Chapitre 6. Le rassemblement

La salle semblait assez pleine. Je ne sais pas s’il y avait 2000 personnes, comme Sean l’espérait, mais il y en avait certainement plus de 1000. Pour l’achalandage, le rassemblement était définitivement un succès. La foule s’entassait calmement, tout était sous contrôle. C’était une foule bigarrée. Il y avait des jeunes, des moins jeunes, des plus vieux, autant d’hommes que de femmes. J’ai reconnu certains amis qui m’ont salué. Ils devaient se demander un peu pourquoi je n’allais pas les voir, pourquoi je restais fixé au même point, mais personne n’est venu me suggérer de bouger.

À 16 heures précises, le spectacle s’est mis en branle. Il y avait un peu de la ponctualité proverbiale de Sean là-dedans. Les spectateurs n’avaient pas fini d’entrer; je crois que des gens se sont rajoutés jusqu’à près de 16h30. Les lumières se sont éteintes progressivement et un enregistrement s’est mis en marche. Ça faisait très professionnel, la voix souhaitait la bienvenue à tous et à toutes. On soulignait l’apport des organisateurs et des commanditaires. On a mentionné le nom de M. Hastings. Il a sûrement compris son nom, sans rien comprendre du reste, mais je ne crois pas que ça l’intéressait beaucoup de toute façon. Il était très concentré et balayait la salle régulièrement, principalement la scène, à la recherche de son fils. Je croyais le deviner, parmi tant d’autres, dans un groupe qui observait le déroulement des choses en coulisse. De l’angle qu’il avait, le père de Sean ne pouvait pas voir celui que je croyais être Sean. C’était peut-être mieux comme ça, Sean aurait pu sentir un regard aussi intense. De toute façon, je n’étais pas du tout certain que c’était lui. Je ne perdais pas cette tête de vue plus de quelques secondes cependant. Moi aussi, je faisais quelques balayages. Je n’ai pas vu Catherine. J’imaginais qu’elle s’était assise un peu plus haut dans les estrades. La bande vidéo a démarré. La coordination avec la bande son était excellente. C’était évident que ce n’était pas une qualité cinéma, mais ce n’était pas une banale présentation PowerPoint non plus. Il y avait beaucoup d’animation, c’était beau, c’était clair, ça captait l’attention. On avait ramassé beaucoup d’images d’archives (avec ou sans permission, je ne sais pas) pour bien faire comprendre les propos en cours. C’était un peu un résumé des conflits internationaux des 100 dernières années; à partir de la première guerre mondiale en fait. Je ne reconnaissais pas la voix de la bande son, on devait avoir engagé un professionnel. La foule était silencieuse, avec quelques ooooohhh! bien synchronisés quand certaines images, plus choquantes ou plus touchantes, ont été présentées. C’était un excellent départ!

Il y a eu ensuite une courte transition, une introduction du concept suggéré, qui deviendrait l’outil menant à l’objectif visé par ce rassemblement. C’était un peu en anti-climax par rapport à la séquence initiale. C’est là que j’ai pu confirmer que c’était bel et bien Sean que j’avais su identifier parmi le groupe des surveillants d’arrière-scène. On lui a laissé se mettre devant tout le monde. Son entrée en scène était imminente. Il avait des papiers à la main. Il semblait un peu nerveux, mais quand même en contrôle de la situation. J’ai fait signe à M. Hastings que j’avais la cible dans ma mire. Après quelques paroles de présentation, on a annoncé Sean Hastings, le principal organisateur de ce rassemblement. La foule a applaudi poliment. Le follow-spot est allé le chercher, et il s’est avancé au micro, avec ses feuilles. Il n’y avait pas de lutrin, ses feuilles ne devaient être là que pour le rassurer, en cas de bafouillage. Le follow-spot toujours sur lui, Sean s’est installé au micro et a pris un grand respire. Son image était reproduite à l’arrière sur écran géant. Il a fait un petit sourire, et il s’est lancé. Comme prévu, il a fait sa présentation en français. C’était un peu didactique, mais c’était clair et bien fait. Je n’avais pas trop l’impression que les gens dans la salle l’écoutaient beaucoup. Un bruit de fond nous indiquait que plusieurs personnes profitaient de l’occasion pour jaser entre elles. Pas autour de moi cependant, où l’on écoutait religieusement les paroles de Sean. Sean était loin d’avoir le style preacher américain. Il avait plutôt un style scientifique de qualité; j’avais tellement vu de présentations scientifiques médiocres que j’appréciais la sienne. Son français était très correct, mieux que ce que j’anticipais. Par contre, la foule, elle, ne pouvait pas apprécier cet effort, ne connaissant pas Sean. Il n’a certainement pas réussi à soulever cette foule, mais je ne crois pas que c’était le but qu’il visait. Il a gardé sa contenance, et me semblait assez content de lui. À la fin de son texte, la foule a ré-applaudi poliment, exactement comme à son arrivée. Je crois que le metteur en scène a senti la baisse d’énergie de la foule, car il a monté le son d’un cran pour la transition vers les témoignages. On a tous sauté un peu. Sean est retourné s’installer à l’endroit où je l’avais vu au début du spectacle, en coulisse. La masse de gens qui étaient là l’ont reçu avec chaleur et l’ont félicité. Aucun signe de craquement ne pouvait être observé. J’ai fait signe à M. Hastings que j’avais toujours Sean dans ma mire et je lui ai fait le signe du OK, afin de le rassurer un peu. Je lui ai ensuite suggéré de venir me rejoindre, je ne croyais pas que Sean allait bouger de là de tout le spectacle de toute façon. Il a refusé. Il ne voulait pas prendre de chance j’imagine. En tout cas, c’était pas le temps pour moi d’avoir une envie de pipi, papa Hastings comptait sur moi. Je renouvelais le signe du OK à environ toutes les 15 minutes pour que M. Hastings continue de garder son calme. Il ne semblait pas plus ou moins inquiet qu’avant la prestation de Sean.

En me relisant, je me rends compte que le récit de mon ‘espionnage’ de Sean peut sembler banal et ennuyant. Par contre, je vivais vraiment ces moments d’agent secret de manière très intense. J’aurais aimé transmettre cette intensité dans mon texte, mais je n’ai pas le talent nécessaire. J’étais vraiment pris au jeu. J’étais comme dans un film de James Bond, je trippais. Malgré le sérieux de la situation, je m’amusais dans un jeu de rôle. Je crois que ça prouve que même quand on devient adulte, on reste toujours de grands enfants. À moins que ça ne prouve l’absurdité de nos vies… En tout cas, je faisais mon job, alors aussi bien avoir un peu de fun, non?

On a enchaîné avec les multiples témoignages de personnes de confessions différentes. Il y avait beaucoup de visages connus dans cette suite de témoignages, une dizaine en tout. Stéphanie représentait l’athéisme, une présentation filmée en direct de l’Australie amenait le point de vue des anglicans de la congrégation de Sean.

Ça a eu un certain succès, étant donné le côté mystique qu’a l’Australie pour le québécois moyen.

Techniquement, c’était transmis par Internet, alors la qualité n’était pas parfaite, c’était un peu saccadé, et des fois on perdait complètement le son. Heureusement, les sous-titres en français permettaient à tout le monde de suivre. C’était également un peu pixélisé sur écran géant, mais c’était acceptable. La magie du vidéophone opérait. J’imagine que M. Hastings reconnaissait des gens parmi le petit groupe de présentateurs, mais en le regardant je n’ai senti aucune émotion particulière. C’était un homme en mission, rien ne pouvait le distraire. Les témoignages étaient intéressants, mais assez inégaux entre eux. Ça dépendait beaucoup de la personnalité du présentateur lui-même. L’effet boule-de-neige du mouvement ressortait quand même assez bien de cette suite de discours de gens convaincus, et relativement convaincants. La mise en scène restait simple, pas d’artifice, à l’image de la présentation de Sean précédemment. Je réussissais sans trop de problème à suivre le déroulement de l’événement, à surveiller Sean du coin de l’œil, et à tenir M. Hastings informé, à notre façon. Si des personnes de la salle me regardaient et ne savaient pas que je communiquais par signes à mon acolyte, ils devaient vraiment me prendre pour un fou fini.

Pour le dernier témoignage, Hamid est entré en scène, il représentait la communauté arabe et la religion musulmane. On a tout de suite vu ce que c’était qu’un vrai show-man. Ce n’était pas comparable au reste des présentations. Dès qu’il a pris la parole, il a littéralement volé le show. Il parlait énergiquement, de manière convaincue, mais ne dégageait pas d’impression d’agressivité. Au contraire, il était charmeur avec ses petits sourires en coin. Il utilisait régulièrement des québécismes, ce qui ravissait ses auditeurs; des expressions québécoises dans la bouche d’immigrants (bien qu’Hamid soit né au Québec) ça ne ratait jamais. Hamid était le seul qui s’était fait accompagner d’une petite musique de fond. C’était la chanson Russians, de Sting. Une vieille chanson qui date de notre prime jeunesse, avant que l’on écoute nous–mêmes de la musique dite populaire. Je trouvais ce choix un peu curieux, très peu de monde dans la salle devaient connaître cette chanson, à part quelques adultes accomplis, mais j’ai vite compris la pertinence de ce choix quand Hamid a intégré cette chanson à son discours. Après une petite introduction sur la tristesse des préjugés occidentaux envers les membres de la nation arabe, comme lui, il a dit : « Écoutez bien ça! » Sur quoi, le son de la musique s’est accentué et l’on a entendu :

« We share the same biology, regardless of ideology, believe me when I say to you, I hope the Russians love their children too ».

On a diminué l’intensité de la musique pour qu’elle reprenne sa place en fond de trame, et tout de suite Hamid a repris la parole, sans traduire ce couplet. « Les russes d’aujourd’hui, ce sont les arabes. Il faut combattre cette situation, sinon on n’y arrivera pas. Les conflits vont continuer. Il faut remplacer la méfiance par le respect mutuel. » Hamid était le seul qui ne faisait pas référence au concept d’individualisme conscient. Pour lui, c’était une question de tolérance et de communion. Le concept n’avait pas d’importance dans tout ça. Il traçait un portrait de la situation et présentait les conclusions qu’il fallait en tirer. Il indiquait la cible à atteindre sans vraiment indiquer la route à suivre pour s’y rendre. Ça me semblait un peu faible comme argumentation, mais il semble que c’était ce que la foule voulait entendre. C’était un vrai discours de politicien, avec plein de phrases punchs pour les nouvelles du soir. Hamid réussissait même à agrémenter son discours de jokes bien placées et pertinentes à son propos. On buvait ses paroles :

«La très grande majorité des musulmans et des arabes sont des gens pacifistes. On peut se demander alors pourquoi cette majorité laisse une minorité d’entre eux dicter leur agenda politique. Seuls les arabes entre eux peuvent contrôler leurs éléments les plus subversifs. Tant et aussi longtemps que les occidentaux ne respecteront et n’appuieront pas inconditionnellement cette majorité pacifiste, celle-ci demeurera en plan. Tant et aussi longtemps que les occidentaux voudront faire le ménage eux-mêmes dans la communauté arabe, les conflits perdureront. Les éléments pacifistes sont tellement choqués par l’arrogance des occidentaux qu’ils ne s’offusquent que très peu des gestes de violence perpétrés par sa communauté contre ceux-ci ; des gens comme vous, comme moi. Comment peut-on s’offusquer quand une face à claques reçoit une bonne baffe sur la gueule ? La communauté arabe est une grande nation, La communauté musulmane est une grande religion, aussi grande que les communautés et les religions occidentales, pas meilleure, pas pire non plus. Si on lui donne l’appui nécessaire; je parle ici d’appui moral, pas d’appui militaire, ni de dicter les actions en coulisse; de grandes choses pourront être accomplies par cette communauté, pour le bénéfice de l’ensemble des peuples du monde. »

Un peu plus tard, j’ai retenu aussi ce passage :

«On peut se demander, à distance, en voyant les attentats-suicides aux nouvelles du soir, si les arabes aiment vraiment leurs enfants. Est-ce que les arabes préfèrent détruire une vie occidentale, au détriment de leur propre vie ? Ça témoigne évidemment d’un sentiment d’impuissance, d’un grand désespoir. Mais il s’agit d’extrémisme, de fanatisme, poussés à outrance. Le fanatisme et l’extrémisme n’est pas l’apanage des arabes. Il n’y a qu’à penser à l’Inquisition chez les chrétiens. Par contre, en donnant à une société des valeurs de raison, en lui offrant de vastes possibilités, celle-ci en arrive à s’auto-réglementer contre ce genre de dérapage. Il n’y a pas à en douter, les arabes aiment leurs enfants. Mais un humain doit se sentir respecté avant de viser le bonheur, c’est la base du succès. »

Au bénéfice d’Hamid, il aurait pu utiliser quelques phrases anti-Bush faciles, mais il a su éviter ce genre de vulgarité à succès ; bien qu’il était évident qu’il visait en grande partie la politique interventionniste de Bush dans le monde arabe. Il n’a pas mentionné Israël non plus dans son discours, pas une seule fois, mais il était évident qu’il classait ce pays parmi les « communautés occidentales » arrogantes.

Pas mal tout le monde trippait. Hamid disait souvent à la fin de ses tirades : « Êtes-vous d’accord ? », et tout le monde répondait « Oui » d’une seule voix. C’était très impressionnant, j’en avais la chair de poule.

Suite à cette présentation très intense, Hamid a tout de suite enchaîné avec la mise en contexte finale. Je croyais que Sean allait faire ça, comme il me l’avait laissé entendre, mais il semblait naturel qu’Hamid poursuive sur cette lancée si bien amorcée. Est-ce que l’on avait adapté le programme sur le fly en considérant l’optimisation de la qualité du spectacle ? C’était fort possible, car j’avais vu Sean s’avancer un peu à la fin du discours d’Hamid et ensuite être abordé par d’autres, pour ensuite retourner un peu plus en arrière sans rouspéter. Si c’était le cas, rien n’y avait paru, Hamid avait enchaîné comme un pro.

Hamid a mentionné qu’il ne s’agissait ici que d’un début. Si on obtenait l’appui nécessaire, ce genre de rassemblement pacifiste allait être organisé dans d’autres villes. Qui sait où ça allait s’arrêter? Qui sait quel impact ça pouvait avoir sur nos décideurs? Il a aussi bien sûr répété qu’il ne s’agissait pas d’un mouvement de pensée dogmatique, il ne s’agissait pas d’une nouvelle religion ou d’une nouvelle secte, mais qu’il s’agissait de faire savoir au monde entier que les conflits interreligieux et interraciaux pouvaient être évités avec un peu de bonne volonté et que l’on avait pas a accepté ces tristes événements comme étant inévitables. On pouvait y faire quelque chose, il fallait y faire quelque chose. C’était super beau, mais en même temps un peu vide tout ça. En tout cas, mon concept ne faisait plus partie des conclusions du rassemblement. Je n’aurais eu qu’à m’impliquer davantage dans l’organisation du spectacle si j’avais voulu qu’il en soit autrement. Je n’étais pas tellement frustré de ce changement de cap. J’étais par contre un peu surpris que Sean l’accepte. Mais je n’avais pas le temps de penser à tout ça pour le moment. Déjà, Hamid invitait tout le monde à signer une pétition et à se diriger vers l’avant où une vingtaine de personnes attendaient les spectateurs pour leur faire signer ce document. Comme il n’y avait que des places debout devant la scène, on a pu facilement constituer environ 20 lignes d’attente devant chaque responsable des feuilles de pétition. Je n’en revenais pas de la discipline de la foule. À Québec, contrairement à Montréal, les gens ne se mettent jamais en ligne aux arrêts d’autobus par exemple. Mais là, ça s’était fait spontanément, sans conflit.

C’était un peu différent à l’arrière, dans les estrades, là où l’on se trouvait, M. Hastings et moi. J’ai fait signe à M. Hastings que je me dirigeais vers Sean. Heureusement, c’était un des responsables de feuilles de pétition, alors on ne pouvait pas le perdre de vue. Ça bousculait pas mal fort pour se rendre à l’escalier menant au plancher. Rien de violent, mais il fallait jouer du coude si on ne voulait pas y rester pour la soirée. Je plaignais les jeunes filles (et les gars aussi, ne soyons pas sexiste) de moins de 5’5’’, pris dans cette cohue. Comment faisaient-elles pour respirer? Comment faisaient-elles pour ne pas recevoir de coups de coude dans la face? J’étais pas loin du corridor de sortie, je me suis donc bien débrouillé et je me suis rapidement retrouvé en bas. Comme M. Hastings était plus loin d’une sortie et que je l’imaginais mal jouer du coude, je m’attendais à avoir une bonne longueur d’avance sur lui. Je fus donc surpris de le voir m’attendre au pied des escaliers qui me menaient au plancher, à l’avant de la scène. Je n’ai pas eu le temps de demander d’explication, il m’a pris par le bras et m’a demandé : est-ce qu’on passe devant tout ce monde-là pour se diriger vers Sean, on va créer une petite révolte?! J’avais ma petite idée.

J’ai dit à M. Hastings de me suivre de près et je me suis lancé. Quand on nous arrêtait, je disais que j’étais un des organisateurs du rassemblement. Il y avait toujours quelqu’un à proximité pour dire que c’était vrai, qu’on avait vu ma photo dans le Fil ou dans Le Soleil. Ça n’a pas été long que l’on s’est retrouvé à proximité de Sean. Il semblait heureux, aucun signe de craquement en vue. Quand Sean a vu son père, son visage s’est éclairé. Je lui ai dit que je prendrais le relais pour les signatures de pétition. À l’arrière, Hamid annonçait que des sandwichs étaient disponibles du côté gauche de la scène pour ceux qui avaient faim, et que du côté droit, on invitait les journalistes à rencontrer certains membres de l’organisation du rassemblement. Sur ce, il m’a salué brièvement, et il est venu taper sur l’épaule de Sean en lui demandant de se joindre à lui pour rencontrer les journalistes. M. Hastings n’a pas eu le choix de suivre. J’étais vraiment curieux et j’avais le goût de me joindre à eux. En plus, j’avais super faim et les signatures de cette pétition m’intéressaient plus ou moins. Encore une fois, ce document parlait de mettre fin aux conflits interreligieux et interraciaux, et pas du tout de mon concept. J’ai regardé dans ma ligne afin de trouver quelqu’un que je connaissais, pour prendre la relève, mais sans succès. À ce moment, un petit jeune, il ne devait pas avoir 20 ans, qui attendait patiemment son tour, en troisième position dans ma ligne, m’a demandé si je ne devais pas aller moi aussi rencontrer les journalistes étant donné que j’étais un des organisateurs du rassemblement. Je lui ai dit que oui, et je lui ai demandé s’il voulait bien me remplacer pour me permettre d’aller rejoindre les autres. J’ai vu que je venais de lui faire plaisir. Le temps de faire passer les deux personnes qui le précédaient et de signer moi-même la pétition, il était sur la scène et scandait « prochain » avec fierté.

J’ai retrouvé tout le monde sans trop de problème. Heureusement, il y avait aussi des sandwichs du côté des journalistes. Certains curieux ne s’étaient pas gênés pour s’ajouter aux organisateurs et aux journalistes. Ils espéraient sans doute que ces derniers allaient vouloir obtenir certains commentaires de la part des spectateurs présents. Je crois que leurs espoirs n’allaient sans doute pas être vains. Hamid était entouré de 4-5 journalistes, en plus d’être filmé par une caméra de télé. Sean avait une seule journaliste avec lui, c’était Mme Jolicoeur. J’ai pris quelques sandwichs et je suis allé les rejoindre. Elle m’a salué et a enchaîné avec une nouvelle question à Sean :

-Vous avez laissé beaucoup de place à Hamid Baggag, faisait-il partie des instigateurs du projet de rassemblement?

-Pas vraiment, mais il s’est rapidement joint au comité d’organisation et nous avons décidé de profiter de ses talents d’orateur. Même qu’il ne devait pas prendre autant de place, mais on a décidé qu’il ferait aussi la conclusion du rassemblement, tellement la foule semblait l’apprécier.

Ça confirmait ce que je pensais. Mme Jolicoeur ne semblait pas trop comprendre cependant.

-Que voulez-vous dire? Qui devait faire cette conclusion initialement?

-Initialement, c’est moi. Mais après la générale, le metteur en scène m’a suggéré que l’on se donne l’alternative que ce soit Hamid qui fasse la conclusion, si celui-ci réussissait à faire lever la foule. Il faut croire qu’il connait son métier, il avait anticipé que ce serait le cas.

-Et vous avez cédé votre place sans arrière-pensée?

-On se sacrifie pour le bien du rassemblement. La fin justifie les moyens. Ce n’est pas un spectacle de variété, où les présentateurs sont en vedette, c’est d’abord la suggestion du concept qu’il fallait véhiculer.

-En tout cas, M. Hastings, M. Baggag a quand même volé la vedette dans le cas de ce rassemblement. Je crois qu’il a éclipsé de beaucoup la suggestion du concept. Regardez par vous-mêmes!

Mme Jolicoeur lui a montré l’intérêt que les médias portaient à Hamid juste à côté de nous Je ne crois pas qu’elle voulait lancer une polémique par ses commentaires, elle disait ça naïvement, car c’était une évidence pour elle. Pas pour Sean cependant, qui semblait avoir tout juste réalisé quelque chose, il est devenu tout pâle, et son père lui a mis la main sur l’épaule, le sentant un peu chancelant. Sur ce, j’ai voulu prendre la relève de Sean pour la suite de l’entrevue, afin que son malaise passe inaperçu. Je ne savais pas trop quoi dire pour m’insérer dans la conversation.

-Vous savez, souvent le médium c’est le message. C’est une des raisons pour lesquelles je n’ai moi-même pas participé au spectacle du rassemblement. Il faut utiliser les personnes les plus aptes à bien faire passer le message.

-Vous auriez pu faire tout aussi bien que la grande majorité des présentateurs présents. Seul M. Baggag se démarquait vraiment du groupe. Ne serait-ce pas plutôt vos préoccupations par rapport au moyen de véhiculer votre message, qui vous ont retenu d’être un participant actif dans ce spectacle?

Sur quoi, Sean est devenu encore plus pâle. J’ai vu son père du coin de l’œil l’amener vers la sortie. J’irais les rejoindre aussitôt que possible. Mme Jolicoeur semblait avoir pris du coffre depuis qu’elle avait été publiée dans Le Soleil. On était loin des questions de complaisance pour mousser l’université Laval et ses étudiants.

-Aussi oui, en effet, mais je ne vois pas ce que ma présence aurait pu changer dans l’événement.

-Reste, M. Lahaie, que votre crainte s’est peut-être en partie matérialisée, on ne retiendra pas grand-chose de votre concept suite à ce rassemblement.

-C’est possible, mais ce rassemblement n’a tout de même pas été vain. Parler de mettre fin aux conflits religieux et raciaux, devant 2000 personnes, c’est toujours positif. De plus, regardez ces gens signer la pétition avec enthousiasme. On devrait recueillir plus de 1000 signatures de cette façon. C’est quand même pas rien.

-Mais pour la suite des choses, qu’allez-vous faire? Il est évident que le prochain rassemblement n’évoluera pas dans le sens que Sean et toi espériez. Allez-vous continuer d’y participer? Est-ce que le commanditaire, le père de Sean si je ne m’abuse, va continuer de s’associer à ces rassemblement?

Elle laissait tomber les MM. Lahaie et Hastings, elle devenait familière la journaliste! Elle commençait même à être un peu trop familière à mon goût!

-On verra tout ça madame Jolicoeur (en soulignant le madame)! Vous serez la première informée de nos plans d’avenir. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser…

Je suis allé rejoindre Sean et son père de ce pas. De toute façon, je ne crois pas que d’autres journalistes voulaient me parler. Ils n’en avaient que pour Hamid le magnifique. J’étais quand même fier de ma petite phrase de sortie : « maintenant, si vous voulez bien m’excuser ». C’était comme si j’étais le premier ministre en conférence de presse.

Sean était assis à l’extérieur du PEPS, à l’écart, et il semblait pleurer. Son père, agenouillé devant lui, semblait essayer de le consoler.

Quand je suis arrivé près d’eux, j’entendais Sean qui chialait doucement : « Ils ont travesti le rassemblement, ce n’est pas ce que je voulais, j’ai perdu mon temps, j’ai perdu mon temps, c’était une grosse coquille vide, je ne suis capable de ne rien faire de bon. » Et il se répétait sans arrêt. Il n’écoutait pas du tout ce que son père avait à lui dire. On peut dire qu’il venait de craquer, comme prévu. J’ai demandé si je pouvais aller chercher de l’eau ou des sandwichs, que peut être ça allait aider Sean à reprendre ses esprits, il devait avoir eu une faiblesse. Le père de Sean n’a même pas répondu à ça. Il m’a dit d’aller chercher notre véhicule et de venir les rejoindre pour les emmener à l’appartement de Sean.

On s’est rendu chez Sean. J’ai demandé à M. Hastings où il allait coucher puisque Sean n’a qu’un lit. Il a dit qu’il allait se débrouiller. Je crois qu’il était pressé de se retrouver seul avec Sean. Une nuit sur le divan ne semblait pas lui faire peur. Je lui ai dit de ne pas hésiter à venir me voir s’il avait besoin d’aide. Il m’a dit que ça devrait aller, mais il me demandait de rester disponible demain matin pour aller reconduire Sean aux urgences, si celui-ci n’allait pas mieux. Comment ça les urgences que je me suis dit! Y fallait pas capoter tout de même!

Si tous les gens tristes qui ont une petite crise de nerfs devaient se rendre aux urgences, notre système de santé serait encore plus mal en point qu’il ne l’est déjà. En plus, j’avais rendez-vous avec Catherine à 14h00, alors pas question d’être pris des heures aux urgences engorgées. Dans les circonstances, il s’agissait d’une pensée très égoïste, mais je n’y peux rien!

Sean était à la limite de ne plus être fonctionnel. Il interagissait minimalement avec nous et il faisait ce qu’il avait à faire pour se rendre d’un point à l’autre, mais c’était à peu près tout. Il nous a dit qu’il était très fatigué et qu’il allait se coucher.

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