Chapitre 1. L'individualisme conscient

De toute manière, le soir même, j’en parlais à Catherine, ou Catou, avec qui je devais souper, avant d’aller faire une activité physique à déterminer, en soirée. J’étais bien excité d’en parler à Catou puisque cette conversation m’avait bien motivé. Disons que Catherine a vite brisé mon enthousiasme. Voici essentiellement comment elle a réussi, presqu’instantanément, à me faire sentir comme un con :

-Veux-tu bien pas m’écœurer avec tes platitudes philosophiques! T’as rien de mieux à faire que de pelleter des nuages? Y’a tellement de problèmes concrets sur lesquels il faut s’attarder dès maintenant : la pollution, la pauvreté, le racisme, le sexisme… Il ne faut pas perdre notre temps avec ces niaiseries qui nous détournent de nos responsabilités!

Je tiens à préciser que Catherine est, à de nombreuses occasions, une personne d’agréable compagnie et que le portrait que l’on pourrait tirer d’elle suite à mon récit de notre conversation ne pourrait faire honneur à la richesse de sa personnalité. J’ai poursuivi la discussion ainsi :

-Mais y faut bien établir ses fondements à un moment donné; savoir mettre sa vie en perspective. Pas juste sauter au hasard dans différentes causes qui nous semblent bonnes sans en connaître le contexte.

-Écoute, les bonnes causes ne sont pas difficiles à trouver, elles ne créent pas d’intenses débats. Juste avec les bonnes causes évidentes, on peut avoir de quoi s’occuper à temps plein.

-Pour les born-again christian, les bonnes causes évidentes sont pourtant bien différentes des tiennes. Tout dépend de la perspective spirituelle donc, c’est pour ça que c’est important!

-Ah tu m’énerves avec tes grands discours! Moi j’aime mieux agir que réfléchir. C’est meilleur pour ma santé mentale. S’il te plaît, ne me parles plus de ce genre de sujet, ça me met mal à l’aise! Parlons plutôt du choix du restaurant où on va manger ce soir.

-Tu sais Catou, ce sujet-là représente quand même une partie importante de ce que je suis. Si tu ne veux pas en entendre parler, c’est comme si tu reniais une partie de moi. Ça me semble pas très sain pour notre couple.

-Maudit que tu te prends au sérieux des fois! Pourquoi tu me fais pas des farces niaiseuses, comme la plupart du temps? Comme ça on pourrait définitivement passer à autre chose.

… M’a-t-elle dit en se frôlant sur moi, me donnant un bisou et me transmettant son plus beau sourire, qui me fait toujours fondre. Je n’ai pas été insensible à ces arguments persuasifs et me suis laissé guider par mes instincts primaires. Reste que j’ai ressenti à ce moment qu’il y avait quelque chose de brisé entre nous et que ça ne pourrait plus jamais être réparé.

J’ai quand même passé une belle soirée. On est allé manger de la pizza, question de s’assurer de demeurer dans un mode frivole. On est ensuite allé jouer au squash au centre sportif de l’université, le PEPS, ce qui m’a un peu changé les idées. La soirée s’est arrêtée là par contre, je n’ai même pas tenté de profiter du magnifique corps que Catou m’offrait sans trop de résistance. J’étais vraiment obnubilé par ma dernière conversation avec Sean. Je la poursuivais avec moi-même. J’avais plein d’arguments que je voulais tester avec Sean le plus rapidement possible. Je ne souhaitais que poursuivre notre discussion.

*****

Ça s’est fait le lendemain soir, soit le lundi soir. Toute la journée du lundi, plutôt que de rédiger ma thèse, j’ai pris des notes avec mon logiciel de traitement de texte, au sujet de ma conversation avec Sean sur la spiritualité:

-Pas de magie, de la démagogie (peur de la mort, peur de la différence, peur de se tromper).
-Fanatisme au nom de Dieu, tout est permis.
-Spiritualité religieuse mène à l’étroitesse d’esprit? Dogmatisme!
-Il faut croire en un élément supérieur : pourquoi?
-Ce qui ne s’explique pas maintenant ne mène pas nécessairement à Dieu. Droit de ne pas comprendre.
-Preuves scientifiques, sélection naturelle, psychologie vs foi.
-Religieux américains, message de paix à leur manière, ça mène à la guerre.
    -Message d’amour mène à la haine des autres, discrimination.
    -Message de liberté mène à l’intransigeance.
    -Message familial mène à l’intolérance.

J’ai cogné à la porte de l’appartement de Sean vers 18h30 ce soir-là. Il semblait content de me voir. J’étais un peu excité, alors je me suis mis à parler sans délai, à un rythme un peu fou, en oubliant presque de respirer. J’ai rapidement lancé ma formule, dont j’étais si fier, de la démagogie plutôt que de la magie (en français évidemment, pour que ça rime, faisant confiance à Sean pour comprendre). J’étais possédé, mon envolée orale m’impressionnait moi-même. Je répétais des arguments que j’avais déjà utilisés, pensant être beaucoup plus convaincant; alors que, avec du recul, ce ne l’était pas tellement.

J’ai mentionné que je voulais réhabiliter le terme individualisme, que l’on confondait trop souvent avec frivolité, recherche incontrôlée de plaisirs immédiats, irrespect de l’autre. Individualisme pouvait très bien vouloir dire de s’assumer totalement, d’être responsable par rapport à soi-même et à la société qui nous entoure.

Sean me regardait tout ce temps avec un petit sourire niais que j’arrivais mal à interpréter et qui me mettait mal à l’aise. Afin de compenser ce malaise, j’en mettais encore plus, afin de le convaincre, ou à tout le moins, le faire réagir. J’espérais qu’il mette un terme à mon monologue qui me semblait de plus en plus incohérent. J’ai tenté ma chance en parlant de l’usage mensonger, de l’appropriation par les croyants du terme spiritualité, que l’on confondait avec ésotérisme et mysticisme. La spiritualité, d’après moi, correspond à l’usage de l’esprit, à la capacité d’utiliser des idées abstraites pour mieux fonctionner dans le quotidien. Ainsi, quelqu’un qui refuse les dogmes préfabriqués pour guider sa vie, mais qui assume ses choix, pris à partir de ses propres réflexions, basés sur ses valeurs, me semble beaucoup plus spirituel que bon nombre de croyants, même s’il est athée. En tant qu’athée, mes valeurs ne m’amènent pas à être matérialiste et insouciant. Je crois au bonheur, à l’amour et à l’équilibre social. Ça n’a toujours pas fait réagir Sean, mais ça a tout de même eu le mérite de me faire du bien. La frustration d’être étiqueté automatiquement comme un être superficiel, puisque non-croyant, était profonde et je m’en rendais compte tout à coup.

J’en ai rajouté en parlant de l’appropriation du terme croyant par les « religieux ». Pourquoi devrais-je être étiqueté non-croyant? Je crois en la capacité de l’Homme de prendre ses responsabilités. Je crois au bonheur, en l’amour, au sens de la vie. Pourquoi les croyants ne devraient-ils pas plutôt être étiquetés de disciples d’idoles, ou d’endoctrinés?! Sean a sûrement senti l’émotion qui montait en moi, et peut-être trouvait-il que j’allais trop loin, car il a finalement pris la parole :

-Jeff, que fais-tu de l’hypothèse voulant que Dieu soit l’univers, ou qu’Il soit l’énergie de l’univers, qu’en penses-tu? Un athée comme toi ne devrait même pas croire à ce principe.

Évidemment ça n’avait rien à voir avec ce dont je parlais jusque-là, mais Sean cherchait probablement un moyen de changer de sujet, voyant que je m’égarais un peu dans mes frustrations. De toute façon, le sujet m’intéressait et ça me donnait l’opportunité d’en parler.

-Un croyant et un non-croyant ne se distinguent pas par la sémantique ou le vocabulaire utilisé. Si tu veux changer le terme univers par Dieu ou énergie par Dieu, je n’ai pas de problème avec ça. Si c’est ce qui fait de moi un croyant, alors je m’associe sans peine à ce genre de croyance. Par contre, je ne m’associe pas aux croyants dont la vie est dictée par un dogme religieux n’ayant rien à voir avec l’univers, l’énergie ou le Big Bang.

Ça a semblé suffire à Sean qui a pris une petite pause réflexion avant de me lancer :

-Tu sais, ton idée d’individualisme conscient m’intéresse beaucoup. Je la vois comme un concept pouvant être rassembleur pour différentes communautés religieuses, et même des pseudo-athées comme toi. Dans le fond, ce que tu dis, c’est qu’il nous faut une communauté sur laquelle s’appuyer. Cette communauté peut être religieuse ou pas, selon ce qui nous rend confortable.

-Mon concept va plus loin que ça, je parle aussi d’individualisme, dans le sens de s’assumer, d’être responsable. Chacun devient un leader dans sa communauté, plutôt qu’un exécutant.

-On ne peut pas toujours être un leader, parfois on s’égare, on a des moments de faiblesse. C’est là que la communauté entre en jeu. Tu pourrais comprendre un être solitaire de se tourner vers un mouvement religieux afin de constituer sa communauté d’appui.

-Je peux comprendre, mais je trouve tout de même que cet être solitaire serait mieux servi en renouant avec sa famille. Il pourrait aussi se développer un groupe d’amis réels, afin de constituer sa communauté d’appui, plutôt que d’aller vers une recette toute faite qui mène à la passivité intellectuelle et à l’intolérance vis-à-vis ceux qui ne partagent pas ce dogme.

-Je ne veux pas entrer là-dedans, ce que je veux, c’est que tu me parles un peu plus de ton concept d’individualisme conscient. Je veux que tu me parles de toute la réflexion qui t’a mené à ce concept.

J’étais extrêmement flatté! Je me suis donc exécuté. La soirée s’est terminée assez tard et je suis retourné chez moi flottant dans mon bonheur et ma fierté. J’avais été écouté avec intérêt concernant un concept personnel que j’avais assemblé sans aide… Ce sentiment a duré encore quelques jours avant de se mêler à d’autres, beaucoup moins intéressants, suite aux développements que je vais vous présenter dans le prochain chapitre.

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