Chapitre 2. Je capote

Catherine était vraiment en tabarnak! Elle se doutait bien de quelque chose. Elle n’osait même pas aborder le sujet, mais je sentais qu’elle y pensait. C’était quand même pas difficile pour elle de faire le lien. J’ai été incapable de lui mentir. Je lui ai simplement dit que je ne filais pas et je lui ai suggéré de remettre ça à mardi soir prochain, la soirée de Amazing Race à la télé, l’émission qu’elle aime tellement. En fin de semaine, la grande fin de semaine du congé des Patriotes, elle allait voir ses parents à Rivière-du-Loup, alors ça me laisserait du temps pour me remettre de mes émotions. Quand Catherine m’a demandé ce que j’avais, et si je voulais qu’elle s’occupe de moi, je lui ai dit que je savais pas trop ce que j’avais et que j’aimerais mieux rester seul. Je crois que c’est là qu’elle a compris! La conversation n’a pas duré longtemps après ça. J’espérais qu’elle aussi aurait tout oublié le mardi suivant.

Le mardi suivant, je saurais un peu plus si ça passe ou ça casse puisque c’était cette journée là que Sean rencontrerait la gang du lab pour lui présenter le « concept ». Les choses se précipitaient vraiment. J’avais oublié les dîners-rencontre du lab du 4e lundi du mois (mardi dans ce cas, à cause du congé), où un membre de l’équipe vient nous raconter un passe-temps, une passion personnelle. Nos profs (les superviseurs associés à notre lab) ont rendu la présence à ces dîners presqu’obligatoire. C’est une bonne idée pour l’esprit d’équipe, mais ça tombait mal. J’avais oublié que Sean était à l’horaire depuis plus de 2 mois. Il devait parler de son certificat en théologie. Mais suite aux derniers développements, devinez de quoi il a parlé? C’était à croire que le hasard s’acharnait sur moi! Je n’étais pas fâché que la situation ne traîne pas trop en longueur, mais là, ça allait un peu trop vite à mon goût. Comment n’y avais-je pas pensé? Sean lui, voyait ça comme un signe du destin, évidemment!

Je commençais à être nerveux. Je me rendis alors compte que mes collègues ne sont pas aussi anti-spirituels que ça. Je me suis rappelé de différents dîners-rencontres où le sujet avait été abordé. En fait, lors de nos conversations, je devais être celui qui donnait l’impression d’être le plus anti-spirituel, étant tellement prolifique en niaiseries de tous genres. Je me basais sur nos échanges de niaiseries pour juger mes collègues, alors qu’il ne s’agissait que d’une facette, bien superficielle, de leurs personnalités. André a toujours eu des tendances ésotériques, ça c’était bien connu! Mais en y pensant bien, Hamid, un musulman, non-pratiquant par contre, s’impliquait aussi dans le religieux, à sa façon. Souvent avec un joint entre les dents, mais ça ne l’empêchait pas d’être très intéressé par le sujet de la quête de soi, et de tenter d’identifier le but de l’existence. Même Paul m’avait déjà parlé de lectures qu’il avait faites à ce sujet suite à la mort de son père. Stéphanie était très préoccupée par les conflits religieux dans le monde et pourrait être séduite par un discours rassembleur. Sean a quand même beaucoup de verve, et j’étais certain qu’il aurait bien préparé sa présentation. J’aurais dû réfléchir plus longuement et trouver un groupe de personnes plus superficielles… mais est-ce qu’il y en avait?

Quand on se met à y penser, on se rend compte que presque tout le monde s’intéresse à ce sujet d’une façon ou d’une autre. C’est normal après tout. Ceux qui y consacrent le moins de temps sont peut-être ceux qui font partie de groupes religieux. Pas besoin de trop y réfléchir, il s’agit simplement d’avoir la foi!

J’ai eu trois jours pour m’imaginer tous les scénarios possibles. Plus je réfléchissais, plus j’étais voué à la défaite. J’ai finalement convenu avec Sean qu’il ne mentionnerait pas mon nom lorsqu’il présenterait le concept. Il dirait que c’était une idée qui circulait en ce moment et qui l’enthousiasmait, tout simplement. J’ai essayé d’en savoir plus sur le texte que Sean allait utiliser, mais il ne m’a permis d’obtenir aucune information. Il ne faisait que me répéter « tu verras bien » avec son charmant accent australien. Je n’ai pas rédigé un seul mot pour ma thèse, rien du tout! C’est pourtant la raison que j’ai donnée à mes parents pour ne pas les visiter cette fin de semaine-là. J’étais presque dans un état catatonique. Je mangeais, je réfléchissais, je dormais et je re-réfléchissais. Je ne faisais que tourner et retourner les mêmes scénarios dans ma tête. Quand le mardi matin est enfin arrivé, j’étais presque soulagé. Un calvaire tirait à sa fin… pour tout de suite être remplacé par un autre!

Sean a fait une présentation sobre, mais efficace. Il a concentré ses paroles sur l’esprit de communauté, l’élargissement de nos communautés immédiates à la population mondiale, l’utopie du collectivisme, l’utilisation de l’individualisme à des fins d’avancement collectif. Ses co-disciples n’étaient pas là. La réunion se faisait à l’intérieur de notre propre petite communauté. Pas de présentation PowerPoint en accompagnement, seul Sean et sa conviction d’apporter un discours frais et rassembleur. Il a respecté notre contrat, n’a pas parlé de moi. Finalement, c’était sans doute une erreur! En parlant de moi, il aurait un peu démystifié le concept, ce qui l’aurait rendu moins attrayant. Le public était à la fois intéressé, et soulagé de ne pas entendre parler de certificat en théologie, ce qui décuplait leur intérêt. Il y a eu un bon nombre de questions. La plupart assez faciles à répondre, du genre, « est-ce une idéologie anglicane? ». À la fin, les questions ont porté sur le plan d’action, la façon de s’impliquer dans le « mouvement ». C’était gagné pour Sean, qui leur a dit franchement que tout restait à faire. Il y a bien eu certaines personnes blasées qui écoutaient d’une oreille distraite et avaient hâte que ça finisse. Mais aucune n’a réagi négativement, aucune n’a semblé inquiétée par la création d’un nouveau mouvement « spirituel », contrairement à ce que j’avais prévu dans mon scénario # 138. Même les profs semblaient ravis qu’un de leurs étudiants s’implique dans un concept pacifiste et rassembleur. Il faut dire qu’ils étaient tous et toutes, sauf une exception, des anciens hippies ayant prôné le peace and love. Ils aimaient l’idée de croire que c’était à notre tour d’être idéalistes. Maintenant qu’ils avaient atteint la réussite sociale, ils trouvaient leur passé de marxiste-léniniste bien rigolo, et ils se trouvaient bien naïfs d’avoir un jour cru au peace and love généralisé à l’échelle de la planète. Par contre, ça les amusait de voir que l’on allait peut-être suivre le même cheminement qu’eux, avant de réaliser que l’on perdait notre temps. J’aurais peut-être dû choisir un groupe-témoin de vieux blasés comme eux…

À la fin de sa présentation, voyant qu’on le questionnait de toutes parts sur la suite des choses, Sean a laissé échapper que même un athée convaincu comme moi était associé à ce concept. J’ai confirmé le tout, mais j’aurais aimé mieux être ailleurs. J’ai atteint mon but en quittant rapidement les lieux pendant que Sean baignait toujours dans l’enthousiasme majoritaire. Je me suis rendu directement à l’appart et j’ai commencé à me dire que j’avais besoin d’en parler à quelqu’un afin de m’aider à remettre les choses en perspective; mais à qui?

Mes amis sont ceux qui étaient pâmés par le discours de Sean. J’ai aussi des coéquipiers de sports, mais je ne leur ai jamais parlé de ce genre de sujet, et je ne commencerai certainement pas maintenant. Catherine, on oublie…d’ailleurs je vais voir Catherine ce soir! Mes amis du CEGEP à Montréal, je ne les ai pas vus depuis plus de 3 ans, alors ils n’apprécieraient pas ce genre d’entrée en matière après tout ce temps. Mes parents sont hyper-religieux (ou en tout cas, hyper contre tout genre de remise en question de leur éducation hyper-catholique), alors ils n’apprécieraient certainement pas bien ma position dans cette situation. Mes sœurs ne comprendraient sûrement rien, et sont bien trop occupées pour que je les dérange avec ça. Les parents de Catherine, mon oncle préféré, le grand ami de mon père qui était jadis mon coach de hockey,… non, il faut oublier ça. Et je ne vais quand même pas me tourner vers Dieu!

J’ai décidé que la meilleure façon de négocier la situation était d’écrire. Décrire ce que je vis, pour m’aider à bien la comprendre, la mettre en perspective, mieux la partager avec qui je le voudrai bien par la suite. Alors, j’ai écrit comme un malade! Ça m’a fait le plus grand bien. Je n’étais plus capable de m’arrêter. Entre 13h et 18h, j’avais déjà complété le premier chapitre que vous avez déjà lu. Pas une retouche, je me permettais de relire certains paragraphes de temps en temps pour éviter les fautes de frappe et les fautes d’orthographe, mais c’est tout. J’étais possédé de l’esprit du raconteur fou, qui sommeillait en moi. Je ne pensais même pas à la faim qui me tenaillait, quand j’ai finalement décroché et je me suis fait un sandwich. Catherine devait arriver vers 19h30…

Sean m’a appelé vers 18h30. Il m’a dit à quel point il était heureux de voir que le concept marchait. Avec sa gang, ils avaient déjà prévu différentes interventions auprès de leur communauté immédiate. Sean en parlera à sa communauté religieuse australienne, Red en parlera à ses collègues de la construction lors d’une prochaine réunion syndicale, le prêtre anglican de Québec en parlera lors de son prochain sermon. Sean envisageait même organiser un grand rassemblement à ce sujet à l’université Laval, d’ici un mois, si les choses progressaient comme il l’anticipait (en juin, y aura pas un chat que je me suis dit!)…Il m’a demandé si je voulais m’impliquer et de quelle manière. J’avais mal à la tête. J’ai dit à Sean de me laisser quelques jours pour y penser, je le rappellerais. Don’t call us, we’ll call you! Qu’est-ce que j’allais faire avec Catherine qui s’en venait, est-ce que j’annulais encore ce rendez-vous?

Pendant que j’y pensais, au ralenti, il va de soi, Catherine a sonné à la porte. Elle est arrivée tôt la coquine! Je suis allé répondre, que pouvais-je faire d’autre? Elle a tout de suite vu ce qui se passait. Je le voyais bien dans sa réaction de complète déception. Pas un mot n’a été échangé, jusqu’à ce que l’on se soit assis sur le divan. Après quelques secondes à me regarder d’un air de pitié, qui me levait le cœur, Catherine m’a dit, calmement : si j’ai bien compris, c’est pas encore fini tes histoires philo-religieuses avec Sean?! On dirait même que ça prend toute la place ici!...Qu’est-ce que je fais avec ça moi? Je lui ai dit que je n’y pouvais rien. C’était pas moi qui l’avais voulu. Ça me dépassait complètement, et ça me rendait fou! J’avais besoin d’elle! Elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas m’aider si elle ne comprenait pas ce qui se passait. Elle avait peur de pas pouvoir comprendre, puisqu’à ce sujet, on n’était pas sur la même longueur d’onde. Je ne savais pas quoi répondre, elle ne savait plus quoi dire. Ça faisait seulement 5 minutes qu’elle était là et ça semblait déjà long. J’aurais eu le goût de la prendre dans mes bras vigoureusement et de la frencher, mais ça n’était pas le moment. Elle n’avait rien à dire, elle s’est levée pour s’en aller. Comme je ne voulais pas qu’elle parte, je me suis forcé à dire quelque chose, n’importe quoi, je trouverais bien au fur à mesure…

-Peut-être comprendrais-tu mieux la situation si je pouvais te la décrire en détail dans un texte à partir du début. Je ne crois pas que ce serait faisable de t’expliquer le tout par la parole; tu risques de m’interrompre par tes expressions faciales, tu es tellement expressive tu sais!

Elle a aimé ça cette petite observation montrant qu’elle comptait encore pour moi. Je l’ai vue esquisser un sourire, mais pas longtemps. Elle s’est arrêtée et m’a dit :

-Et j’attends combien de temps avant que tu ne me génères ce texte? J’attends de recevoir un colis par la poste?

-Non, non, j’ai déjà écrit une partie de l’affaire aujourd’hui. C’est la mise en contexte initiale, l’essentiel n’y est pas, mais je peux te donner ça à lire aujourd’hui et je vais compléter le reste demain. Demain soir, tu pourras venir chercher le reste, je te jure que j’aurai complété le tout.

-Et ça tient sur combien de pages ton affaire, comme tu dis?

-Pour l’instant, je crois que j’en suis à la page 13 d’un fichier Word normal. Il faudrait que je le fasse imprimer par contre.

-13 pages pour la mise en contexte! T’as écrit ça aujourd’hui? Si tu roulais à ce rythme-là pour ta thèse, t’aurais déjà fini la semaine passée! T’es sûr que tu y vas pas un peu fort avec 13 pages de mise en contexte?

-À toi de me le dire Catherine, c’est pour ça que j’aimerais que tu le lises!

-Écoute, j’ai pas que ça à faire, j’ai un poster à préparer pour ma présentation à Las Vegas la semaine prochaine.

J’avais oublié de préciser que Catherine est étudiante au doctorat en biologie. Elle étudie les maringouins et les propriétés de leur salive. Y parait que c’est très hot comme sujet!

-Tu lisais l’intégrale de Baudelaire en une semaine quand tu avais 7 ans (exagération de mon cru, qui est devenu un running gag pour notre couple, et qui souligne, de façon imagée, la passion de Catherine pour la lecture), 13 pages de traitement de texte ne devraient que te prendre environ 10 minutes!

-Pas quand il y a 10 fautes d’orthographe par paragraphe comme c’est ton habitude!

M’a-t-elle dit avec un beau sourire qui m’a fait fondre. Finalement, peut-être que je l’aime cette fille, et je ne dis pas ça parce que je sais qu’elle va lire ce texte.

Catherine est la correctrice de mes textes de thèse, elle sait de quoi elle parle. Mais je savais qu’elle disait ça pour détendre l’atmosphère.

-OK d’abord, disons 15 minutes. Ça te va?

-On peut bien essayer. On n’a pas accompli grand-chose en essayant de se parler tout à l’heure en tout cas!

-Il faut quand même que je te dise que je parle un peu de toi dans ce texte, et peut-être que ça ne te fera pas plaisir. Je fais aussi quelques révélations assez personnelles que je ne t’avais même pas encore confiées.

-Comme quoi?

-Comme ma libido ordinaire par exemple!

-C’est pas une grosse révélation. Tu es quand même performant quand ta blonde l’exige!

Je crois qu’elle aussi, elle m’aime encore après tout.

-C’est bien ce que je dis dans le texte!

-Alors, c’est que ton texte est honnête. Peut-être que je ne serai pas contente de voir ce que tu écris sur moi et sur nous, mais au moins j’aurai l’heure juste.

-Prends pas trop ça pour du cash tu sais, on pourra en parler par la suite.

-Ne fais pas ton pissou, fais imprimer le texte et donne-le-moi que je te laisse écrire la suite!

Je me suis exécuté pendant que l’on a continué à se parler amicalement de mon manque de talent littéraire, malgré mon côté prolifique. Elle a réussi à me faire complètement oublier mon état de fébrilité la petite bonyenne!

Une fois le texte imprimé, un petit bec sur les lèvres, un pseudo-câlin, mais sans plus. Elle partait immédiatement en roulant ses hanches, toujours aussi sensuellement. Une chance que ma libido était sous contrôle, car cette fille était magnifique! L’attitude de Catherine m’a rassuré, j’étais persuadé d’avoir bien fait en lui donnant ce texte. J’étais certain qu’elle comprendrait et qu’elle pourrait m’aider.

J’ai effectivement écrit le reste le lendemain. Il est 15h, et je viens tout juste de finir. Je sens que les heures d’attente à venir vont être pénibles… J’ai un peu peur de sa réaction. Va-t-elle vouloir lire le reste?

J’ai décidé que j’allais continuer d’écrire ce « récit », tant et aussi longtemps que la situation continuera d’exister. Je vais par contre faire le nécessaire pour écrire le récit en direct, ou presque, à partir de maintenant. Je ne vais quand même pas me promener avec mon ordinateur partout où je me promène, mais je vais y revenir aussitôt que possible.

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