Chapitre 5. L'appel hebdomadaire de Catherine

J’avais tellement de choses à dire à Catherine. Je ne voulais cependant pas l’étouffer avec mes histoires. Il fallait que je l’écoute d’abord et avant tout. J’étais vraiment nerveux en attendant son appel, j’avais le souffle court. Quand le téléphone a sonné, à 17 heures exactement, le cœur voulait me sortir de la poitrine. J’ai pris un grand respire, je me suis raclé la gorge pour être certain de ne pas perdre la voix, et j’ai répondu, d’un air le plus normal et le plus détaché possible. Il n’aurait pas fallu que ce soit quelqu’un d’autre que Catherine au bout de la ligne; il n’aurait pas été reçu avec chaleur. Mais c’était bien elle. Son ton était enjoué, dynamique.

Après les salutations d’usage, j’étais impatient de connaître la progression de sa réflexion.

-Et ton voyage dans le désert, ça s’est bien passé?

-C’était pas mal cool! Super écoeuramment chaud, mais très cool! Je serais pas restée là-bas une minute de plus, mais je suis contente d’y avoir été. La géologie est très extra-terrestre. La couleur du ciel est hallucinante. C’est quand même incroyable, mais il y a un peu de vie qui réussit à prendre sa place dans cet enfer. On a même organisé le voyage pour revenir au coucher du soleil. Les couleurs étaient géniales. Je vais t’envoyer des photos par courriel, tu vas voir.

-Et ta réflexion dans tout ça?

-Ouais, ma réflexion, en fait je n’ai pas eu à réfléchir si longtemps. J’en suis arrivé à me dire que la façon dont tu vivras le rassemblement sera déterminante. De plus, je me dis que c’est une occasion pour toi de réfléchir à un engagement plus sérieux. Si l’idée de fonder une famille avec moi te fait peur, c’est le temps pour toi de te sauver. Après, il sera trop tard.

-Tu crois trop aux films de Ricardo Trogi, tu sais bien que l’engagement ne me fait pas peur!

-Penses-y bien quand même Jeff, c’est une méchante grosse décision!

Non, je n’ai pas à y penser. Je suis programmé depuis l’enfance pour fonder une famille avec une femme que j’aime. Je n’ai qu’à savoir si j’aime Catherine, et si elle m’aime tout autant, et le reste suivra. En ce qui concerne la question de savoir si Catherine est The One, ça aussi je ramène ça à l’idée de l’amour bilatéral. Il est évident que je pourrais très bien aimer d’autres femmes, mais j’en ai trouvé une, je n’en ai pas besoin d’autres. Est-il possible que je puisse aimer d’autres femmes plus ou mieux? C’est une question à laquelle on ne répond que si l’on veut être malheureux. Quand on aime, on a pas à mesurer le niveau de l’amour, on a juste à être content que ce soit le cas, et en profiter au maximum.

-Le rassemblement de Sean s’organise, mais moi, j’ai décidé de ne pas y participer. Je ne l’aide même pas pour l’organisation. Il fait très bien ça tout seul.

-Tu sais Jeff, j’ai lu l’article du Fil des événements. C’est pas tout à fait ce que ça laisse entendre!

-Fais-moi confiance! L’article est un coup de pub et les faits n’y sont pas très bien relatés. Je voulais profiter de l’article pour faire ma mise en garde contre la création d’un mouvement à tendance dogmatique et ce n’est pas du tout ressorti. Ne te fie pas à cet article, je te le répète, fies-toi sur moi.

-N’empêche que c’est sûrement un peu grisant d’être en vedette comme ça. Tu pourrais y prendre goût!

-C’est un peu grisant, mais une fois que l’on remet les choses en perspective, on prend les bonnes décisions en mettant de côté son orgueil. C’est ce que j’ai fait.

-As-tu remarqué que tu es très beau sur ta photo?

-Je suis assez d’accord avec toi. Tu sais, je suis encore plus beau en vrai!

-Mon mosus toi, tu réussis encore à me rendre toute molle. Tu changes le sujet et je ne me rappelle même plus où j’en étais!

-Tu te demandais comment j’allais vivre le rassemblement, tu te disais que ce serait déterminant pour notre avenir.

-Oui, c’est ça! Et ça va marcher cette affaire-là?

-Je crois bien que oui. Le père de Sean le soutient financièrement et il y met le paquet. C’est une grosse machine de marketing qui est derrière Sean.

-Et tu n’as pas de regret de ne pas participer à ça? C’est quand même ton idée. Si ça mène loin, tu vas te contenter de regarder passer le train sans frustration?

-C’est drôle que tu parles de regarder passer le train. Sean m’a fait la même remarque. J’ai bien pensé à tout ça. Je préfère mettre toutes les chances de mon bord pour te garder. Il y a d’autres façons de faire avancer mes idées que de faire des spectacles.

-Comme quoi par exemple, tu m’intrigues?

-Comme d’écrire un livre par exemple.

-Tu vas quand même pas oublier ta thèse pour écrire un livre!

-Non, non, j’ai tout le temps d’écrire un tel livre, je ne suis pas pressé. De toute façon, le texte que tu as déjà vu pourrait très bien en être l’introduction. Donc, je ne pars pas de zéro.

-Ouais, c’est pas fou. Mais ta thèse, est-ce que tu as recommencé à la rédiger?

-Pas plus tard qu’hier, j’ai travaillé dessus toute la journée.

-Et tu me dis que tu es maintenant parfaitement serein par rapport à ce qui se passe avec Sean! Y me semble que c’est trop beau pour être vrai, le changement s’est opéré trop vite. Avant mon départ, tu avais l’air de ne plus savoir où donner de la tête. La semaine dernière, tu ne me semblais pas si sûr de toi.

-J’ai eu le temps en masse pour réfléchir. Je l’ai vécue moi aussi, ma traversée du désert.

-J’ai hâte de constater ça de visu, Jeff. Tu m’excuseras, mais j’ai quand même un peu de misère à te croire.

-Je t’attends ma belle. Je suis disponible pour tes constatations.

-Wô, wô, pas trop vite! Est-ce que tu vas y aller au rassemblement?

-Oui, j’ai promis à Sean d’y être. De plus, je vais m’occuper de son père qui sera en ville pour l’occasion.

-Il descend d’Australie pour ça, méchante affaire!

-C’est vraiment une méchante affaire, Sean pense qu’il pourrait y avoir jusqu’à 2000 personnes. J’avoue que j’en doute. Et toi, Catherine, tu y seras au rassemblement?

-C’est possible. Je suis assez curieuse de voir ça. Comme tu le sais, j’ai quelques intérêts reliés à cette affaire-là et ça ne me ferait pas de tort de mieux comprendre l’ensemble du dossier.

-Bravo pour ton professionnalisme, est-ce que tu veux que l’on y aille ensemble?

-Essaies-tu de m’en passer une petite vite? Je te rappelle que nous sommes en pause. Selon les termes convenus, on ne se voit pas avant le dénouement de l’affaire et on ne devrait pas se rappeler avant vendredi prochain.

-Vendredi prochain je dois accueillir le père de Sean à l’aéroport et m’en occuper toute la journée. On peut pas oublier ça un peu les règles du break?

-Non, il faut être sérieux avec ça. Je veux pas faire les choses à moitié. Je crois que c’est une étape déterminante pour nous. On peut quand même avoir un peu de souplesse. Je vais t’appeler jeudi après-midi.

-Moi, je ne vois pas d’autres issues possibles que notre retour ensemble, peut-être que le break a assez duré, non?

-Non, je ne crois pas. J’avoue que je ne vois pas d’autres issues possibles moi non plus, mais je n’en suis pas à l’étape de la conclusion malgré tout. Il y a encore trop d’incertitude, je suis encore mal à l’aise avec « la situation » et ta gestion de tout ça. La conclusion viendra pour moi quand tout sera parfaitement clair et évident. Ce n’est pas encore le cas.

-Ça pourrait sans doute être plus clair si tu pouvais m’accompagner dans mon cheminement.

-Je ne sais pas, peut-être. Ce sera peut-être un peu plus long en restant chacun de notre bord, mais je crois qu’on pourra rester plus objectifs de cette façon. Je ne veux pas que mes poussées d’hormones viennent influencer une décision aussi importante.

-OK, y faut ce qu’il faut! Je vais jouer le jeu et je serai patient. Par contre, fies-toi sur moi pour stimuler le processus vers un résultat positif.

-OK, c’est honnête! Je t’appelle jeudi après-midi prochain comme convenu?

-J’y serai, ne t’en fais pas!

Elle a rapidement raccroché, comme si elle avait peur de changer d’idée.

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