Chapitre 4. Lettre de Catherine

Je n’aime pas beaucoup les textes écris à la première personne. Je n’aime pas non plus les textes écris en langage oral. Par contre, je vais utiliser ce style pour des raisons de continuité, et surtout car je n’ai pas beaucoup de temps pour rédiger ce texte.

Ce texte explique les raisons personnelles pour lesquelles j’ai demandé à Jean-François de prendre une pause dans notre relation amoureuse. Ce texte explique également mes attentes par rapport à cette période de pause et la conclusion heureuse que je souhaite à notre couple, suite à cette période plus difficile.

D’abord, je tiens à clarifier mon impression de notre relation de couple, afin de contrebalancer certains propos que Jean-François a pu tenir à notre sujet. Je considère que notre relation se déroulait très bien jusqu’à tout récemment. Jean-François et moi nous sommes connus lorsque nous étions déjà adultes. Nous avions déjà vécu des aventures amoureuses précédemment. Nous n’étions pas blessés de nos ruptures passées. Par contre, nous savions davantage ce que nous recherchions. Nous sommes deux personnes rationnelles, stables émotivement (jusqu’à tout récemment dans le cas de Jean-François) et saines. Par ce dernier qualificatif, je veux dire que nous sommes physiquement et moralement en santé, que nous poursuivons un idéal relativement bien établi. Nous ne nous cherchons pas, à l’instar de plusieurs de nos collègues et ami(e)s. Lorsque j’ai rencontré Jean-François pour la première fois, j’ai tout de suite senti sa grande confiance en lui. Son bien-être était palpable. Il n’était pas à la recherche d’une proie féminine, mais il semblait ouvert à une rencontre pouvant lui permettre d’aborder quelqu’un d’intéressant, une femme de préférence dans son cas. J’étais dans la même situation, recherchant un homme de préférence dans mon cas. Jean-François est également très beau. Ce n’est pas nécessairement une beauté plastique, mais il a un très beau sourire. L’ensemble de sa physionomie, avec son corps athlétique, sa taille, sa démarche solide, ses cheveux en bataille, font qu’on le trouve beau, sans trop savoir pourquoi. Il dégage en effet un petit quelque chose qui nous donne le goût de lui parler.

Je n’ai pas été déçue par nos premiers rendez-vous. J’ai apprécié la découverte de son romantisme discret. J’ai surtout apprécié sa grande générosité et son insatiable curiosité. Il voulait tout faire, tout connaître, il mordait dans la vie. Ce qui me donnait le goût de mordre en lui. Il ne voulait pas me changer, il semblait m’apprécier, me respecter. Il semblait être impressionné par qui j’étais, ce que je faisais, ce que je pouvais lui montrer, lui apporter. Ces marques d’affection n’étaient pas étalées au grand jour. Il n’agissait pas pour épater la galerie, pour montrer son bonheur à la face du monde. Ses câlins se faisaient en privé, parce qu’il en avait envie. Il voulait en recevoir autant qu’en donner. Il ne vivait, ou ne vit pas seulement pour le plaisir immédiat, il a certains objectifs de vie qu’il poursuit. J’apprécie le fait qu’il veuille donner un sens à sa vie. Je n’apprécie cependant pas que cette quête prenne une place démesurée dans sa vie.

Il a encore des choses à prouver, c’est son côté enfant. Je m’en rends surtout compte lorsqu’il côtoie mon père. Mais il s’en rend compte lui-même. Il travaille à s’améliorer. Il est très impatient, c’est son plus vilain défaut. Par contre, c’est le prix à payer pour sa passion de la vie en général. Ces défauts le rendent charmant, surtout qu’il n’est pas macho du tout. Il est orgueilleux, mais pas macho. On peut expliquer cette affirmation en observant que son orgueil ne s’applique pas afin d’éviter de perdre la face par rapport à ceux qui l’entoure. Il est orgueilleux car il veut réussir sa vie et souhaite que sa communauté l’appuie dans sa démarche vers cet objectif. Il est capable de s’excuser, se donne le droit à l’erreur. En autant que ce soit une erreur isolée, qui ne se répète pas, par laquelle il apprend et peut s’améliorer.

Effectivement, ce n’est pas le meilleur amant que j’ai connu. Il n’a peut-être pas la fougue que d’autres ont plus naturellement. Sauf que lorsque l’on fait l’amour, il est là en entier. Il est tendre, chaleureux, à l’écoute de sa conjointe. Avec lui, je fais vraiment l’amour. Il ne s’agit pas d’un homme qui m’utilise, en ne pensant qu’à son propre plaisir, comme j’en ai connu dans le passé. Il ne prend pas souvent l’initiative de nous pousser vers une relation sexuelle; moi non plus d’ailleurs. Je crois que c’est dû au fait que l’on a tellement d’activités, de choses à faire, d’intérêts. Le sexe fait partie de ces intérêts. Il a l’avantage d’être exclusif et très intime, une chose particulière et précieuse. Mais ce n’est pas l’objectif ultime de notre relation de couple. C’est un petit luxe que l’on se paie à l’occasion pour se faire plaisir mutuellement. C’est la seule façon pour nous d’exprimer à quel point l’on s’aime vraiment. Car souvent, les mots ne suffisent pas.

J’aime toujours Jean-François, c’est une évidence pour moi. Je n’ai pas l’intention de voir ailleurs pendant notre pause. Mon amour est exclusif et fort. Je ne veux que du bien à Jean-François. J’ai nettement l’impression que c’est la même chose pour lui. J’ai une grande confiance en lui. Pas une confiance absolue : j’ai aussi mes périodes de doute comme tout le monde, mais je crois qu’il ne me fera jamais ce qu’il ne voudrait pas que je lui fasse. C’est un gars honnête et sensible. Je l’aime vraiment.

Il est vrai que nous nous donnions à chacun beaucoup de temps pour nos projets personnels, mais je crois que ça reflétait notre confiance l’un envers l’autre, notre volonté de voir l’autre s’accomplir. Je crois que ça témoignait de la solidité de notre couple, du bon équilibre de notre relation. Je suis désolée de voir que Jean-François a perçu les choses différemment. Je suis désolée qu’il doute de la solidité de notre couple. Je ne considérais pas du tout que nous nous éloignions, bien au contraire! Quand je fais mes projets personnels, j’ai hâte de lui montrer les résultats. Il me motive à bien faire car je souhaite qu’il soit fier de moi. J’ai hâte de lui parler de ce que je fais! J’aime profiter de son esprit d’analyse lorsque je vis une période d’incertitude. C’est vrai, je crois que notre couple n’a presque pas vécu la période de passion du début d’une relation. On est tout de suite passé au stade de l’amour-amitié, mais je ne vois rien de malsain à ceci. Notre amour n’est peut-être pas aussi intense que d’autres, mais il a certainement le mérite d’être très dense.

Cette période de réflexion, cette pause, est nécessaire afin de s’assurer mutuellement que nous sommes sur la même longueur d’onde au sujet de la perception de notre couple. De plus, je veux m’assurer que la spiritualité de Jean-François prend une place raisonnable dans sa vie. Une place avec laquelle je suis à l’aise. Je veux m’assurer que ce qui se passe présentement ne lui montera pas à la tête. Je veux que sa spiritualité, et la mienne - mais c’est déjà mon cas - inclut de manière prioritaire notre relation de couple. J’ai toujours eu un malaise avec la réflexion spirituelle de Jean-François. Elle est très extravertie par rapport à la mienne. Il semble rechercher une vérité absolue. Alors que moi, je ne recherche que le bien-être, une philosophie qui fait que je sois à l’aise avec moi-même et mon entourage. Je suis en partie agnostique, car je ne cherche pas à tout comprendre, sachant que c’est impossible. Je sais de plus qu’aucun mouvement religieux actuel ne répond parfaitement à ma philosophie personnelle, alors je n’adhère à aucun d’eux. J’écoute cependant, et je prends ce qui me semble bon à gauche et à droite, dans chacune de ces religions, mais pas juste dans celles-ci; dans les discours familiaux, de philosophes, de jovialistes et même de politiciens charismatiques parfois. Évidemment, mon éducation catholique fait que j’ai principalement été influencée par celle-ci. Par contre je rejette totalement la perception des femmes par le catholicisme actuel. D’ailleurs, je rejette la perception des femmes dans presque toutes les religions que je connais. Ça met en lumière que ces religions sont des mouvements d’hommes, au même titre que des mouvements politiques, et ça n’a rien à voir avec la parole de Dieu. Est-ce que je connais toutes les religions et ce qu’elles ont à offrir : non?! J’y consacrerai du temps lorsque le besoin se fera sentir. Pour l’instant, j’ai assez d’information pour me bâtir une structure de valeurs qui me permet d’atteindre le bonheur et ça me suffit. Est-ce que je crois en Dieu? J’aime souvent penser qu’il y a une puissance suprême qui donne un sens à tout ce qui nous entoure, qui veille sur nous, c’est rassurant. Je dirais que j’aime croire en Dieu, mais que je n’y crois pas nécessairement. Dieu existe car il me fait du bien de penser à lui. Un peu comme le père Noël quand on est jeune. S’il existe, est-il important que je le louange, que je lui accorde une grande place dans ma vie? Je ne crois pas. J’imagine que s’il existe, il serait beaucoup plus important pour nous d’investir notre temps à faire progresser sa création plutôt que de la détruire, plutôt que de s’entre-déchirer en son nom. Une chose est certaine, s’il existe, il n’y en a qu’un. Il n’y a pas un Dieu pour les arabes, un autre pour les asiatiques et un autre pour les caucasiens. Ce qui nous ramène à rejeter les religions. Je me définirais donc comme une agnostique non-catégorique, une agnostique opportuniste. Une agnostique qui regarde les menus et qui refuse de prendre une table d’hôte en particulier, la même table d’hôte tout le long de sa vie. Contrairement à une agnostique convaincue, je ne me refuse pas à y réfléchir; mais je me refuse à y réfléchir jusqu’à en être complètement convaincue. Cette réflexion est un outil pour construire mon bonheur, pas le pilier sur lequel je bâtis toute ma vie. Je ne me bâtis aucun modèle ou théorie, il y a déjà assez de solutions existantes pour que je puisse piger à gauche et à droite ce qui répondra à un besoin particulier, au moment où je le vis.

Ceci dit, est-ce que je serais capable de vivre en couple avec quelqu’un qui fait de sa réflexion spirituelle le pilier de sa vie, plutôt qu’un outil? Peut-être, c’est en partie la question que je vais me demander durant cette période de pause. Si le pilier ne prend pas toute la place, sert d’appui, mais agit en coulisse, je ne crois pas que ça posera de problème. Si le pilier sert à bâtir une structure de valeurs, mais qu’il disparaît la plupart du temps pour laisser la place au quotidien; si le pilier ne revient que pour des périodes ponctuelles, en cas de besoin, suite à une remise en question ou un besoin d’enrichissement de sa structure de valeur, il n’y aura pas de problème. C’est une perspective différente de la mienne, mais on en arrive au même résultat : on vit sa vie en entier plutôt que de se faire moine dans sa propre abbaye. Est-ce que Jean-François va réussir à mettre le pilier en sourdine dans sa vie, plutôt qu’en premier plan? Ça reste à voir! Je sais bien que c’est la réaction de Sean qui impose présentement de mettre le pilier en premier plan. Ce n’est pas vraiment Jean-François qui a provoqué la situation. Mais le résultat est le même s’il est impliqué. Jean-François verra-t-il dans la situation actuelle une occasion de réussir sa vie, de faire sa marque? Si oui, il deviendra pèlerin et il devra se chercher une partenaire pèlerine qui ne sera pas moi. D’une certaine manière, la rédaction de ce petit paragraphe me fait mieux comprendre la pertinence du célibat des prêtres, que j’ai toujours tant décriée.

Donc, la pause permettra à Jean-François de décider de l’importance qu’il accorde à l’initiative de Sean dans sa vie. Mais pas juste à l’initiative de Sean, à toute autre initiative « spirituelle » à venir. Ça me permettra d’assimiler l’importance qu’a sa réflexion philosophique pour Jean-François, de ne plus être mal à l’aise par rapport à celle-ci, si elle retourne à l’arrière-scène. Elle me permettra de m’assurer que je suis bien à l’aise avec ma propre spiritualité. Que mon malaise par rapport au discours de Jean-François ne provient pas, en fait, de mon propre malaise d’avoir une spiritualité fragile ou incomplète. Elle nous permettra aussi de nous assurer que nous partageons une vision d’avenir commune pour notre couple, que nous nous aimons vraiment l’un l’autre comme j’ai toujours pensé que c’était le cas.

Je m’attends à ce que cette pause ne dure pas plus de quelques mois, la période estivale probablement. Je m’attends à ce que nous restions fidèles, amis et respectueux durant cette période. Que nous respections notre entente d’un contact par semaine, quoi qu’il arrive. Que ces contacts ne soient pas utilisés pour débattre de nos réflexions respectives. Ces contacts doivent servir à simplement rester en contact, à prendre des nouvelles, à présenter les conclusions lorsqu’elles seront disponibles. La période de pause ne doit se terminer que lorsque les deux parties auront tirées leurs conclusions. Si un a terminé sa réflexion avant l’autre, alors il attendra patiemment. Le couple ne reprend que si les conclusions de chacun mènent à ce constat de façon claire et évidente. Si la conclusion d’un des deux parties est que le doute va persister encore longtemps, alors c’est la fin du couple. S’il n’y a pas unanimité entre les deux parties, alors c’est la fin du couple. Tant pis pour celui qui y croit. C’est froid et directif comme description de mes attentes, mais je crois que c’est honnête et que ce sera acceptable pour toi. On pourra en reparler vendredi prochain si tu veux.

Les conclusions souhaitées pour notre couple suite à cette pause me semblent évidentes. Je veux que l’on se retrouve. Je veux que l’on partage ensemble le but de fonder un jour une famille. Je veux que l’on soit à l’aise avec la spiritualité de l’un et de l’autre. Je veux que cette spiritualité joue un rôle secondaire dans notre quotidien, un rôle d’arrière-scène. C’est drôle, mais au moment où j’écris ceci, je suis persuadée que ce sera le cas, je n’ai presque aucun doute. Mais ne profite pas de ma confiance pour ne pas faire tes devoirs, M. Lahaie. Je te promets de faire de même.

Merci Jean-François, je crois finalement que tu avais raison. Le fait d’écrire ce texte est sans doute la meilleure façon d’aborder la situation actuelle entre nous. J’ai l’impression d’avoir pu t’exprimer des choses que je n’aurais pas pu avouer autrement. Ça démontre peut-être un petit problème de communication dans notre couple. Mais ce n’est déjà plus un problème puisque la solution existe. S’il ne nous restait que ça comme petit problème, n’est-ce pas que l’on serait bien? Je le souhaite en tout cas.

Bonne chance à toi dans ta réflexion, et bonne chance dans ta gestion de Sean et du brouhaha actuel!

Je t’aime!

Catherine
xxx

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Quelle femme quand même que cette Catherine, c’est super intéressant sa réflexion spirituelle. Dommage qu’elle ne m’en ait jamais parlé avant. Je crois bien que je l’aime moi aussi. Je souhaite de tout cœur que ça marche entre nous. Mais je n’ai toujours pas le contrôle sur la situation. Je suis par contre bien motivé à mater cette bête. La récompense en vaut la peine. J’ai promis de faire mes devoirs et je vais les faire!

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