9 heures, l’autre en après-midi à 15 heures. Tous les amis que tu as rencontrés ici l’autre jour y seront. En plus des autres membres du mini-comité de soutien dont je t’ai parlé. Tu connais Hamid, André, Stéphanie…

-Stéphanie? T’es pas sérieux, Stéphanie est là-dedans?

-Oui, même qu’elle est probablement là-dedans, comme tu dis, parce que tu y es aussi. Ça l’a impressionnée de savoir qu’un athée un peu frivole comme toi se préoccupait de ce genre de question… en plus, je pense qu’elle a un faible pour toi!…

-Quoi? Je suis là-dedans moi aussi?! C’est ce que tu dis quand tu présentes ton initiative?

-Tu étais là quand j’en ai parlé à Stéphanie et au groupe du lab, tu sais très bien comment je présente les choses! De toute façon, c’est vrai, tu es associé de très, très près à cette initiative, que tu le veuilles ou non. Tu en es même l’instigateur!

-L’instigateur de l’initiative, c’est toi. Moi, je ne suis que l’instigateur de l’idée qui t’a tant stimulé.

-OK, ta manière de présenter les choses a l’avantage d’être claire. De toute façon, pour moi l’initiative et l’idée ne font qu’un.

-Pas pour moi, pour moi l’idée existait depuis longtemps et ne dérangeait personne. C’est toi qui as créé ce monstre!

-Jeff, tu dormais sur une mine d’or! Ne soit pas si égoïste. Rends-toi compte du bien que tu peux faire avec cette idée!

-Peut-être, mais un engouement de groupe va sûrement créer des réactions de groupes opposés. Je ne veux pas ça, je veux que ça se passe au niveau individuel!

-Moi aussi Jeff, moi aussi, mais pour que ça passe, il faut en parler. Même que j’ai réservé le PEPS pour le samedi avant la St-Jean-Baptiste – après, les vacances se mettront sérieusement en branle - pour que l’on en parle vraiment! Il reste trois semaines pour organiser ça et remplir le plancher du stade couvert. Je suis certain que ça va marcher. Une journaliste du journal de l’université en a entendu parler et elle veut nous voir pour une entrevue. Elle va faire un article là-dessus. Ça va nous aider énormément!

-Tu parles du journal Au fil des événements? La journaliste veut nous interviewer?

-C’est en plein ça! Serais-tu disponible lundi prochain en avant-midi? Comme ça, je pourrai lui parler des réactions aux messes de Sydney et d’ici, à Québec, ayant traité du sujet. Je pourrais parler de l’initiative en marche, tu pourrais traiter du concept derrière cette initiative.

-Est-ce que je pourrais me détacher de cette initiative qui me semble malsaine?

-Qu’est-ce que tu racontes Jeff? L’initiative n’est certainement pas malsaine. On vise la paix interreligieuse. Tu peux certainement dire que tu te questionnes sur la meilleure façon de partager le concept. Tu peux dire que tu nous trouves trop agressif, trop semblable à un mouvement. Que ça pourrait provoquer des réactions négatives de la part de mouvements existants, se sentant menacés par notre initiative. Tu peux émettre tes réserves, ça démontrera que l’initiative n’est pas dogmatique, mais STP ne va pas démolir celle-ci! Si c’est ça que tu veux faire, on va oublier l’entrevue!

-C’est ça, et tu prendras tout le mérite du concept pour toi!

Cette réplique m’a surpris moi-même. Qu’est-ce que j’en avais à faire d’obtenir le mérite du concept ou pas? Si j’étais si certain que l’initiative était vouée à l’échec, j’aurais dû tout faire pour m’en dissocier. Le problème était que je n’en étais pas certain du tout. Le problème, c’était aussi que j’ai toujours secrètement souhaité être interviewé. Voir mon nom dans le journal ou dans tout autre média; de manière positive évidemment.

On a beau dire, mais de nos jours, la vraie valorisation de l’humain passe par les médias. Ça vient peut-être de mon éducation? Ceux qui réussissent font parler d’eux à la télé! Est-ce que j’allais rater ma chance de me faire voir? Peut-être que le cirque de Sean n’était qu’une opportunité de me faire découvrir?… Je sais, tout ça semble loufoque avec un peu de recul, mais c’est là, intensément en moi!

-Jeff, ce que je souhaite, c’est que tu parles à la journaliste. Cependant, je ne veux pas que tu te lances dans une vendetta. De toute façon, pourquoi te lancerais-tu dans une vendetta? Qu’est-ce que j’ai fait de mal dans tout ça? Je sais que tu es un peu inconfortable avec l’initiative, mais tu es quand même dans le coup! On te consulte, on considère ton point de vue. Y a-t-il eu un revirement qui m’échappe?

-Non, non, c’est juste ton exubérance qui me fait un peu peur. Un peu plus et je vois un preacher en toi!

-Jeff, tu me connais assez pour ne pas t’inquiéter à ce sujet j’espère. Il y a peut-être autre chose? Je te le dis, tu n’as vraiment pas bonne mine!

-C’est Catherine qui m’a annoncé, jeudi, que l’on était en période de break. C’est ton initiative qui a causé tout ça tu sais!

-OK, je comprends, tu me rends responsable de tes difficultés de couple! Écoute, ton couple te regarde, je n’ai rien à voir là-dedans. Si elle profite de l’initiative, une bonne nouvelle en soi, pour t’annoncer de mauvaises nouvelles, c’est qu’il y avait probablement un malaise ailleurs dans votre couple. Je suis désolé pour toi et Catherine, mais ne me mêle pas à ça STP, ne mêle pas l’initiative à ça non plus! De toute façon, il ne s’agit que d’un break non? Tout n’est pas perdu, que l’initiative progresse ou pas.

-Tu ne comprends évidemment pas tout de la situation dans laquelle je suis plongé et je n’ai pas l’intention de te l’expliquer. Tu as raison par contre, je n’ai pas à vous traiter en ennemis. Si tu me laisses l’occasion d’émettre certaines inquiétudes par rapport à votre initiative, je veux bien faire l’entrevue avec la journaliste lundi matin prochain.

-Super! Elle devrait passer ici vers 11 heures. Elle vient me voir à 10 heures et passe te voir tout de suite après. Elle s’appelle Jolicoeur, France Jolicoeur si je ne me trompe pas. Je vais lui dire comment se rendre ici, tu n’as à t’occuper de rien! Ça te va?

-Oui, ça m’a l’air correct. Ce n’est que le Fil des événements en juin après tout. On verra bien ce que ça va donner! Quand est-ce que ça va être publié?

-Si j’ai bien compris, ce sera dans l’édition de juin, qui sort au début du mois. Le timing est parfait pour la rencontre du PEPS!

-Il n’y a quand même que les étudiants gradués et les étudiants d’été sur le campus!

-Il y a les profs aussi, le personnel de soutien, le personnel administratif et les conjoints de tout ce monde-là! En plus, tout le monde est plus relaxe à ce temps-ci de l’année, ils sont plus ouverts à ce genre d’initiative. Ils souhaitent manifester, faire leur part pour améliorer le monde. Ils sont moins préoccupés par leur prochain examen. Je suis certain que ça va marcher!

-Je te le souhaite Sean!

Ce n’était pas tout à fait vrai, mais des fois, y vaut mieux faire du small talk si on veut passer à autre chose.

-Et demain, qu’est-ce que tu penses de mon invitation de te joindre à nous pendant la célébration à notre église anglicane?

-Demain matin, je crois que je vais dormir. J’ai du sommeil à rattraper. Ils annoncent du mauvais temps. Je crois que je vais dormir toute la journée!

-Comme tu veux, mais tu serais beaucoup mieux outillé pour l’entrevue de lundi si tu venais à notre cérémonie! Penses-y bien!

-Sean, la dernière, et la seule fois d’ailleurs, où je suis allé voir comment ça se passait lors de vos cérémonies, je t’ai dit que j’y allais simplement comme observateur curieux. Malgré ça, tu en as profité pour me mettre en contact avec le prêtre, afin que celui-ci me convertisse. Je n’ai pas de très bon souvenir de votre gang!

-C’est différent cette fois-ci Jeff! C’est une cérémonie quasi-laïque. Le message va porter essentiellement sur l’initiative, sur ton concept en fait.

-Tu me raconteras ça. Je ne crois pas du tout que j’ai besoin d’être là.

J’étais las de toute cette conversation post-insomnie. La tête me buzzait. J’avais juste hâte que Sean s’en aille. Il l’a compris assez rapidement. Il m’a dit qu’il avait plein de choses à faire en préparation du rassemblement du PEPS : les arrangements finaux, les annonces, les réservations de matériel, il devait donc y aller sans tarder.

-À lundi lui ai-je dit!

-Non non, m’a-t-il répondu. La journaliste viendra seule, je ne veux pas influencer votre entrevue.

-OK, c’est aussi bien comme ça.

******

J’ai profité de l’après-midi pour me remettre à jour sur les résultats sportifs. Cette activité, pas trop demandante au niveau intellectuel, était quand même à la limite des capacités de ma tête souffrante. Les Canadiens étaient déjà éliminés des séries éliminatoires de hockey, mais je continuais de m’intéresser aux autres équipes. Il y avait aussi les séries éliminatoires au basket-ball, le tennis, les Grands Prix de Formule 1, l’athlétisme. Je savais que j’avais atteint le fond de l’ennui quand je me rendais jusqu’à lire les statistiques de baseball. Toutes ces données sportives ont saturé mon cerveau fragile et m’ont permis de m’endormir aisément, oubliant mes aventures. Je me suis réveillé tard le lendemain, avec la seule envie de voir si Catherine m’avait envoyé son courriel. J’ai reçu le tout à 14h30.

Je l’insère intégralement dans le prochain chapitre.

Chapitre 3. 25 mai 2006

Je suis allé me promener en vélo au cours de l’avant-midi. Un long trajet pour faire sortir le méchant. Je me suis rendu au Lac-Beauport. À partir de Sainte-Foy, c’est toute une trotte! Il faisait super beau. Il n’y avait pas de vent. Seuls les nombreux nids-de-poules, les bosses et les craques dans la chaussée me faisaient sortir de ma béatitude de ne penser à rien. Au niveau de Charlesbourg, j’ai atteint mon rythme et mon second souffle, et je ne me sentais plus du tout fatigué. Je me sentais comme lorsque l’on fait du vélo dans le noir. On semble flotter, on ne sent rien, on ne sait pas très bien où on est. Je suais en masse, et j’aimais le feeling de me sentir visqueux, le chandail collé à la peau. Lorsque je voyais des cyclistes à cuissards à l’horizon, je les verrouillais dans ma mire et je me lançais à leur poursuite, sans aucun doute sur la victoire à venir. Le dépassement achevé, je les imaginais regarder mes pauvres shorts en coton-ouaté s’éloignant devant eux, se disant qu’ils avaient l’air un peu fou dans leur ensemble vélo dernier cri, avec leurs souliers à cale, et leur bécane à plus de 1000$, incapables d’avancer à la vitesse d’un amateur sans prétention. J’avais la prétention de les humilier un peu. De leur montrer que la monture n’était rien, le monteur faisait toute la différence. Tout ceci se passait dans mon imagination! Peut-être que le cycliste bien équipé se foutait pas mal de battre des records de vitesse, et ne voulait qu’apprécier le spectacle sur son chemin, tout en minimisant ses chances de trop souffrir. Peut-être que si j’avais les moyens, je m’achèterais moi-même ce genre d’équipement et je rirais des petits étudiants pauvres essayant de compenser pour leurs accessoires démodés en se brûlant les poumons. Tout est relatif comme disait Einstein! J’étais quand même un peu surpris de voir autant de sportifs par un beau jeudi du mois de mai.

Rendu au Lac Beauport, de la municipalité de Lac-Beauport, j’ai pris le temps de regarder un peu autour de moi. C’est là que j’ai perdu le rythme et que j’ai commencé à me sentir fatigué. J’ai aussi manqué de fluides, mais il y avait des dépanneurs à proximité et j’avais pensé à m’emmener un peu d’argent. De superbes cabanes de riches s’interposaient entre le lac et la route. Je regardais particulièrement les voitures dans les entrées : des Mercedes, des BMW, quelques Hummer.

Ça m’écœure bien raide les Hummer, c’est vraiment le symbole du je-m’en-fous-du-protocole-de-Kyoto-et-de-l’environnement,-moi-je-suis-riche-et-mangez-donc-de-la-marde! Ça me donne sérieusement le goût de faire du vandalisme, mais je me retiens. Si je vois un Hummer rouler à l’arrêt en attendant que son propriétaire revienne, là je ne garantis pas que je vais être capable de me retenir.

Le lac miroitait de petites vaguelettes, alimentées par le passage de quelques embarcations, à vent ou à moteur. Pas assez pour faire trop de bruit ou pour perturber l’allure bucolique de la scène. J’admirais toute cette opulence qui s’étalait devant moi. En même temps, ça me choquait. Je ne sais pas si ça me choquait parce que je ne voyais pas le jour où je pourrais réussir à la partager, ou parce que c’était le symbole de la société de consommation qui allait nous perdre. J’ai choisi cette deuxième option, c’était beaucoup plus vertueux et noble. Ça me permettait de mieux vivre avec moi-même. Un beau mélange de feuillus et de conifères coloraient les collines entourant le lac. Il y avait même une petite église catholique à la sortie du périmètre du lac, mais j’ai choisi de ne pas la voir, j’avais peur de rechuter et me mettre à penser à ma damnée situation de con. Je me suis concentré très fort à identifier le modèle de l’automobile qui me dépassait, une Subaru Legacy Outback verte, datant d’au moins 2 ans, un vieux modèle pour le coin, et j’ai pu éviter le pire. Mais déjà, les jambes commençaient à me manquer. Le retour allait être pénible. J’étais à quoi, 25 km de chez moi? Il fallait aussi préciser que j’avais mal dormi la nuit précédente. Rien pour m’assurer la grande forme. Même après avoir bu un Gatorade au complet, la volonté n’y était plus. Mes jambes pesaient des tonnes et mes poumons m’annonçaient qu’ils ne trouvaient plus ça drôle. Une chance, le reste du trajet était en descente, et toujours pas de vent. J’ai roulé doucement vers ma destination finale, eh oui, me faisant dépasser quelques fois par des beaux bonhommes à cuissards et à chandails Look colorés! Je n’avais plus assez d’énergie pour être humilié à mon tour. Ce n’était pas l’euphorie de l’aller, c’était la survivance du retour. Ça réussissait tout de même encore à m’empêcher de penser à mes inconforts psychologiques, me concentrant sur la souffrance physique. Je n’ai par contre pas réussi à remonter la côte St-Sacrement, à quelques pas de chez moi. Malgré le fait que j’avais encore moins d’énergie que précédemment, cette fois-ci j’ai pleinement senti l’humiliation de marcher avec mon bicycle pendant que les automobilistes me regardaient avec un petit air triste. Je priais (à ma façon) pour qu’aucune de mes connaissances ne me voient dans cette fâcheuse position.

Arrivé chez moi, j’ai pris une douche et j’ai mangé une énorme salade de thon. J’ai dû boire 5 litres d’eau tellement j’avais soif. Mes jambes ne pouvant plus me porter, je me suis effouéré sur une chaise et me suis mis à penser à Catherine. Comment j’avais pu être si peu au diapason avec Catherine, nous voyant comme un couple de convenance, alors qu’elle me voyait comme le père de ses futurs enfants?

C’est maintenant assez clair qu’on a tous les éléments pour bâtir quelque chose de solide ensemble. On est des amis qui s’entendent bien, et qui se désirent sexuellement. Qu’est-ce qu’il faut de plus que ça pour que ça marche? Je sais pas? Moi aussi j’en veux des enfants, alors c’est pas ça qui me fait peur. C’est juste que je me disais que quand on a trouvé le grand amour, on le sait vraiment, les feux d’artifices de la période de courtisanerie continuent toujours d’exploser dans ce cas, non? Peut-être que je rêve en couleurs. D’un point de vue plus rationnel, quand je regarde autour de moi, les autres filles (peut-être devrais-je dire femmes, à mon âge) qui m’entourent, je n’en vois aucune qui me semble vraiment mieux que Catherine. Il y en a qui pourraient peut-être s’en approcher, que sais-je, mais aucune évidence ne se dégage. Évidemment, j’ai des pulsions sexuelles pour d’autres filles. Je suis curieux, j’aimerais ça voir comment ce serait, mais rien de plus. Avant la situation actuelle, jamais je ne me suis dit que j’étais en train de manquer le bateau en restant une minute de plus avec Catherine. En plus, comme je n’ai pas le guts de cruiser ces filles qui me titillent le bas du ventre, j’ai très peu de risques de me retrouver dans une situation inacceptable pour Catherine. Il faudrait vraiment que ces filles me sautent dessus, et comme je ne suis pas Orlando Bloom, et qu’elles ne sont fort probablement pas en manque, les chances que ça arrive sont quasi-nulles, et c’est tant mieux. Catherine a vraiment eu du mérite en venant me dénicher dans mon coin. De son côté, elle me dit que les filles sont capables de mettre leur switch sexuelle à off envers d’autres gars que leur chum si elles se sentent bien dans le couple. Je sais pas si je crois vraiment à ça. Une switch, ça peut toujours être remis à on, si on trouve le bon bouton et si on fait l’effort nécessaire. En tout cas, même si je parais mal en avouant ça, je suis parfaitement capable de m’imaginer tromper Catherine, mais parfaitement incapable de m’imaginer, ou d’accepter qu’elle puisse me tromper. Je me sentirais complètement violé je crois! Ce n’est peut-être pas sain cette dichotomie, mais c’est la vérité. Maintenant, Catherine se sent trompée par mes turbulences philosophiques. Si au moins j’avais du fun en vivant cette aventure extraconjugale! J’en ai eu un peu au début quand même, mais maintenant, j’aimerais n’avoir jamais ouvert la porte à cette charmeuse… peut-être que l’analogie se tient dans le fond?

Et Sean avec tous ses plans et sa mission dans tout ça! Qu’est-ce que je peux faire pour retrouver la paix? Lui dire de ne plus m’impliquer dans sa croisade? Je suis déjà impliqué, mais je pourrais me détacher de tout ça maintenant et le laisser aller, il n’est pas trop tard. Mais je doute que je sois capable de devenir aveugle à toutes ses initiatives qui se passeront dans mon champ de vision immédiat. Je doute que je puisse accepter passivement que mes idées soient déformées. Je doute même que je puisse me détacher du mouvement sans vouloir obtenir une part des bénéfices, si celui-ci réussit. Peut-être devrais-je forcer un peu les choses? M’en aller à Las Vegas avec Catherine, y rester quelques semaines de plus? Visiter Death Valley et le Grand Canyon, Mesa Verde et le Nouveau-Mexique? Je rêve d’aller là depuis que j’ai passé quelques jours à Albuquerque lors d’une conférence, il y a deux ans. Mais j’ai pas une cenne! À qui pourrais-je emprunter de l’argent pour aller là-bas? Est-ce que Catherine accepterait vraiment de m’accompagner, ou que je l’accompagne? Est-ce que Sean me laisserait tranquille, ou s’il me poursuivrait inlassablement, où que je sois? Sean est devenu une terreur pour moi! Quand je pense à lui, je l’imagine en tyran, comme les méchants missionnaires que l’on voit dans les films américains portant sur la colonisation de l’Amérique…

Quand Catherine est arrivée, je dormais, la tête reposant sur mes bras, mes bras reposant sur la table. Elle m’a fait sauter un peu, mais pas volontairement. Je n’avais évidemment pas barré la porte, et je n’avais rien entendu quand elle a cogné. J’étais pas mal courbaturé, mais surtout perdu dans mes rêves, où Sean me poursuivait à l’époque médiévale, un peu comme dans le film Au nom de la rose, que j’ai vu récemment à la télé. Il était avec une gang de moines pas recommandables. Catherine n’y était pas. C’est pourquoi, quand elle m’a réveillé, j’ai eu le sentiment qu’elle venait me sauver, je l’intégrais à mon rêve. Je lui ai souri à pleines dents, même si j’avais les yeux à moitié fermés. Quand j’ai vu son air sombre, j’ai compris que ce n’était pas ça! Il fallait que je revienne à la réalité. Ça m’a quand même pris un peu de temps à retrouver mon chemin vers cette réalité. Je devais bien avoir dormi pendant au moins 2 heures. Catherine a été patiente. Elle m’a offert de l’eau, ce qui m’a tout de suite révélé une énorme envie de pipi; c’est normal, après tout ce que j’avais bu plus tôt. À la salle de bain, j’en ai profité pour me passer un peu d’eau au visage, ce qui a terminé le travail de réveil complet. J’étais prêt à confronter la décision de Catherine. Il fallait ce qu’il fallait!

Catherine m’a simplement dit que dans les circonstances, avec son départ prochain pour Las Vegas, le peu de temps qu’elle avait eu pour analyser la situation, le fait que la «calamité Sean» était toute récente et qu’elle ne pouvait savoir comment ça allait vraiment finir pour moi par rapport à ça, le fait qu’elle m’aimait encore : la seule alternative était le break. Elle ne savait pas où ce break allait mener. Elle ne savait pas si on allait se retrouver suite à ce break, mais elle l’espérait. Elle m’a dit ça tout d’un bout, presque froidement, bien que j’aie reconnu quelques trémolos dans le fond de sa gorge. Elle avait bien préparé ce qu’elle avait à dire, et elle avait livré la marchandise. Je l’admirais pour ça! Je n’avais pas le goût de débattre sa conclusion. Pas maintenant, ce n’était pas le moment. Elle avait l’air décidé et moi, j’étais sonné.

-C’est quoi les conditions du break? Combien de temps tu lui donnes à ce break?

-Aucune condition, aucune durée prédéterminée. On se contacte au moins une fois par semaine pour se donner des nouvelles, et à partir de là, on verra comment ça va!

-Est-ce que l’on passe la soirée ensemble?

-Non, et je n’ai pas le goût d’en parler davantage, sinon je vais me mettre à brailler encore! Envoie-moi ton maudit texte par courriel et je vais remplir ma part du deal. Toi de ton côté, tu es d’accord avec mon idée de se contacter une fois par semaine jusqu’à ce que l’on puisse prendre une décision finale?

-J’imagine que oui, est-ce que c’est toi qui m’appelle jeudi prochain à partir de Las Vegas?

-Vendredi prochain à 17h00, ton heure, sois ici et je vais t’appeler. Pour ton texte, je vais te le renvoyer par courriel, incluant ma section d’explication, avant mon départ dimanche soir.

-Tu vas avoir le temps d’écrire ce texte et de préparer ton poster avant de partir?

-J’ai pas le goût d’en parler! Je vais respecter l’entente et on pourra passer à autre chose! Je m’en vais tout de suite, reste ici, ne me suis pas! Envoie moi le courriel dès que j’ai quitté, OK!

-OK, salut, bonne chance à Las Vegas!

J’ai juste eu le temps de finir ma phrase que la porte claquait; elle était partie. Nous étions officiellement en break. Je me suis ré-effouéré dans ma chaise, la tête dans les mains. Me semble que j’aurais aimé pleurer, mais j’en étais incapable.

J’ai eu la force d’envoyer le texte à l’adresse de Catherine, incluant cette dernière section, mais ça m’a tout pris.

Chapitre 3. 24 mai 2006

Catherine est revenue vers 17h. Elle m’a dit qu’elle était impatiente de lire la suite. Qu’elle avait lu le texte en entier le soir précédent et qu’elle avait eu beaucoup de difficulté à travailler aujourd’hui. Elle trouvait que j’avais eu une bonne idée d’utiliser les citations pour alléger le texte. Je lui ai dit que sa critique littéraire ne m’intéressait pas tellement pour l’instant, j’étais plus intéressé par ses impressions en général.

-Tu penses vraiment que c’est probablement fini entre nous et que notre relation, si elle se poursuit, ne mènerait nulle part? On a vraiment qu’une relation de fuck-friends depuis un certain temps?

-Au moment où j’ai écris ça, je le pensais vraiment. J’étais un peu frustré par ton manque d’intérêt pour les questions philosophiques qui me préoccupent. Maintenant, depuis notre conversation d’hier, je ne sais plus.

-Tu sais, moi je n’ai pas du tout cette impression-là. Je te voyais comme l’amour de ma vie, le futur père de mes enfants.

-Ayoye! Il aurait peut-être fallu s’en parler avant!

-Pour moi, ça allait de soi, je ne sors pas avec quelqu’un pendant 2 ans juste pour passer le temps.

-Tiens, c’est le reste du document. STP lis-le, tu auras une meilleure idée de ce que je pense vraiment maintenant.

-J’ai de la misère à analyser ta situation. J’ai concentré mon analyse sur ce que je crois maintenant être « notre » situation.

-Tu sais Catherine, je crois que l’une ne va pas sans l’autre. C’est ça qui a tout déclenché. C’est là-dedans que je suis en ce moment, et il y a tout lieu de croire que ça va continuer. Il faut que je sache si tu es à mes côtés ou pas là-dedans.

-Je ne veux pas être à tes côtés, juste comme le copain qui t’appuie. Je veux être à tes côtés si tu choisis que je suis celle que tu aimes vraiment et que tu aimerais passer ta vie avec moi. Je ne te demande pas de t’engager pour la vie, mais il faut au moins que tu y croies dans le moment présent.

-Écoute, je peux pas te répondre vite de même. Il faut que j’y pense, que je m’en assure. Avec mes autres préoccupations actuelles, je ne te garantie pas que je vais arriver à te donner une réponse à court terme.

-Je veux pas te compliquer la vie en te faisant vivre une rupture en plus de ta maudite « situation », mais si on a pas le choix, ce sera ça!

-Catou, je ne peux pas décider rapidement d’un côté ou de l’autre. Si jamais j’arrive à la conclusion que tu es la femme de ma vie dans 2 semaines et que la rupture est déjà déclarée, qu’est-ce qu’on fait?

-C’est pas le temps pour les Catou, c’est trop grave! Je ne vais pas demeurer ta copine en attendant que tu te décides. Quelle que soit la situation pénible que tu vis. Je ne vais quand même pas me faire souffrir pour que tu souffres moins. C’est pas en te trouvant des compagnons de tourmente que tu vas t’en sortir!

-Peut-être, mais qu’est-ce qu’on fait d’abord?

-Jean-François, t’es assez intelligent pour prendre une décision.

-Je ne veux pas la prendre seul.

-Qu’est-ce que tu suggères?

-Je suggère que tu lises ce deuxième chapitre et que tu me reviennes demain. Même si tu le lis ce soir, reviens-moi demain en fin de journée. Laisse-toi le temps d’y penser. Si demain, tu trouves encore que tu n’es pas prête à m’accompagner dans ma merde, étant donné l’incertitude planant sur la force de notre couple, alors il faudra envisager la rupture…

-Mais…

-Si c’est le cas, je vais te demander de t’expliquer par écrit à la suite de mon texte, et de donner tes impressions par rapport à ce que tu appelles la « maudite situation ». Qu’en penses-tu?

-Tu capotes vraiment avec ton texte! Est-ce qu’on serait pas mieux de simplement se parler plutôt que de passer par l’encre et le papier?

-Moi, je trouve que ça fonctionne plutôt bien par l’encre et le papier. Tu peux bien faire ça pour moi! C’est ce que j’ai à te suggérer, as-tu quelque chose de mieux à offrir?

-Pas vraiment vite de même. Si on continue, on oublie le texte?

-Toi, tu oublies le texte, moi j’ai décidé de continuer à relater le fil des événements. Ça me fait le plus grand bien! Tu feras donc partie du texte si tu décides que l’on continue.

-Mais si on ne continue pas, je dois écrire quelques pages explicatives de mon bord. Tu es certain que tu y tiens vraiment?

-J’y tiens!

-Et si on décide que l’on devrait plutôt simplement prendre un break en attendant que la situation se règle?

-Tu y crois vraiment aux breaks toi?

-Dans certains cas, oui.

-Pour le break, tu devras aussi t’expliquer par écrit.

-Fais-tu exprès pour m’écoeurer?

-Non, au contraire, tu sais très bien que je préférerais 100 fois que tu décides de rester avec moi.

-Bon, donne-moi ce texte. Je reviens demain vers 17h. Tu seras là au moins?

-Oui, j’y serai. On a un deal?

-On a un deal, à demain!

Je suis incapable d’expliquer comment je me sentais. J’avais surtout peur de la perdre je crois. L’optimisme de la veille avait disparu. C’était quoi cette histoire de break à la con?