Chapitre 3. 25 mai 2006

Je suis allé me promener en vélo au cours de l’avant-midi. Un long trajet pour faire sortir le méchant. Je me suis rendu au Lac-Beauport. À partir de Sainte-Foy, c’est toute une trotte! Il faisait super beau. Il n’y avait pas de vent. Seuls les nombreux nids-de-poules, les bosses et les craques dans la chaussée me faisaient sortir de ma béatitude de ne penser à rien. Au niveau de Charlesbourg, j’ai atteint mon rythme et mon second souffle, et je ne me sentais plus du tout fatigué. Je me sentais comme lorsque l’on fait du vélo dans le noir. On semble flotter, on ne sent rien, on ne sait pas très bien où on est. Je suais en masse, et j’aimais le feeling de me sentir visqueux, le chandail collé à la peau. Lorsque je voyais des cyclistes à cuissards à l’horizon, je les verrouillais dans ma mire et je me lançais à leur poursuite, sans aucun doute sur la victoire à venir. Le dépassement achevé, je les imaginais regarder mes pauvres shorts en coton-ouaté s’éloignant devant eux, se disant qu’ils avaient l’air un peu fou dans leur ensemble vélo dernier cri, avec leurs souliers à cale, et leur bécane à plus de 1000$, incapables d’avancer à la vitesse d’un amateur sans prétention. J’avais la prétention de les humilier un peu. De leur montrer que la monture n’était rien, le monteur faisait toute la différence. Tout ceci se passait dans mon imagination! Peut-être que le cycliste bien équipé se foutait pas mal de battre des records de vitesse, et ne voulait qu’apprécier le spectacle sur son chemin, tout en minimisant ses chances de trop souffrir. Peut-être que si j’avais les moyens, je m’achèterais moi-même ce genre d’équipement et je rirais des petits étudiants pauvres essayant de compenser pour leurs accessoires démodés en se brûlant les poumons. Tout est relatif comme disait Einstein! J’étais quand même un peu surpris de voir autant de sportifs par un beau jeudi du mois de mai.

Rendu au Lac Beauport, de la municipalité de Lac-Beauport, j’ai pris le temps de regarder un peu autour de moi. C’est là que j’ai perdu le rythme et que j’ai commencé à me sentir fatigué. J’ai aussi manqué de fluides, mais il y avait des dépanneurs à proximité et j’avais pensé à m’emmener un peu d’argent. De superbes cabanes de riches s’interposaient entre le lac et la route. Je regardais particulièrement les voitures dans les entrées : des Mercedes, des BMW, quelques Hummer.

Ça m’écœure bien raide les Hummer, c’est vraiment le symbole du je-m’en-fous-du-protocole-de-Kyoto-et-de-l’environnement,-moi-je-suis-riche-et-mangez-donc-de-la-marde! Ça me donne sérieusement le goût de faire du vandalisme, mais je me retiens. Si je vois un Hummer rouler à l’arrêt en attendant que son propriétaire revienne, là je ne garantis pas que je vais être capable de me retenir.

Le lac miroitait de petites vaguelettes, alimentées par le passage de quelques embarcations, à vent ou à moteur. Pas assez pour faire trop de bruit ou pour perturber l’allure bucolique de la scène. J’admirais toute cette opulence qui s’étalait devant moi. En même temps, ça me choquait. Je ne sais pas si ça me choquait parce que je ne voyais pas le jour où je pourrais réussir à la partager, ou parce que c’était le symbole de la société de consommation qui allait nous perdre. J’ai choisi cette deuxième option, c’était beaucoup plus vertueux et noble. Ça me permettait de mieux vivre avec moi-même. Un beau mélange de feuillus et de conifères coloraient les collines entourant le lac. Il y avait même une petite église catholique à la sortie du périmètre du lac, mais j’ai choisi de ne pas la voir, j’avais peur de rechuter et me mettre à penser à ma damnée situation de con. Je me suis concentré très fort à identifier le modèle de l’automobile qui me dépassait, une Subaru Legacy Outback verte, datant d’au moins 2 ans, un vieux modèle pour le coin, et j’ai pu éviter le pire. Mais déjà, les jambes commençaient à me manquer. Le retour allait être pénible. J’étais à quoi, 25 km de chez moi? Il fallait aussi préciser que j’avais mal dormi la nuit précédente. Rien pour m’assurer la grande forme. Même après avoir bu un Gatorade au complet, la volonté n’y était plus. Mes jambes pesaient des tonnes et mes poumons m’annonçaient qu’ils ne trouvaient plus ça drôle. Une chance, le reste du trajet était en descente, et toujours pas de vent. J’ai roulé doucement vers ma destination finale, eh oui, me faisant dépasser quelques fois par des beaux bonhommes à cuissards et à chandails Look colorés! Je n’avais plus assez d’énergie pour être humilié à mon tour. Ce n’était pas l’euphorie de l’aller, c’était la survivance du retour. Ça réussissait tout de même encore à m’empêcher de penser à mes inconforts psychologiques, me concentrant sur la souffrance physique. Je n’ai par contre pas réussi à remonter la côte St-Sacrement, à quelques pas de chez moi. Malgré le fait que j’avais encore moins d’énergie que précédemment, cette fois-ci j’ai pleinement senti l’humiliation de marcher avec mon bicycle pendant que les automobilistes me regardaient avec un petit air triste. Je priais (à ma façon) pour qu’aucune de mes connaissances ne me voient dans cette fâcheuse position.

Arrivé chez moi, j’ai pris une douche et j’ai mangé une énorme salade de thon. J’ai dû boire 5 litres d’eau tellement j’avais soif. Mes jambes ne pouvant plus me porter, je me suis effouéré sur une chaise et me suis mis à penser à Catherine. Comment j’avais pu être si peu au diapason avec Catherine, nous voyant comme un couple de convenance, alors qu’elle me voyait comme le père de ses futurs enfants?

C’est maintenant assez clair qu’on a tous les éléments pour bâtir quelque chose de solide ensemble. On est des amis qui s’entendent bien, et qui se désirent sexuellement. Qu’est-ce qu’il faut de plus que ça pour que ça marche? Je sais pas? Moi aussi j’en veux des enfants, alors c’est pas ça qui me fait peur. C’est juste que je me disais que quand on a trouvé le grand amour, on le sait vraiment, les feux d’artifices de la période de courtisanerie continuent toujours d’exploser dans ce cas, non? Peut-être que je rêve en couleurs. D’un point de vue plus rationnel, quand je regarde autour de moi, les autres filles (peut-être devrais-je dire femmes, à mon âge) qui m’entourent, je n’en vois aucune qui me semble vraiment mieux que Catherine. Il y en a qui pourraient peut-être s’en approcher, que sais-je, mais aucune évidence ne se dégage. Évidemment, j’ai des pulsions sexuelles pour d’autres filles. Je suis curieux, j’aimerais ça voir comment ce serait, mais rien de plus. Avant la situation actuelle, jamais je ne me suis dit que j’étais en train de manquer le bateau en restant une minute de plus avec Catherine. En plus, comme je n’ai pas le guts de cruiser ces filles qui me titillent le bas du ventre, j’ai très peu de risques de me retrouver dans une situation inacceptable pour Catherine. Il faudrait vraiment que ces filles me sautent dessus, et comme je ne suis pas Orlando Bloom, et qu’elles ne sont fort probablement pas en manque, les chances que ça arrive sont quasi-nulles, et c’est tant mieux. Catherine a vraiment eu du mérite en venant me dénicher dans mon coin. De son côté, elle me dit que les filles sont capables de mettre leur switch sexuelle à off envers d’autres gars que leur chum si elles se sentent bien dans le couple. Je sais pas si je crois vraiment à ça. Une switch, ça peut toujours être remis à on, si on trouve le bon bouton et si on fait l’effort nécessaire. En tout cas, même si je parais mal en avouant ça, je suis parfaitement capable de m’imaginer tromper Catherine, mais parfaitement incapable de m’imaginer, ou d’accepter qu’elle puisse me tromper. Je me sentirais complètement violé je crois! Ce n’est peut-être pas sain cette dichotomie, mais c’est la vérité. Maintenant, Catherine se sent trompée par mes turbulences philosophiques. Si au moins j’avais du fun en vivant cette aventure extraconjugale! J’en ai eu un peu au début quand même, mais maintenant, j’aimerais n’avoir jamais ouvert la porte à cette charmeuse… peut-être que l’analogie se tient dans le fond?

Et Sean avec tous ses plans et sa mission dans tout ça! Qu’est-ce que je peux faire pour retrouver la paix? Lui dire de ne plus m’impliquer dans sa croisade? Je suis déjà impliqué, mais je pourrais me détacher de tout ça maintenant et le laisser aller, il n’est pas trop tard. Mais je doute que je sois capable de devenir aveugle à toutes ses initiatives qui se passeront dans mon champ de vision immédiat. Je doute que je puisse accepter passivement que mes idées soient déformées. Je doute même que je puisse me détacher du mouvement sans vouloir obtenir une part des bénéfices, si celui-ci réussit. Peut-être devrais-je forcer un peu les choses? M’en aller à Las Vegas avec Catherine, y rester quelques semaines de plus? Visiter Death Valley et le Grand Canyon, Mesa Verde et le Nouveau-Mexique? Je rêve d’aller là depuis que j’ai passé quelques jours à Albuquerque lors d’une conférence, il y a deux ans. Mais j’ai pas une cenne! À qui pourrais-je emprunter de l’argent pour aller là-bas? Est-ce que Catherine accepterait vraiment de m’accompagner, ou que je l’accompagne? Est-ce que Sean me laisserait tranquille, ou s’il me poursuivrait inlassablement, où que je sois? Sean est devenu une terreur pour moi! Quand je pense à lui, je l’imagine en tyran, comme les méchants missionnaires que l’on voit dans les films américains portant sur la colonisation de l’Amérique…

Quand Catherine est arrivée, je dormais, la tête reposant sur mes bras, mes bras reposant sur la table. Elle m’a fait sauter un peu, mais pas volontairement. Je n’avais évidemment pas barré la porte, et je n’avais rien entendu quand elle a cogné. J’étais pas mal courbaturé, mais surtout perdu dans mes rêves, où Sean me poursuivait à l’époque médiévale, un peu comme dans le film Au nom de la rose, que j’ai vu récemment à la télé. Il était avec une gang de moines pas recommandables. Catherine n’y était pas. C’est pourquoi, quand elle m’a réveillé, j’ai eu le sentiment qu’elle venait me sauver, je l’intégrais à mon rêve. Je lui ai souri à pleines dents, même si j’avais les yeux à moitié fermés. Quand j’ai vu son air sombre, j’ai compris que ce n’était pas ça! Il fallait que je revienne à la réalité. Ça m’a quand même pris un peu de temps à retrouver mon chemin vers cette réalité. Je devais bien avoir dormi pendant au moins 2 heures. Catherine a été patiente. Elle m’a offert de l’eau, ce qui m’a tout de suite révélé une énorme envie de pipi; c’est normal, après tout ce que j’avais bu plus tôt. À la salle de bain, j’en ai profité pour me passer un peu d’eau au visage, ce qui a terminé le travail de réveil complet. J’étais prêt à confronter la décision de Catherine. Il fallait ce qu’il fallait!

Catherine m’a simplement dit que dans les circonstances, avec son départ prochain pour Las Vegas, le peu de temps qu’elle avait eu pour analyser la situation, le fait que la «calamité Sean» était toute récente et qu’elle ne pouvait savoir comment ça allait vraiment finir pour moi par rapport à ça, le fait qu’elle m’aimait encore : la seule alternative était le break. Elle ne savait pas où ce break allait mener. Elle ne savait pas si on allait se retrouver suite à ce break, mais elle l’espérait. Elle m’a dit ça tout d’un bout, presque froidement, bien que j’aie reconnu quelques trémolos dans le fond de sa gorge. Elle avait bien préparé ce qu’elle avait à dire, et elle avait livré la marchandise. Je l’admirais pour ça! Je n’avais pas le goût de débattre sa conclusion. Pas maintenant, ce n’était pas le moment. Elle avait l’air décidé et moi, j’étais sonné.

-C’est quoi les conditions du break? Combien de temps tu lui donnes à ce break?

-Aucune condition, aucune durée prédéterminée. On se contacte au moins une fois par semaine pour se donner des nouvelles, et à partir de là, on verra comment ça va!

-Est-ce que l’on passe la soirée ensemble?

-Non, et je n’ai pas le goût d’en parler davantage, sinon je vais me mettre à brailler encore! Envoie-moi ton maudit texte par courriel et je vais remplir ma part du deal. Toi de ton côté, tu es d’accord avec mon idée de se contacter une fois par semaine jusqu’à ce que l’on puisse prendre une décision finale?

-J’imagine que oui, est-ce que c’est toi qui m’appelle jeudi prochain à partir de Las Vegas?

-Vendredi prochain à 17h00, ton heure, sois ici et je vais t’appeler. Pour ton texte, je vais te le renvoyer par courriel, incluant ma section d’explication, avant mon départ dimanche soir.

-Tu vas avoir le temps d’écrire ce texte et de préparer ton poster avant de partir?

-J’ai pas le goût d’en parler! Je vais respecter l’entente et on pourra passer à autre chose! Je m’en vais tout de suite, reste ici, ne me suis pas! Envoie moi le courriel dès que j’ai quitté, OK!

-OK, salut, bonne chance à Las Vegas!

J’ai juste eu le temps de finir ma phrase que la porte claquait; elle était partie. Nous étions officiellement en break. Je me suis ré-effouéré dans ma chaise, la tête dans les mains. Me semble que j’aurais aimé pleurer, mais j’en étais incapable.

J’ai eu la force d’envoyer le texte à l’adresse de Catherine, incluant cette dernière section, mais ça m’a tout pris.

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