Chapitre 5. 15 juin 2006

J’ai reçu l’appel à 16h00, après avoir passé la journée à deux pas du téléphone. M’empêchant de sortir de l’appart, m’empêchant d’écouter de la musique trop forte. C’était comme une journée de pêche. J’attendais que la ligne s’agite. Sauf que j’étais dans mon demi-sous-sol, plutôt que sur un beau lac, dans la nature. Seul point positif, il n’y avait pas de moustiques.

-Salut Jeff, ça va?

-Disons que ça pourrait aller mieux. J’apprécie avoir un minimum de contrôle sur ma vie, et là j’ai l’impression de ne rien contrôler du tout. Ça s’applique à ma relation avec toi, mais aussi à ma vie en général.

-Je ne te connaissais pas comme un control freak!

-Je ne crois pas en être un non plus, par contre, je crois être incapable d’être un pur suiveux. Ça me prend quand même un minimum de contrôle. C’est normal non?

Je posais vraiment la question afin d’obtenir une réponse, et pas dans le but de convaincre Catherine. Je ne savais plus si c’était normal ou pas.

-Jeff, je m’excuse aussi de t’avoir mis dans cette situation désagréable. Je ne sais pas si j’ai bien fait, mais maintenant que nous sommes dedans, il faut aller jusqu’au bout. Si on traverse ça, je me dis qu’on va être solide en maudit comme couple, et qu’on va faire un bon bout de chemin ensemble.

-Tu me fais peur quand tu dis qu’on va aller jusqu’au bout. Ça veut dire quoi?

-Ça veut juste dire que l’on va reprendre quand on va être vraiment certain et vraiment à l’aise chacun de notre bord que c’est la bonne décision. Tu vois, je ne considère même plus l’alternative que ça aboutisse à une rupture.

-Si tu ne le considérais vraiment pas, alors tu serais complètement à l’aise avec la décision que l’on revienne ensemble.

-Disons que je travaille vraiment pour me donner toutes les chances d’arriver à cette conclusion. Aucun effort n’est fait dans l’autre sens.

-C’est quand même rassurant, mais ça va durer combien de temps tout ça?

-Je ne sais pas, quelques semaines tout au plus; gros maximum quelques semaines. Peut-être moins si ça va bien… je l’espère.

-Bon, et quand est-ce que l’on va pouvoir se rencontrer?

-Certainement pas avant le rassemblement en tout cas; je crois qu’il va être important pour nous de voir comment on se sent, à chaud, après ce point culminant.

-Je peux vivre avec ça, on pourrait se voir dimanche peut-être.

-Peut-être, mais on règlera ça à la fin de notre conversation, qu’as-tu fais depuis la semaine dernière?

-Pas grand-chose, je te le jure. J’ai eu une grosse paralysie du cerveau. Je suis en attente.

-Tu avais l’air plus sûr de toi vendredi dernier.

-Ce n’est pas une question de remise en question, c’est une question de trouver ça plate d’attendre. Pour ce que je t’ai dit la semaine dernière, rien n’a changé.

-Je crois que ça va marcher notre affaire, Jeff. Tu me rassures par ce que tu me dis, mais je ne suis pas encore parfaitement convaincu qu’il n’y aura pas un glissement à l’horizon. Toi de ton côté, tu es certain que tout est sous contrôle?

J’ai décidé que j’aimais Catherine, et c’est tout ce qui comptait. C’est ce que j’allais lui dire dimanche prochain. La question était de savoir si Catherine, elle, pouvait m’aimer aussi inconditionnellement.

-Tout est sous contrôle et de mon côté, notre situation, notre avenir est tout pensé Catou. Je t’expliquerai tout ça dimanche prochain.

-J’ai bien hâte d’entendre ça. Et le père de Sean, tu as tout organisé pour le recevoir?

Après quelques échanges banals, on a convenu de se revoir dimanche après-midi à mon appart, moins bruyant, plus spacieux. J’avais plaidé pour le matin, mais elle disait que ce n’était pas sage. Qu’il fallait se donner le temps de digérer le rassemblement un peu, afin de pouvoir en parler. Elle voulait aussi que l’on ait le temps de lire les journaux du dimanche, au cas où ils parleraient du rassemblement, afin de pouvoir réagir à ces hypothétiques articles ensemble. Encore les tout-puissants médias qui s’inséraient dans ma vie personnelle! Elle avait sans doute raison par contre, alors je n’ai pas trop insisté. J’ai quand même réussi à obtenir le début de l’après-midi. On a fixé le rendez-vous à 14h00 précises, pour m’éviter un peu l’angoissante période où les attentes de l’un ne correspondent pas à l’horaire de l’autre.

Chapitre 5. 11 juin 2006

Je ne savais plus très bien quoi faire de ma peau. Je savais que Catherine n’était pas loin, mais je ne pouvais pas aller la voir. Je savais que Sean était bien occupé, mais je me refusais à l’aider. Je savais que j’aurais dû rédiger ma thèse, mais j’en étais incapable. Je ne voulais pas vraiment voir les copains, je ne voulais pas être questionné concernant le rassemblement. En plus, je préférais être seul, bien que je n’étais pas à l’aise en solitaire non plus. J’écoutais la télé, je faisais un peu de vélo, je lisais quelques magazines, j’essayais de rédiger ma thèse sans succès. Je suis même allé faire quelques lancers de basket-ball au parc pas très loin de chez Catherine, en espérant qu’elle me voie. En plein cœur de l’après-midi, il n’y avait que moi, aucune Catherine en vue. J’avais eu amplement de temps pour organiser l’arrivée du père de Sean. Il ne me restait qu’à attendre l’appel de Catherine jeudi. J’espérais qu’elle allait m’appeler jeudi matin. Je n’étais plus bon à rien. En tout cas, pas question que Catherine et moi on ne se voie pas la semaine prochaine. J’avais tellement hâte de lui dire.

Pour empirer la situation, Stéphanie m’a appelé pour m’informer qu’elle avait entendu dire que Catherine et moi n’étions plus ensemble. Je savais vraiment pas où elle aurait pu entendre parler de ça. Peut-être Sean, puisqu’elle faisait partie du comité organisateur du rassemblement. Ce devait être ça puisque je n’en avais parlé à personne d’autre. Je ne pouvais pas blâmer Sean puisque je ne lui avais jamais mentionné de garder ça pour lui. Il était évident que Stéphanie posait cette question de manière intéressée. Elle était vraiment pas gênée cette fille-là!

-Disons qu’on est en break. Mais STP garde ça pour toi, même nos parents ne sont pas au courant. Mais pourquoi tu veux savoir ça?

-Pour rien, on m’a parlé de ça et ça m’a un peu surprise. Je préférais m’assurer que c’était vrai avant de faire quoi que ce soit… avant de digérer la nouvelle. Mais de quelle sorte de break s’agit-il?

-Parce qu’il y en a plusieurs sortes? Je sais pas quoi te dire. C’est un break où on réfléchit tous les deux à un malentendu que l’on a vécu. On se demande si l’on doit y accorder de l’importance ou pas. Aussitôt que l’on se met d’accord, le break est fini. Si l’on se met pas d’accord, c’est le couple qui est fini.

-Et de quel bord ça penche?

-T’es pas gênée Stéphanie! Est-ce que tu appliques sur le poste de conseillère matrimoniale par hasard?

-Si le poste est ouvert, je suis disponible.

Vraiment pas subtile la Stéphanie, je l’imaginais se dire que j’allais aller pleurer sur son épaule et que j’allais tomber sous son charme. Je voyais son jeu à cent milles à l’heure.

-Non, le poste n’est pas ouvert, mais je vais m’assurer de t’appeler la première si jamais ça change.

-Sean m’a dit que c’était peut-être l’idée du rassemblement qui avait causé ce break, est-ce vrai?

Ça confirmait au moins que l’information lui venait de Sean. Je n’allais certainement pas répondre à sa question, c’était vraiment pas de ses oignons.

-Disons que c’est peut-être relié à ça d’une certaine façon, mais pas directement. J’aimerais mieux ne pas en parler si ça ne te dérange pas.

Sur quoi elle s’est mise à me faire la conversation sur mille et un sujets. Elle était presque trop gentille. Pendant qu’elle parlait, je me demandais si vraiment, j’aurais pu tomber sous le charme de cette fille. Ça faisait évidemment un gros velours de voir qu’elle s’intéressait à moi. Mais présentement, toutes mes idées me menaient vers Catherine, et il n’y avait de place pour aucune autre femme. Par contre, je savais très bien que j’étais dans un état de vulnérabilité. Au téléphone, c’était facile de résister, mais en chair et en os, je suis certain que ce n’aurait pas été si facile. Stéphanie est une très belle fille, avec une personnalité semblable à celle de Catherine. Je me suis dit que si je l’avais rencontré dans un bar en ce moment, et qu’elle s’était montrée entreprenante, c’était certain que j’y passerais. J’ai donc pris sur-le-champ la résolution de n’aller dans aucun bar tant et aussi longtemps que Catherine et moi serions en break.

Cette attente me tuait. Connaissant Catherine, elle n’allait m’appeler que jeudi, en fin d’après-midi, sans déroger à la règle d’une seule miette.

Chapitre 5. 10 juin 2006

Depuis cette conversation, je ne savais plus très bien comment je me sentais. J’étais encouragé et découragé tout à la fois. Le cycle entre ces deux états était d’environ 5 minutes. Je ne savais pas si j’avais réussi à la rassurer ou le contraire. Une chose était certaine, je n’étais pas en contrôle de la situation, et ça c’était très inconfortable. Il m’était très difficile de me concentrer sur la rédaction de ma thèse. Je m’assoyais devant mon ordinateur, et je ne savais pas par où commencer.

J’étais dans cet état de torpeur quand le téléphone m’a enfin réveillé. Cette fois-ci, ce n’étaient pas mes copains de Québec qui m’avaient vu dans le Fil, j’avais fait le tour de ceux-là, c’était ma mère, qui m’appelait de Montréal. On se parlait environ une fois par mois. Comme je l’ai appelée pour la fête des mères il n’y avait pas si longtemps, ce coup de téléphone était un peu inattendu.

-Est-ce que tu reçois Le Soleil chez toi? me dit-elle.

-Non, pourquoi?

-Parce que tu es dedans. Ta sœur Michelle le reçoit à chaque samedi, elle, et elle a vu un article dont tu étais la vedette avec ton ami australien. J’ai réussi à m’en procurer une copie à la grosse librairie du centre d’achat près de chez nous. Je n’aurais jamais pensé qu’ils auraient des copies du Soleil, mais c’est le cas. Michelle m’a dit d’aller voir, elle avait bien raison.

-Mais de quoi tu parles? Il y a eu un article sur nous dans le journal de l’université Laval, mais pas dans Le Soleil!

-Comment ça se fait que tu ne m’en avais pas parlé? Tu es vraiment beau sur la photo.

-Tu es certaine que tu te trompes pas. C’est bien Le Soleil dont tu parles?

-Le Soleil, édition du samedi 10 juin, à la page 35, dans la section Art de vivre. L’article est signé par France Jolicoeur, collaboration spéciale.

Je savais pas qu’elle pouvait vendre son article à d’autres journaux sans m’en parler d’abord. Elle m’avait bien dit qu’elle était pigiste à l’occasion, mais je ne me doutais pas qu’elle pouvait vendre cet article au Soleil. Y doit vraiment rien se passer dans l’actualité en ce moment pour qu’ils remplissent leurs pages avec cet article. Comment se fait-il que Sean ne m’ait pas appelé à ce sujet? Y doit être super content. Est-ce vraiment le même article?

-C’est quoi le titre maman?

-Grand rassemblement pour la paix au PEPS, avec le sous-titre : Le grand rassemblement pour la paix et le respect entre tous groupes moraux ou religieux aura lieu le samedi 17 juin de 16h00 à 18h00 au stade couvert du PEPS. Sous vos photos, on peut lire : « Jean-François Lahaie et Sean Hastings, les deux chercheurs de l’université Laval à l’origine de cette belle initiative ». Je suis tellement fière de toi!

C’était bien le même article, intégralement ou pas très loin. On y parlait de mon athéisme assumé. J’imagine que ma mère allait m’en parler. La dernière fois que j’ai essayé d’aborder le sujet avec elle, elle est devenue rouge, m’a dit qu’elle ne voulait pas en entendre parler. J’imagine qu’elle ne pouvait pas tolérer d’apprendre que son fils allait sûrement aller en enfer.

-Jeff, es-tu toujours là?

-Oui, maman, est-ce que tu as lu l’article?

-De bout-en-bout, ton père aussi, on est bien fiers de toi. Mais veux-tu bien me dire pourquoi tu ne nous avais pas parlé de tout ça? On va être là tu sais. On se prépare pour être là pour le rassemblement. Michelle est trop occupée, elle ne peut pas. Mais ton père et ta petite sœur seront là. Je me demande si je ne vais pas inviter les cousins et cousines et tes oncles et tantes.

-Non, STP maman, ne fais pas ça!

Un vrai moulin à parole cette mère; elle ne pouvait pas vraiment avoir lu l’article pour être si fière de moi. Ou bien elle était tellement excitée qu’elle avait lu sans rien comprendre.

-Ne fais pas ton timide, pour une fois que je peux montrer à tout le monde comment mon fils fait de grandes choses.

J’ai plusieurs publications scientifiques à mon crédit, j’ai presque complété un doctorat avec succès, j’ai été invité en Australie dans le cadre d’une collaboration scientifique, j’ai un brevet d’invention en instance d’acceptation, mais c’est quand je passe dans le journal pour l’organisation d’un rassemblement que je peux prétendre, auprès de ma mère, faire de grandes choses.

-Je ne participerai même pas au spectacle du rassemblement. Ne perdez pas votre temps à y venir. De toute façon, le sujet ne vous intéresse même pas, au contraire.

-De quoi parles-tu jeune homme! Le sujet m’intéresse au plus haut point. La paix dans le monde, on peut pas dire que ça ne m’intéresse pas, tu le sais.

-Maman, c’est des affaires de concepts philosophiques et de tolérance envers les autres croyances. De la manière que tu me parles des arabes, on peut pas dire que la tolérance est un sujet qui t’intéresse tant que ça.

-Jean-François, je crois que tu penses à ton père quant tu dis ça. Tu sais très bien que je ne suis pas raciste!

Elle était aussi xénophobe que mon père. Ce que mon père disait haut et fort, elle le disait en privé, sournoisement. Mais tout ce qui était différent du monde dans lequel elle avait été élevée lui faisait peur. Et la peur des autres, ceux qui sont différents, c’est ça la xénophobie. Dans son cas, il ne s’agissait pas de haine, simplement d’ignorance et de manque d’intérêt. Il faut dire que ce que l’on voyait à la télé concernant d’autres cultures, particulièrement les arabes, n’avait rien pour la rassurer. Dans leur quartier de l’ouest de Montréal, il y avait pourtant beaucoup de gens d’origines variées. Mais elle avait décidé de les ignorer. Même son médecin était d’origine arabe, et elle lui faisait confiance. Mais il ne fallait pas souligner qu’il était arabe. Sinon, elle devenait impatiente, disait : non, je ne crois pas, et changeait aussitôt de sujet.

-Tu as vu maman, on dit dans l’article que je suis un athée qui s’assume.

-C’est vrai que je ne comprends pas bien pourquoi et comment tu refuses de croire en Dieu. Ce que je comprends par contre, c’est que tu veux faire du bien autour de toi. C’est ça qui compte. Faire le bien ne peut que venir de Dieu, ça ne me dérange pas si tu appelles ça autrement. Pour moi, c’est ça.

Elle l’avait bien lu l’article. Elle l’interprétait à sa façon, trouvant le moyen de se réconforter dans ses croyances; mais elle l’avait lu.

-Vous perdrez votre temps si vous venez ici. En plus, je n’aurai même pas le temps de m’occuper de vous. Je vais devoir m’occuper du père de Sean qui descend d’Australie.

-Tu as le temps de t’occuper du père de Sean et pas de tes propres parents! Et pourquoi est-ce que l’on ne pourrait pas accompagner le père de Sean? Tu as peur que nous te fassions honte? C’est aussi pour ça que tu ne nous as jamais parlé de ce rassemblement?

-Écoute maman, si je t’avais parlé de ça avant que le journal n’en parle, tu m’aurais traité de mauvais catholique et de fou, et tu m’aurais suggéré de concentrer mes efforts pour finir mes études. Maintenant que ça passe dans le journal tu trouves ça fantastique et tu es fière de moi. Tu es fière de moi parce que je passe dans le journal, pas parce que j’organise un rassemblement.

-Si les journalistes s’intéressent à toi, c’est parce que tu fais de bonnes et grandes choses. C’est difficile à distance de réaliser tout ça. Maintenant je le réalise mieux. Ils disent même que votre rassemblement va venir à Montréal après Québec. C’est quand même pas rien!

-Il faut que je te dise quelque chose, maman. C’est vrai que je suis un peu l’instigateur de l’initiative qui donne lieu au rassemblement. Mais, je n’ai pas grand-chose à voir avec ce rassemblement. C’est Sean qui organise tout. Moi, je ne serai qu’un spectateur à Québec. S’il y a un autre rassemblement à Montréal ou ailleurs, je n’irai même pas.

-C’est quand même toi qui est à l’origine de tout ça. Ton australien n’a fait qu’en tirer profit. Tu lui donnes beaucoup de crédit je trouve!

-Voyons, c’est tout à fait le contraire. De toute façon, je vous demande de ne pas venir, STP.

-Tu dois être hyper stressé, ça se comprend. Si tu veux, on va rester à l’écart, on ne te dérangera pas.

-C’est pas la question. Je ne suis même pas impliqué dans l’organisation du rassemblement. Je ne suis pas du tout stressé; pas par ça en tout cas.

-On pourrait s’occuper de la belle Catherine pendant que tu fais ce que tu as à faire. Comment elle va la belle Catherine?

La question que je ne voulais pas entendre. Qu’est-ce que j’allais pouvoir répondre à ça?

-Elle va très bien, elle revient de Las Vegas où elle a participé à une conférence. Par contre, elle n’apprécie pas vraiment l’idée du rassemblement. C’est un peu pour ça que je ne suis pas plus impliqué dans son organisation.

-Elle est bien possessive cette fille. Est-ce qu’elle se rend compte à quel point c’est important ce que tu fais?

C’est tout à fait incroyable la puissance des médias envers ma mère. Maintenant que l’on en parlait dans le journal comme quelque chose de bien, rien ne pouvait remettre ce jugement en question. Ça devenait la chose la plus importante au monde et tout le reste devait être mis de côté, même ma blonde. Je commençais à m’impatienter profondément contre ma mère. Mais ça ne me servait à rien de monter le ton avec elle.

-Tu m’as dis que papa avait lu l’article, passe-moi-le donc, je veux savoir ce qu’il en pense.

-Tu sais bien qu’il travaille. Il m’a simplement dit de te demander pourquoi tu n’avais pas parlé de lui à la journaliste. Tu sais comment il peut être niaiseux des fois.

Typiquement le genre de remarque d’un homme sous l’emprise d’un complexe médiatique. Ça m’avait quand même détendu un peu cette question de mon père, c’est vrai qu’il pouvait très souvent être un niaiseux sympathique.

-Tu lui trouveras une réponse à ça. Je n’ai pas vraiment d’inspiration en ce moment. En tout cas, tout ce que je vous demande c’est de ne pas venir, SVP. Je vous ferai parvenir tous les comptes-rendus que je trouverai dans les médias après, mais ne venez pas. Vous pourrez aller au rassemblement de Montréal si vous voulez, mais pas à celui de Québec. SVP, faites ça pour moi!

-Moi qui me faisais une si grande joie d’être là!

-C’est parce que tu croyais que ça me ferait plaisir. Ce n’est pas le cas.

-Bon, tu me fais un peu de peine, mais je ne veux certainement pas te forcer à nous accueillir. Je sais que ça ne fera pas trop de peine à ton père de ne pas voyager. Quand est-ce qu’on se voit alors?

-Je vous appelle dimanche prochain pour vous parler de tout ça, je vous le jure. On pourra parler de ma prochaine visite à Montréal à ce moment-là. Qu’en penses-tu?

-OK mon homme! Tu m’inquiètes un peu par contre. Si tu as besoin de parler d’ici là, n’hésite surtout pas; à frais virés s’il le faut.

-Merci maman, mais ça ne sera pas nécessaire.

-Je t’aime mon homme, dis bonjour à Catherine pour moi.

-Ce sera fait maman. Bye bye, à bientôt!

J’étais vraiment soulagé d’avoir évité le pire. J’avais assez de préoccupations comme ça sans avoir à gérer ma famille et leur soif de couverture médiatique. J’en revenais toujours pas de leur fierté décuplée à cause d’un petit article. Sans article, n’auraient-ils pas eu toutes les raisons d’être aussi fiers? Ça m’écœurait un peu tout ça, surtout que je savais bien que j’étais moi-même un peu comme ça.

Il fallait maintenant que je m’achète Le Soleil et que j’aille voir Sean avec ça. Trouver le journal n’était vraiment pas compliqué, mais trouver Sean l’était beaucoup plus. Il n’était toujours pas à son appartement. Je me suis donc rendu à son local d’organisation. Il n’y était pas non plus. On m’a dit qu’il s’était isolé depuis hier soir afin de pouvoir écrire une partie des textes qui seraient utilisés lors du rassemblement. Il était allé faire du camping à un endroit inconnu et on le reverrait vers la fin de la journée. J’ai laissé le message de m’appeler et je suis retourné à l’appart. Le Soleil était placardé partout dans le local des organisateurs, alors ce ne serait pas moi qui lui annoncerait la nouvelle.

J’ai entendu du bruit chez Sean vers la fin de l’après-midi. Je suis tout de suite allé le voir et je lui ai montré notre article dans le journal. Il ne l’avait même pas vu. Il n’était pas du tout au courant que l’article allait être repris par Le Soleil. Il était fou de joie, bien évidemment. Il m’a demandé de réviser ses textes, ce que j’ai refusé.

Chapitre 5. L'appel hebdomadaire de Catherine

J’avais tellement de choses à dire à Catherine. Je ne voulais cependant pas l’étouffer avec mes histoires. Il fallait que je l’écoute d’abord et avant tout. J’étais vraiment nerveux en attendant son appel, j’avais le souffle court. Quand le téléphone a sonné, à 17 heures exactement, le cœur voulait me sortir de la poitrine. J’ai pris un grand respire, je me suis raclé la gorge pour être certain de ne pas perdre la voix, et j’ai répondu, d’un air le plus normal et le plus détaché possible. Il n’aurait pas fallu que ce soit quelqu’un d’autre que Catherine au bout de la ligne; il n’aurait pas été reçu avec chaleur. Mais c’était bien elle. Son ton était enjoué, dynamique.

Après les salutations d’usage, j’étais impatient de connaître la progression de sa réflexion.

-Et ton voyage dans le désert, ça s’est bien passé?

-C’était pas mal cool! Super écoeuramment chaud, mais très cool! Je serais pas restée là-bas une minute de plus, mais je suis contente d’y avoir été. La géologie est très extra-terrestre. La couleur du ciel est hallucinante. C’est quand même incroyable, mais il y a un peu de vie qui réussit à prendre sa place dans cet enfer. On a même organisé le voyage pour revenir au coucher du soleil. Les couleurs étaient géniales. Je vais t’envoyer des photos par courriel, tu vas voir.

-Et ta réflexion dans tout ça?

-Ouais, ma réflexion, en fait je n’ai pas eu à réfléchir si longtemps. J’en suis arrivé à me dire que la façon dont tu vivras le rassemblement sera déterminante. De plus, je me dis que c’est une occasion pour toi de réfléchir à un engagement plus sérieux. Si l’idée de fonder une famille avec moi te fait peur, c’est le temps pour toi de te sauver. Après, il sera trop tard.

-Tu crois trop aux films de Ricardo Trogi, tu sais bien que l’engagement ne me fait pas peur!

-Penses-y bien quand même Jeff, c’est une méchante grosse décision!

Non, je n’ai pas à y penser. Je suis programmé depuis l’enfance pour fonder une famille avec une femme que j’aime. Je n’ai qu’à savoir si j’aime Catherine, et si elle m’aime tout autant, et le reste suivra. En ce qui concerne la question de savoir si Catherine est The One, ça aussi je ramène ça à l’idée de l’amour bilatéral. Il est évident que je pourrais très bien aimer d’autres femmes, mais j’en ai trouvé une, je n’en ai pas besoin d’autres. Est-il possible que je puisse aimer d’autres femmes plus ou mieux? C’est une question à laquelle on ne répond que si l’on veut être malheureux. Quand on aime, on a pas à mesurer le niveau de l’amour, on a juste à être content que ce soit le cas, et en profiter au maximum.

-Le rassemblement de Sean s’organise, mais moi, j’ai décidé de ne pas y participer. Je ne l’aide même pas pour l’organisation. Il fait très bien ça tout seul.

-Tu sais Jeff, j’ai lu l’article du Fil des événements. C’est pas tout à fait ce que ça laisse entendre!

-Fais-moi confiance! L’article est un coup de pub et les faits n’y sont pas très bien relatés. Je voulais profiter de l’article pour faire ma mise en garde contre la création d’un mouvement à tendance dogmatique et ce n’est pas du tout ressorti. Ne te fie pas à cet article, je te le répète, fies-toi sur moi.

-N’empêche que c’est sûrement un peu grisant d’être en vedette comme ça. Tu pourrais y prendre goût!

-C’est un peu grisant, mais une fois que l’on remet les choses en perspective, on prend les bonnes décisions en mettant de côté son orgueil. C’est ce que j’ai fait.

-As-tu remarqué que tu es très beau sur ta photo?

-Je suis assez d’accord avec toi. Tu sais, je suis encore plus beau en vrai!

-Mon mosus toi, tu réussis encore à me rendre toute molle. Tu changes le sujet et je ne me rappelle même plus où j’en étais!

-Tu te demandais comment j’allais vivre le rassemblement, tu te disais que ce serait déterminant pour notre avenir.

-Oui, c’est ça! Et ça va marcher cette affaire-là?

-Je crois bien que oui. Le père de Sean le soutient financièrement et il y met le paquet. C’est une grosse machine de marketing qui est derrière Sean.

-Et tu n’as pas de regret de ne pas participer à ça? C’est quand même ton idée. Si ça mène loin, tu vas te contenter de regarder passer le train sans frustration?

-C’est drôle que tu parles de regarder passer le train. Sean m’a fait la même remarque. J’ai bien pensé à tout ça. Je préfère mettre toutes les chances de mon bord pour te garder. Il y a d’autres façons de faire avancer mes idées que de faire des spectacles.

-Comme quoi par exemple, tu m’intrigues?

-Comme d’écrire un livre par exemple.

-Tu vas quand même pas oublier ta thèse pour écrire un livre!

-Non, non, j’ai tout le temps d’écrire un tel livre, je ne suis pas pressé. De toute façon, le texte que tu as déjà vu pourrait très bien en être l’introduction. Donc, je ne pars pas de zéro.

-Ouais, c’est pas fou. Mais ta thèse, est-ce que tu as recommencé à la rédiger?

-Pas plus tard qu’hier, j’ai travaillé dessus toute la journée.

-Et tu me dis que tu es maintenant parfaitement serein par rapport à ce qui se passe avec Sean! Y me semble que c’est trop beau pour être vrai, le changement s’est opéré trop vite. Avant mon départ, tu avais l’air de ne plus savoir où donner de la tête. La semaine dernière, tu ne me semblais pas si sûr de toi.

-J’ai eu le temps en masse pour réfléchir. Je l’ai vécue moi aussi, ma traversée du désert.

-J’ai hâte de constater ça de visu, Jeff. Tu m’excuseras, mais j’ai quand même un peu de misère à te croire.

-Je t’attends ma belle. Je suis disponible pour tes constatations.

-Wô, wô, pas trop vite! Est-ce que tu vas y aller au rassemblement?

-Oui, j’ai promis à Sean d’y être. De plus, je vais m’occuper de son père qui sera en ville pour l’occasion.

-Il descend d’Australie pour ça, méchante affaire!

-C’est vraiment une méchante affaire, Sean pense qu’il pourrait y avoir jusqu’à 2000 personnes. J’avoue que j’en doute. Et toi, Catherine, tu y seras au rassemblement?

-C’est possible. Je suis assez curieuse de voir ça. Comme tu le sais, j’ai quelques intérêts reliés à cette affaire-là et ça ne me ferait pas de tort de mieux comprendre l’ensemble du dossier.

-Bravo pour ton professionnalisme, est-ce que tu veux que l’on y aille ensemble?

-Essaies-tu de m’en passer une petite vite? Je te rappelle que nous sommes en pause. Selon les termes convenus, on ne se voit pas avant le dénouement de l’affaire et on ne devrait pas se rappeler avant vendredi prochain.

-Vendredi prochain je dois accueillir le père de Sean à l’aéroport et m’en occuper toute la journée. On peut pas oublier ça un peu les règles du break?

-Non, il faut être sérieux avec ça. Je veux pas faire les choses à moitié. Je crois que c’est une étape déterminante pour nous. On peut quand même avoir un peu de souplesse. Je vais t’appeler jeudi après-midi.

-Moi, je ne vois pas d’autres issues possibles que notre retour ensemble, peut-être que le break a assez duré, non?

-Non, je ne crois pas. J’avoue que je ne vois pas d’autres issues possibles moi non plus, mais je n’en suis pas à l’étape de la conclusion malgré tout. Il y a encore trop d’incertitude, je suis encore mal à l’aise avec « la situation » et ta gestion de tout ça. La conclusion viendra pour moi quand tout sera parfaitement clair et évident. Ce n’est pas encore le cas.

-Ça pourrait sans doute être plus clair si tu pouvais m’accompagner dans mon cheminement.

-Je ne sais pas, peut-être. Ce sera peut-être un peu plus long en restant chacun de notre bord, mais je crois qu’on pourra rester plus objectifs de cette façon. Je ne veux pas que mes poussées d’hormones viennent influencer une décision aussi importante.

-OK, y faut ce qu’il faut! Je vais jouer le jeu et je serai patient. Par contre, fies-toi sur moi pour stimuler le processus vers un résultat positif.

-OK, c’est honnête! Je t’appelle jeudi après-midi prochain comme convenu?

-J’y serai, ne t’en fais pas!

Elle a rapidement raccroché, comme si elle avait peur de changer d’idée.

Chapitre 5. 9 juin 2006

Vendredi matin, je venais tout juste de me lever (un peu tard je l’admets) que Sean cognait déjà à ma porte. Il venait de voir le Fil des événements et voulait partager ses premières réactions au sujet de notre article.

-Je n’ai même pas lu l’article encore. Tout ce que j’ai vu c’est la première page avec nos deux photos et le titre : Grand rassemblement pour la paix au PEPS.

-C’est pas mal comme publicité! Laisse-moi voir ça, Sean.

À ma grande surprise, ma photo était pas mal. Celle de Sean était un peu moins réussie. La première page était consacrée au rassemblement, et l’article se poursuivait en page 4, avec la photo du stade couvert du PEPS, de l’extérieur et de l’intérieur. C’était substantiel comme article.

-Tu n’as pas pensé amener 2 copies, Sean? On sera jamais capable de lire le texte si on est tous les deux penchés sur le journal.

-T’as raison, Jeff. Je pars en chercher une 2e copie au stand le plus proche et je reviens d’ici quelques minutes. C’est vraiment excitant!

-Ça te dérange pas si je commence tout de suite, en t’attendant?

-Non, vas-y, de toute façon je l’ai un peu lu en diagonale. À tout à l’heure.

Et il a quitté en coup de vent. J’étais moi-même assez ému. Ma photo était juxtaposée en diagonale, sur un coin de celle de Sean, et la note se lisait : Jean-François Lahaie et Sean Hastings, les deux chercheurs de l’université Laval à l’origine de cette belle initiative. En sous-titre de l’article, on pouvait lire : le grand rassemblement pour la paix et le respect entre tous groupes moraux ou religieux aura lieu le samedi 17 juin de 16h00 à 18h00 au stade couvert du PEPS. On expliquait d’abord certains conflits mondiaux actuels liés à des différents, qui étaient souvent religieux à la base. On s’attardait entre autres au terrorisme des extrémistes musulmans mettant au prise le grand Satan avec l’axe du diable. On parlait aussi du conflit israélo-palestinien. On expliquait la faillite ou la non-existence des processus de paix actuels. Ceci servait d’introduction pour la présentation des deux compères de l’université Laval qui désiraient offrir une piste de solution qui pourrait contribuer à rendre notre monde meilleur. On parlait surtout de Sean et de son parcours particulier, avec son certificat en théologie et son statut d’étudiant post-doc visiteur venant d’Australie. On me présentait ensuite comme celui qui avait offert à Sean le concept qu’il cherchait depuis si longtemps et qu’il désirait exploiter à sa juste valeur. On s’attardait un peu sur notre rencontre scientifique à Sydney, en soulignant évidemment la grande valeur internationale des recherches que nous faisons en photonique à l’université Laval; il s’agissait quand même du journal de l’institution. On parlait ensuite du cheminement rapide, mais rigoureux, vers ce grand rassemblement. On expliquait comment le concept avait été mis à l’épreuve avec plusieurs intervenants, de différents backgrounds, de différents pays avant de penser à organiser un événement plus majeur. On parlait de la constitution multi-croyances du comité d’organisation. Par contre, on ne parlait presque pas de mes inquiétudes. Que quelques petites phrases du genre : les deux organisateurs ne laissent rien au hasard, ils tentent par tous les moyens de s’assurer que leur initiative ne donnera pas naissance à un courant de pensée dogmatique, comme ceux qu’ils dénoncent. Nulle part était-il mentionné que Jeff Lahaie se questionnait à savoir si un tel rassemblement était le meilleur moyen de véhiculer ce concept. On expliquait aussi très brièvement le concept en deux petites lignes bien courtes. C’était en fait un teaser afin d’inciter les gens à venir au rassemblement pour en savoir plus, plutôt qu’une véritable explication.

Je me doutais un peu que l’article allait avoir cette teinte-là, mais j’étais quand même déçu. L’université Laval étant associée au rassemblement, ce journal étant celui de l’université Laval, on ne pouvait pas le remettre en question. Il fallait tout faire pour que ce soit un succès; ce qui rejaillirait sur ce lieu de haut savoir qui avait tant besoin de faire parler de lui, recrutement oblige. On ne pouvait pas dire que la journaliste m’avait menti, mais elle m’avait certainement laissé imaginer autre chose.

Sean est revenu au moment où j’entamais la 2e section de l’article. Il était tout en sueur, complètement essoufflé. Prends ton temps que je lui ai dit, y’a pas le feu!

La 2e partie de l’article se limitait à annoncer l’événement avec un survol de son ordre du jour. On signalait que l’inscription était gratuite, que les places ne seraient pas assignées d’avance, on suggérait donc d’arriver tôt. On s’attardait beaucoup sur la fierté lavalloise et québécoise de s’associer à une telle initiative. On disait presque aux gens de s’assurer de remplir la salle afin de profiter de l’occasion pour envoyer une image de région pacifiste proactive au monde entier. Le fondement derrière le rassemblement comptait peu, l’image était ce qui comptait; Marshall McLuhan avait bien raison! On terminait en annonçant que si c’était un gros succès, on ne s’arrêterait pas là, et que cette initiative des chercheurs de l’université Laval pourrait bien faire le tour de la planète. C’était un gros publi-reportage, d’abord en ce qui concerne l’université Laval, ensuite en ce qui concerne le rassemblement.

Autant j’étais déçu, autant Sean semblait ravi. Il ne semblait plus avoir assez d’espace dans la face pour sourire à son gré. Il n’arrêtait pas de me regarder à tous les paragraphes en disant wow, that’s great!, dans un crescendo qui a mené à des cris bestiaux vers la fin de l’article. Si l’article avait été plus long, j’aurais probablement au droit à ce qu’il se cogne la poitrine à grand coup de poings comme nos bons gorilles savent si bien le faire.

-Tu as l’air content Sean, c’est le moins que l’on puisse dire.

-Super content! Je ne pouvais pas m’imaginer mieux. Ça donne quand même le trac un peu. Il va falloir livrer la marchandise. Car maintenant, c’est certain qu’il va y avoir beaucoup de monde.

-À moins qu’il ne fasse super beau cette journée-là. Les gens oublient vite les rassemblements quand vient le temps d’ouvrir la piscine. Tu sais, ce n’est pas comme en Australie ici, il y a tellement peu de journées de beau temps, les gens font tout pour en profiter pleinement lorsqu’elles se pointent. Aller au stade couvert du PEPS n’est pas la meilleure façon d’en profiter.

-Le rassemblement a lieu à 16 heures. Il y aura du monde de toute façon. De plus, comme je crois à une force supérieure, je suis certain que celle-ci interviendra en notre faveur et qu’il ne fera pas très beau cette journée-là. Jusqu’à maintenant, les choses se sont trop bien passées pour que ça s’arrête là! Tu crois vraiment que ce mouvement si irrésistible s’explique seulement par le hasard?

-Ne commence pas à me parler d’ésotérisme Sean, tu sais que j’en aurais long à dire là-dessus. Est-ce que ta prière vaudrait plus que celle de la jeune anglicane de Québec qui se marie ce samedi et qui prie pour du beau temps?

-T’as raison, embarquons-nous pas dans ce genre de débat. C’est quand même bien la manière que l’on te présente, comme l’autre organisateur du rassemblement.

-C’est vrai que c’est un peu exagéré. Tu as bien plus de mérite que moi dans cette organisation. En fait, tu as tout le mérite! Tu peux être certain que ce n’est pas la manière que j’ai présenté ça à la journaliste. Tout ça ne vient que d’elle exclusivement.

-C’est OK Jeff, c’était plus simple de présenter ça comme ça. Tu sais, je n’ai pas honte de toi, bien au contraire. De plus, c’est bon pour attirer les québécois pure laine qu’un des leurs soit co-organisateur de l’événement.

-Tu as probablement raison. Es-tu déçu que l’on ne parle pas de ton père?

-Pas du tout, je ne lui avais même pas parlé de mon père. Elle ne m’a jamais demandé qui finançait le rassemblement. La commandite de mon père ne fera pas beaucoup de bruit tu sais, elle sera clairement indiquée, mais de manière sobre et avec bon goût.

-Elle n’a pas fait un travail de journalisme exceptionnel, madame Jolicoeur. Elle ne questionne pas le financement derrière le rassemblement, elle ne parle pas de mes craintes par rapport à celui-ci. C’est pas fort! Le rassemblement aurait tout aussi bien pu être financé par la Corée du Nord qu’elle ne l’aurait jamais su.

-Tout le monde n’est pas aussi paranoïaque que toi, semble-t-il.

-Quand même Sean, tu trouves pas que ça fait un peu publi-reportage tout ça?

-En effet, et c’est exactement ce que je voulais. Un publi-reportage se servant de la crédibilité et de la pseudo-objectivité journalistique du Fil des événements pour se faire prendre au sérieux. Je ne pouvais demander mieux.

-De ta perspective, je comprends très bien. Moi, j’ai quand même passé dans le beurre avec le message que je voulais transmettre.

-Tu ne souhaites quand même pas de malheur au rassemblement. On paraît bien, c’est une super pub pour le rassemblement, soit content bonté (traduction libre de for goodness sake)!

-Ouais, une fois digérée ma déception, je crois que je suis assez content de la manière dont j’apparais. Sachant que les lecteurs ne savent pas que j’ai passé dans le beurre, je peux bien vivre avec ça. Ça fait quand même un beau souvenir à garder ce petit journal.

-C’est que le début Jeff! Penses-y, si tu veux participer au show, il est encore temps!

-Essais pas Sean, STP!

-OK la vedette, moi je m’en retourne au boulot.

Il était vraiment au comble du bonheur. Il m’a vigoureusement serré dans ses bras. Étant un peu surpris, ça n’a pas fait beaucoup de bien. J’ai failli vivre le syndrome du bébé secoué.

-Co-vedette Sean, co-vedette. Est-ce que tu veux que je te prête des lunettes soleil pour ton trajet, pour éviter que tes fans te reconnaissent et t’assaillent?

Il l’a bien aimé celle-là. Il est parti en rigolant.

J’ai pris le temps de relire l’article tranquillement, tout en brunchant. Ça a pas été long que j’ai reçu un premier appel de Paul, qui venait de voir le journal.

-Wow, as-tu vu le beau bonhomme sur la première page du Fil? Ça va les aider à augmenter leur tirage de présenter des chercheurs sex-symbol.

-Ouais, j’ai vu ça. Comment ça va Paul?

-Pas aussi bien que toi, je vois que tu es devenu chercheur à une vitesse folle. Monsieur n’a pas besoin de rédiger sa thèse et de la défendre, monsieur organise un rassemblement et ce n’est plus un étudiant au doctorat, c’est un chercheur.

-T’as raison, je crois qu’ils étaient mal pris avec Sean, qui n’est pas un étudiant, et moi qui ne suis pas un stagiaire ou un employé. Deux chercheurs, c’est plus facile à dire qu’un salarié et un payeur de droit de scolarité. De toute façon, c’est nous qui cherchons, c’est nous les vrais chercheurs, ce ne sont pas les profs, eux qui passent leur temps dans leurs bureaux.

-OK, OK, y faut pas choquer la vedette à ce que je vois. Je pense plutôt que tu cherches à te faire voir, c’est ça ton vrai côté chercheur.

-Tu m’as eu Paul! Tu n’as pas répondu à ma question cependant, comment ça va?

-Attends, y’a Hamid qui fait demander c’est qui la face de singe qui fait de l’ombre à la photo de Sean?

-Dis lui que la face de singe fait dire qu’au moins, elle n’a pas son corps de singe poilu.

Paul a transmis le message et la gang du lab s’est bien amusée. On riait souvent de la pilosité excessive d’Hamid, alors l’occasion était trop belle pour moi et je n’ai pas hésité. Ça faisait du bien d’avoir des nouvelles de tout le monde au lab. Ça faisait un petit bout de temps que je ne les avais pas vus, depuis le dîner-rencontre de la fin mai en fait.

J’ai eu plusieurs coups de téléphone comme ça tout au cours de la journée. C’était le fun d’avoir des nouvelles de toutes mes connaissances de la région de Québec sans avoir à faire trop d’effort. C’est incroyable l’impact des médias. Du monde que je n’avais pas vu depuis plus de 3 ans, des anciens coéquipiers de volley-ball, qui m’appelaient simplement parce qu’ils m’avaient vu sur le journal. Personne ne me parlait du contenu de l’article, me dire qu’ils m’avaient vu leur suffisait pour avoir le goût de prendre de mes nouvelles.

Même mon superviseur Alain m’a appelé. De son côté, j’aurais préféré qu’il m’oublie. Il m’a dit qu’il comprenait maintenant pourquoi il n’avait pas eu de nouvelles de moi depuis un certain temps. Il m’a demandé si la rédaction de ma thèse avançait tout de même un peu. Je lui ai dit que ça avançait très lentement, et que je le rappellerais à la fin juin. Il m’a fait tout un laïus afin de me mettre en garde contre les rédactions qui traînent et qui parfois ne finissent jamais. Il était bien placé pour en parler, ça lui était arrivé à quelques occasions avec des étudiants qui s’étaient trouvés du travail avant de terminer leur rédaction. Pour lui, un étudiant qui n’obtenait pas son diplôme, c’était du gaspillage de temps et d’argent et une tache à son dossier. J’ai tenté de le rassurer du mieux que j’ai pu, mais je pouvais sentir son inquiétude. Avec l’initiative de Sean et le break avec Catherine, la rédaction de thèse était loin de mes priorités. D’ailleurs, j’espérais bien que ces coups de téléphone allaient cesser un peu afin que Catherine ne tombe pas sur une ligne occupée. On approchait de 17 heures.