Chapitre 5. 17 juin 2006

Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit-là. En tout cas, je savais que Sean n’avait pas dormi chez lui. J’ai entendu tous les sons provenant de sa chambre. Je n’ai rien entendu d’autre que les craquements habituels. Malgré l’insomnie, ma lucidité a repris le dessus et j’ai réalisé que Sean n’était probablement pas un danger, ni pour moi, ni pour la société. Peut-être allait-il craquer à un moment donné, mais je doutais fort que ça pouvait le mener vers la violence. Il a peut-être cassé certains bibelots, ce qu’il semble regretter, mais je ne le croyais pas capable de faire mal à quelqu’un d’autre.

C’est contraire à tout ce qu’il est. La psychose ne peut quand même pas te transformer complètement. Elle peut sûrement amplifier des traits de personnalité jusqu’à rendre ceux-ci dangereux. Les traits de personnalité qui pouvaient être amplifiés chez Sean ne me semblent pas pouvoir mettre personne en danger sauf lui-même. Il est très exigeant envers lui-même.

Je me suis dit aussi que si son père croyait vraiment que Sean était en danger, il serait intervenu avant, ou aurait sollicité de l’aide, mon aide, avant. Il était inquiet, mais il n’anticipait pas le pire. Sinon, il n’agirait pas comme il le faisait. De toute façon, on ne peut jamais être trop prudent. La bonne façon d’agir serait d’en parler directement à Sean. Mais je croyais aussi que ça pourrait attendre que le rassemblement soit terminé. J’espérais maintenant davantage que ce rassemblement soit un succès, au moins pour que Sean ne craque pas trop vite…devant tout le monde par exemple, ce qui serait bien triste. On annonçait la température idéale pour les organisateurs : une petite journée plate, de la bruine fine toute la journée, avec une épaisse couche de nuages et juste un peu de vent. Rien pour s’empêcher de sortir, tout pour s’ennuyer assez pour se laisser guider par sa curiosité et se rendre au PEPS.

Je me suis rendu à l’hôtel où logeait M. Hastings, comme prévu. Je commençais à apprécier la conduite de son mastodonte. Je me sentais puissant avec ce joujou entre les mains. J’en avais un peu honte, mais je ne pouvais nier cette réalité que je combattais. M. Hastings n’avait pas beaucoup dormi non plus. Il m’a dit que ce qu’il avait appris hier ne l’avait pas du tout rassuré. Il s’attendait à ce que son fils craque à tout moment; probablement après le rassemblement, dont l’adrénaline, liée à l’organisation, devait le tenir debout. Je lui ai demandé s’il croyait que Sean pouvait être dangereux pour son entourage. Il a été un peu surpris par la question; pas choqué, mais surpris. Il m’a dit que non, qu’il n’avait jamais songé à ça. Il ne songeait qu’à la santé de Sean lui-même. Il m’a dit par contre qu’il ne fallait certainement pas négliger cet aspect. Avais-je entendu Sean lancer des menaces à quelqu’un, qu’est-ce qui me faisait dire que Sean pouvait être dangereux pour autrui? Rien du tout, que je lui ai dit. C’était l’entière vérité, Sean n’avait jamais donné de signes d’agressivité, même dans les dernières semaines. J’avais juste pensé à ça en lisant l’inquiétude sur le visage de M. Hastings. Ça l’a rassuré un peu, disons qu’il est passé du code rouge au code orange. Je lui ai dit à quel point je me sentais coupable de ne rien avoir diagnostiqué chez Sean suite à la rupture de son couple. Je me sentais encore plus coupable de n’avoir rien fait, de ne pas avoir insisté pour creuser le sujet, quand Sean m’a annoncé cette rupture la semaine dernière. J’étais trop préoccupé par mes propres problèmes, je n’étais pas à l’écoute. M. Hastings ne m’en voulait pas du tout, lui. C’était normal, je n’étais pas responsable de Sean, c’était à lui d’aller chercher de l’aide. Selon lui, à mon âge, il était difficile de lire ce genre de signe de détresse chez l’autre. Sean et moi ne nous connaissions pas tant que ça, et il savait Sean capable de très bien camoufler ses émotions. Il appréciait mon aide et surtout mon intérêt (je crois qu’il faudrait inventer un mot dans la langue française pour mieux traduire care). C’était un homme très bien ce monsieur Hastings.

Il m’a dit qu’il se sentait lui-même coupable de ne pas avoir réagi avant. De ne pas avoir pris la situation suffisamment au sérieux sans doute. Il avait tellement confiance que Sean allait se remettre sur ses pattes et finir par parler calmement avec lui de tout ça qu’il a laissé le temps passer. L’organisation du rassemblement l’a autant rassuré qu’inquiété. Ça l’a rassuré sachant que ça allait le tenir jusque-là, lui donner le temps d’arriver à Québec avant qu’il ne craque. Par contre, ça l’a vraiment inquiété car ça confirmait que Sean n’était plus tout à fait lui-même, qu’il tentait de fuir son problème plutôt que d’y faire face. C’est à ce moment-là qu’il a compris que son fils ne se reprendrait pas en main par lui-même. Il allait craquer après le rassemblement, il en était maintenant certain. Je n’en étais pas si certain moi-même. Un rassemblement à succès pouvait le faire tenir jusqu’à une rencontre avec le paternel où ce dernier allait remettre les idées de son fils en place sans trop de conséquence. C’est ce que je souhaitais en tout cas.

M. Hastings m’a demandé de tout lui dire ce que je savais concernant le rassemblement. Autant pour lui faire passer le temps, que pour mieux comprendre ce que vivait son fils. Je ne savais pas tout, mais j’en savais assez pour que l’on ait beaucoup de choses à se dire. On a surtout planifié la sortie de Sean. M. Hastings voulait rencontrer Sean aussitôt que le spectacle se terminerait, plus tôt si ça se passait mal. Il voulait donc un plan complet de la salle afin de s’assurer de se positionner pour ne jamais perdre Sean de vue. J’avais déjà vu suffisamment de spectacles au PEPS pour savoir comment la salle allait être configurée. Je connaissais même le chemin, backstage, menant de la scène vers les « loges », probablement un abri tempo à l’extérieur dans ce cas. Selon notre plan, on couvrait chacun une partie du territoire de la salle, et on pouvait se voir l’un l’autre. On a même convenu d’un code de communication rudimentaire fait de signes de la main. Il fallait par contre se rendre sur les lieux assez tôt, afin d’ajuster le plan au besoin, et de s’assurer que les places nécessaires soient disponibles. Je me sentais un peu comme James Bond. J’étais quand même préoccupé par la situation, mais je pouvais me permettre de m’amuser un peu, en sourdine. On s’est donc arrangé pour être sur place à 15 heures. Tout s’est passé comme prévu. On n’a pas vu Sean. Les préparatifs du spectacle semblaient être à peu près terminés, seuls quelques techniciens s’affairaient calmement à faire leurs derniers ajustements.

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