Chapitre 5. 2 juin 2006

J’ai donc entrepris de réfléchir; de faire mes devoirs, comme l’exigeait Catherine. Est-ce que je pouvais vivre ma spiritualité en sourdine, ou devait-elle prendre toute la place? La réponse était évidente me semble-t-il. Je n’avais pas l’intention de devenir moine ou prêtre. J’avais l’intention de vivre dans le quotidien, dans la société moderne; pas en marge. Il m’arrivait quelque chose de bizarre, qui avait pour thème la spiritualité. Par contre, ce qui m’attirait dans ça n’était pas le thème spirituel comme tel. C’était plutôt la possibilité de changer le monde, d’avoir un impact grand public. J’aurais sans doute vécu des choses similaires si un réalisateur d’Hollywood était venu me découvrir, ou si une agence de mannequins m’avait recruté… comme je ne suis pas une beauté rare, ça ne risquait pas d’arriver. Par contre, hypothétiquement, ce ne serait pas parce que je devenais un comédien connu que la comédie, le cinéma, le jeu d’acteur, deviendraient les phares de ma vie. Il s’agirait d’une opportunité, une chance, s’étant présentée à moi et dont j’aurais décidé de profiter. Il était évident que Catherine ne voyait pas les choses de cette façon. Il était également évident que le thème de la spiritualité était un sujet beaucoup plus sensible que celui du cinéma hollywoodien. Je comprenais donc Catherine de réagir comme elle le faisait. Si je devais être honnête avec moi-même, il était aussi évident que je ne vivrais pas une telle tourmente s’il ne s’agissait que de déménager à Los Angeles pendant un certain temps. Il fallait que je voie les choses en face, ce n’était pas si simple. La réponse à la question de Catherine, elle, était simple : je mettais facilement ma spiritualité en sourdine, en arrière-plan. Par contre, si j’embarquais dans l’aventure de Sean, celle-ci reprendrait le premier rôle; pour moi, comme pour les autres. Je devais donc trouver le moyen de me sortir de l’engrenage en cours. Il n’était sûrement pas trop tard.

Je me poussais à réfléchir à des moyens de me sortir élégamment de cette situation peu commune, mais mon esprit divaguait et se concentrait sur d’autres sujets. C’était comme si je me refusais à moi-même de chercher une véritable solution. Est-ce que c’était parce que c’était trop difficile ou trop pénible? Est-ce que c’était parce que je désirais me laisser porter encore un instant par la tempête et voir où ça allait me mener avant de prendre une décision? Cette deuxième option, où j’essayais de gagner du temps par rapport à mes responsabilités, me faisait honte. C’était un jeu dangereux qui ne me ressemblait pas. Je me laissais mener passivement par les événements. Je pouvais facilement me réveiller et réaliser qu’il était trop tard pour faire marche arrière. Il me fallait me prendre en main. Mater la tempête plutôt que de me laisser porter par elle. Mais je n’y arrivais pas. Je refaisais le monde, réfléchissais à pleins de questions importantes, mais je ne m’occupais pas vraiment de mon cas. Je me rassurais sur mon intelligence, mais je n’utilisais pas celle-ci pour régler mon problème. Comment pouvait-on être aussi con, tout en réalisant parfaitement qu’on l’était?

C’est vrai tout de même que la manière que s’exerce la démocratie de nos jours m’inquiète. On critique nos politiciens de parler avec la langue de bois. Mais quand ils parlent crûment, la moitié de la population s’insurge aussitôt. On ne leur laisse plus le bénéfice du doute une fois au pouvoir. On ne leur laisse pas remplir leur mandat à leur façon, en sachant que l’on va évaluer leur bilan dans quelques années. La population désire s’impliquer dans tous les dossiers, au rythme des sondages. Pour les dossiers les plus complexes, on se fie aux groupes de pression. Pour les dossiers plus banals, on se sent capable d’exercer notre pouvoir de citoyen, on s’y oppose directement. Un changement de nom de rue à St-Alphonse-de-meuh-meuh : aux armes citoyens! C’est facile de trouver des moyens de s’opposer à une initiative. C’est tellement grisant pour un quidam de montrer qu’il est capable de faire dérailler les idées des élus; même s’il a voté pour cet élu… la question n’est pas là, la question est de vivre son trippe de pouvoir! Évidemment, ces power trips viennent en partie de la crise de confiance envers les élus. On ne pourrait être fier de faire dérailler une initiative d’un gourou charismatique. Donc, la seule façon de faire avancer la société de la manière dont on utilise notre système politique est soit :
a) que les politiciens utilisent la ruse (langue de bois ou autres),
b) demander de donner la chance au coureur (ce que personne ne semble plus prêt à faire),
c) d’élire des leaders charismatiques.
La dernière option semble la meilleure, mais la plus dangereuse. Le leader étant charismatique, on se retrouve avec l’autre côté de la médaille. Il peut tout faire, sans se faire réellement questionner. Des fois, on refuse même d’élire le politicien charismatique; car il nous fait peur. L’idéal est donc un leader charismatique qui est sous-estimé par la population; on approche du ridicule! Un leader charismatique, c’est un peu une petite dictature à court terme. Je m’inquiète de considérer parfois qu’une dictature pourrait être un meilleur système politique que la démocratie de l’immobilisme actuelle. Mais le pouvoir corrompt, la dictature est trop dangereuse! J’en reviens à la démocratie, mais sans l’immobilisme, qui la limite à la gestion du quotidien. Y a-t-il un moyen d’exercer notre démocratie sainement? Faut-il réviser ce système politique de fond en comble pour se faire; ou est-il possible de trouver les ajustements nécessaires pour nous sortir de cette espèce d’immobilisme qui pollue nos vies? Pourquoi n’a-t-on pas un préjugé favorable envers le changement? C’est ça la vie! Plus ça change, plus c’est pareil; c’est vrai! Mais il faut quand même que ça change, sinon la vie ne mérite pas d’être vécue. On sait très bien qu’on arrivera pas à faire de la société un paradis, mais il faut se tuer à essayer quand même, sinon c’est le suicide collectif. Il faut cesser d’être si fataliste, si défaitiste, si blasé, si cynique; il faut être volontaire. Il faut casser le syndrome « pas dans ma cour ». Il faut valoriser le cobaye qui va nous permettre de tester un concept porteur d’espoir. Il faut cesser de ne vouloir agir que si un dossier n’est associé à aucun risque, c’est impossible! Pourquoi le risque calculé ne reprend-il pas sa position de noblesse? Pourquoi ne pourrait-on pas aller de l’avant quand les bénéfices surpassent les inconvénients? Un dossier sans inconvénient, au moins potentiel, ça n’existe pas. Il faut que cette affirmation redevienne l’évidence qu’elle est, sans arrière-goût péjoratif. Il faut que ceux qui prêchent le non-compromis recommencent à être vus comme des empêcheurs de tourner en rond, plutôt que comme des héros. S’il y a des risques, gérons-les. N’essayons pas des les éviter à tout prix. Quand j’entends une quantité de gens intelligents dirent qu’il ne faut pas ouvrir la question du suicide assisté car il y a des risques de dérapage, j’ai envie de vomir. Ces mêmes personnes admettent souvent aussi que dans la majorité des cas, ce serait une bonne façon d’assurer la dignité de l’Homme; alors pourquoi l’immobilisme? On est paresseux? On a peur de se tromper? On a peur de ne pas être à la hauteur? Cette attitude de loosers venant des supposés leaders de notre société est assez décourageante. Ces leaders devraient être stimulés par le défi, vouloir laisser une solution en héritage de leur passage au pouvoir. La responsabilisation que je prêche, c’est ça aussi! Il faut recréer l’optimisme dans la société. Il ne faut pas attendre les politiciens pour créer l’engouement. Si on est dans une vraie démocratie, ce sentiment doit être généralisé, venir de la base et s’élargir à tous et toutes.

Les groupes de pression ont leur place, il faut décider en connaissance de cause. Par contre, s’opposer pour s’opposer est trop facile. Il faut dévaloriser l’opposition non-constructive. Il faut valoriser l’action, la volonté de faire mieux. Pour se faire, je suggère d’abolir l’opposition oppositionniste de la Chambre des communes et de l’Assemblée nationale. Quel message on envoie à la société en créant des entités politiques dont le rôle est de s’opposer pour s’opposer? Il faut envoyer le message contraire. De plus, ce ne sont pas les députés d’opposition qui déterrent les scandales et découvrent les erreurs de gouvernance; ce sont les journalistes ou les vérificateurs. Plusieurs personnes prêchent l’abolition du sénat, qui pourtant a le rôle d’améliorer les projets de loi. Moi, je vais être à contre-courant, je prêche de donner plus de pouvoir au sénat, même de recréer le sénat québécois. Je prêche l’abolition des confrontations inutiles entre le parti au pouvoir et les partis d’opposition dont le seul but est de planter l’adversaire dans un débat oral afin d’avoir un clip marquant aux bulletins de nouvelles du soir.

J’en étais à peu près là dans mes élucubrations inutiles, dans mon pelletage de nuages, quand Catherine m’a appelé à l’heure convenue. Je n’avais malheureusement pas grand-chose à lui offrir en ce qui concerne mes réflexions. J’étais quand même très heureux d’entendre sa voix.

-J’ai eu un bon succès avec mon poster. Je ne savais plus où donner de la tête pendant toute la période de 2 heures où j’ai reçu les visiteurs. J’ai eu plusieurs bonnes questions. J’ai ramené une cinquantaine de cartes d’affaires avec des demandes de suivi. Des grosses entreprises américaines se sont même intéressées à mes travaux. Ma référence scientifique, Dr Bosworth de Grande-Bretagne, je ne sais pas si je t’en ai déjà parlé, elle est même venue me voir pour me dire qu’il s’agissait d’un excellent travail. J’étais vraiment émue. J’ai bégayé une réponse absolument incompréhensible. Elle m’a dit qu’elle serait intéressée à collaborer avec notre groupe. Tu imagines!

-Je suis super content de voir que ça a bien été. Étais-tu seule pour présenter ton poster?

-Non, j’étais avec mon superviseur. Mais, il a rencontré un ami américain au tout début de la présentation et je ne l’ai plus revu par la suite. Il a beaucoup regretté de ne pas être là quand Dr Bosworth est venue voir le poster.

-Tant pis pour lui. Est-ce que la conférence est un gros succès?

-C’est énorme cette conférence. Je crois qu’il y a environ 10 000 participants. Je capote. Ça n’a rien à voir avec les petites conférences québécoises et canadiennes auxquelles j’ai déjà participées.

-As-tu eu le temps de visiter un peu la ville?

-Oui, pas mal à part de ça, on est un petit groupe d’étudiants de l’université Laval et on sort ensemble tout le temps. C’est complètement révoltant cette ville. Ailleurs dans le monde, on se préoccupe d’économiser l’énergie, ici on gaspille dans l’allégresse et personne n’a rien à redire. Pour moi, c’est le meilleur symbole de la déchéance américaine. On montre notre opulence à la face du monde, tant pis si vous crevez de faim ou si on gaspille des ressources non-renouvelables qui mettront tout le monde dans le pétrin.

-J’imagine qu’il y a quand même moyen d’avoir un peu de fun malgré tout.

-C’est sûr que c’est un trip de gang et qu’on a quand même du fun ensemble. Reste que ce mauvais feeling teinte toutes mes impressions de cette ville absolument artificielle. Mes amis, qui sont capable de se laisser aller et de profiter de ce gros parc d’amusement, me reprochent mon attitude de militante enragée. Moi, je leur reproche leur insensibilité. Combien de familles se retrouvent dans la merde à chaque jour parce qu’un des parents a tout perdu à Las Vegas? En tout cas, j’aime autant limiter les conversations à la conférence, sinon on a beaucoup moins de fun ensemble.

-Qu’est-ce que tu as vu?

-Je visite avec les autres, le Strip, les grands hôtels, mais pour moi c’est comme si je prenais des notes en vu d’accumuler les évidences contre le coupable. Ça n’a rien d’un émerveillement, comme c’est le cas pour les autres.

-Et qu’est-ce que tu vas faire d’ici ton retour?

-Je reviens dimanche soir comme tu le sais. La conférence vient tout juste de se terminer. Je crois qu’on va louer une auto et aller dans le coin de Death Valley demain. Je suis très curieuse de voir ça.

-Est-ce que tu veux que j’aille te chercher dimanche?

-Non, mon boss va me donner un lift jusque chez moi, c’est déjà organisé.

-OK, et tu n’as pas peur d’attraper un coup de chaleur à Death Valley?

-C’est certain qu’il fait vraiment extrêmement chaud ici. Je veux dire à l’extérieur. À l’intérieur, on gèle. Ils mettent l’air climatisé à bien trop basse température, encore du gaspillage!

-Bon, ne recommence pas, parle moi plutôt de Death Valley.

-On sait qu’il va faire encore plus chaud là-bas. On s’est bien renseigné et on va se préparer en conséquence. On fait un aller-retour dans la même journée, on ne va pas coucher là-bas. Nos chambres d’hôtel sont payées par l’université Laval jusqu’à dimanche, alors on va en profiter au max.

-Ça fait combien d’heures de route cet aller-retour? C’est pas banal, me semble.

-Ça fait environ 3 heures de route, deux fois 1.5 heures environ, y’a rien là. En plus, on sera 4 pour se relayer au volant. Si l’air climatisé tient le coup, on n’aura pas de problème. On va quand même avoir plusieurs heures pour profiter du paysage sur place.

J’osais pas parler de nous et de notre situation. Je voulais pas avoir l’air du casseux de party, mais je commençais à en avoir un peu assez du small talk. Je m’inquiétais aussi un peu de constater qu’elle ne semblait pas vouloir en parler non plus. Avait-elle peur de m’annoncer une conclusion trop brutale, avait-elle déjà décidé de passer à autre chose? Elle m’a vite rassuré cependant, comme si elle sentait que je commençais à me poser de sérieuses questions à l’autre bout de la ligne. Après une petite pause dans la conversation, et un petit malaise qui flottait dans l’air, elle m’a dit :

-Je crois que le temps de voyage dans le désert sera parfait pour un peu de méditation sur notre couple. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour y penser depuis que je suis ici, mais ça reste ma priorité, j’espère que tu en es conscient.

-Donc, de ton côté, rien de nouveau par rapport au break.

-Pas vraiment non, j’espère que tu comprends.

-Oui, d’une certaine façon, je suis content que tu aies pu profiter de ta conférence comme il se doit, sans arrière-pensée.

C’est vrai que j’étais content pour elle. J’étais aussi soulagé de constater que nous en étions au même point. Par contre, je trouvais que la priorité de notre cas prenait le bord facilement pour Catherine. De mon côté, je n’étais pas capable de faire abstraction de notre situation aussi facilement. Je n’avançais pas, mais j’essayais au moins. Notre niveau d’engagement l’un envers l’autre n’était peut-être pas de même niveau. Par contre, le texte qu’elle m’avait écrit semblait prouver le contraire.

-Jeff, tu sais très bien que c’est toujours en arrière-pensée, et très présent. Par contre, c’est un sujet qui mérite toute mon attention. Je ne vais pas y réfléchir à la sauvette, alors que je dois quand même m’assurer de montrer à mon prof qu’il n’a pas perdu son argent en m’envoyant ici. J’ai dû faire mon travail d’étudiante, voir les présentations pertinentes (et il y en a un méchant tas) et rencontrer du monde.

-Je comprends je te dis!

-Mais toi, j’imagine que tu as pas mal de chose à me raconter.

Pas tant que ça, en fait, mais j’étais content qu’elle aborde le sujet!

-J’ai beaucoup pensé! J’essaie de trouver un moyen de me sortir élégamment de la situation actuelle. Je n’ai pas encore trouvé, mais je vais y arriver!

-Tu sais, si ton objectif est de t’en sortir, l’élégance de la sortie n’est peut-être pas une nécessité!

-Il faut quand même ne pas blesser des personnes qui ne méritent pas de l’être. C’est important pour moi de ne pas tout casser en sortant. Si j’agis trop brusquement, je ne serai plus capable de me regarder dans le miroir après. Ce ne serait pas nécessairement bon pour notre relation que je me sente coupable et que tu partages avec moi la persécution que l’on réserve aux gros méchants.

-Jeff, tu fais peut-être une montagne avec pas grand-chose. C’est quand même pas si difficile de dire non merci à Sean!

-Pour l’instant, je trouve pas ça si simple en tout cas, mais je vais continuer d’y réfléchir.

Je pouvais quand même pas lui dire que je voulais m’assurer de ne pas manquer le bateau par rapport à une opportunité potentiellement unique.

-OK, je fais la même chose de mon bord comme tu le sais!

-Est-ce que je t’ai parlé de l’article du Fil des événements auquel j’ai participé en ce qui concerne le rassemblement?

Il fallait bien que je lui en parle. Elle allait finir par le savoir. Par contre, pour un gars qui disait chercher une porte de sortie, j’avais l’air plutôt hypocrite en parlant de cet article.

-Pardon! Tu participes directement à l’organisation du rassemblement maintenant?

-Ça n’a rien à voir avec l’organisation. Sean a insisté pour que je participe à l’article en tant qu’instigateur du concept. Même que j’ai participé à l’entrevue à condition que je puisse transmettre mes inquiétudes au sujet du rassemblement.

-Je sais pas Jeff, ça ne me dit rien de bon cette affaire-là!

-C’est quoi ce bruit que j’entends derrière toi?

-C’est la gang qui s’impatiente. On a prévu aller faire un tour en ville, entre autres pour magasiner les autos à louer. On est en plein milieu de l’après-midi ici tu sais.

Autant je voulais la rassurer sur mon détachement concernant le rassemblement, autant je n’aimais pas régler cette question devant témoins. De toute façon, je voyais bien que Catherine n’était plus toute avec moi. Il n’était plus possible de vider la question. J’avais trop attendu pour amener le sujet et j’en payais le prix.

-Je sais. Quand est-ce qu’on se revoit à ton retour?

-Donne-moi un peu de temps pour récupérer du voyage. Je pourrais t’appeler mardi… mais j’y pense, selon l’entente de la pause, je devrais t’appeler vendredi prochain seulement… Je dois te laisser, ils s’impatientent de plus en plus ici.

-Tu me manques tu sais!

-Tu me manques aussi Jeff! OK, bye, à vendredi prochain!

-Bye, à vendredi!

On venait de se laisser sur une note d’inquiétude. Je n’aimais pas ça du tout. Surtout que je n’avais pas la possibilité de corriger le tir avant une semaine complète. Rien pour m’aider à gérer mon stress!

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