Chapitre 7. 23...et 24 juin 2006

J’étais pas mal fripé quand la musique de mon réveil m’a réveillé. Mais mon devoir m’appelait.

J’avais hâte de parler à Sean de la nouvelle d’Hamid, je ne savais même pas s’il était au courant. Mais je ne voulais certainement pas en parler devant son père. Il aurait bien pu déchirer son billet d’avion s’il avait entendu parler de ça. De toute façon, je n’avais pas à attendre tellement longtemps, je suis arrivé presqu’à l’heure de l’embarquement, puisque je m’étais déplacé indépendamment des Hastings, dans ma voiture. M. Hastings a pris le temps de me demander de prendre bien soin de Sean. Je trouvais qu’il en mettait un peu trop, mais je m’attendais à ça. Il est parti, la larme à l’œil, presqu’à reculons ; mais il est parti. Ça a semblé soulager Sean qui s’est tourné vers moi avec un grand sourire.

-Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Je lui ai demandé s’il avait entendu parler de l’entrevue d’Hamid la veille. Il m’a dit que non. Il semblait être inquiet de ce que j’allais pouvoir lui dire.

-Hamid dit qu’on a émis une fatwa contre lui, qui demande de le torturer.

Ça l’a écœuré sur le champ. Il ne voulait vraiment plus entendre parler de tout ça. Je lui ai dit ce que Catherine me recommandait de faire à ce sujet. Il y a réfléchi 5 secondes et m’a dit que c’était effectivement ce qu’il y avait de mieux à faire. Qu’il ne fallait pas s’en faire avec ça. Je l’ai invité à se joindre à notre groupe, un groupe de notre lab, pour fêter la St-Jean sur les plaines d’Abraham le soir même. Il m’a dit qu’il préférait rester calme. Que c’était ce que le médecin lui avait recommandé et que ce serait plus sage ainsi. Il m’a ensuite invité à déjeuner, ailleurs qu’à l’aéroport, avant que l’on ne se rende chez nous. J’étais vraiment toujours rendu au restaurant.

*****La soirée de la St-Jean*****

La gang s’est rencontrée devant le parlement. Il y avait une dizaine de personnes, dont Alain, le seul prof, Paul, André et Stéphanie. Hamid n’y était pas, il devait être occupé par l’organisation de son rassemblement montréalais. Il y avait quelques personnes que je ne connaissais pas, sûrement des amis des amis, mais on a même pas pris le temps de se présenter. On s’est dit salut et on y est allé. Le mouvement de foule s’ébranlait, et on ne voulait pas être trop loin de la scène. J’avais un peu peur qu’Alain me demande où j’en étais avec ma rédaction, mais il a été super cool et n’a pas du tout abordé la question. Il m’a parlé de musique québécoise et du programme du spectacle que je n’avais pas pris le temps de consulter. Le groupe Mes Aïeux me faisait tripper, alors j’étais content qu’ils soient là. Évidemment, André en a profité pour nous inonder d’informations inutiles sur la vie des membres du groupe et leur cheminement professionnel. C’était quand même impressionnant toute l’information qu’il réussissait à absorber ce gars-là. J’aurais cependant préféré qu’il la garde pour lui. Seul Paul s’était drapé du fleurdelisé, avec un peu de maquillage en prime ; une fleur de lys sur la joue droite. Les autres membres du groupe étaient habillés normalement, sauf peut-être Stéphanie…

Stéphanie était habillée de manière très sexy. C’était assez surprenant étant donné que l’on était habitué de la voir s’habiller de manière très loose et simple, du style linge de jogging. Ça mettait en évidence ses formes, qui étaient somme toute assez intéressantes, et dont les dimensions m’ont impressionné. Son petit short jean lui faisait un postérieur rebondi très attirant, sans parler de sa petite camisole qui laissait juste assez de place pour l’imagination, mais pas trop. J’avais un peu de difficulté à regarder ailleurs. Stéphanie s’en rendait sûrement compte, car elle en profitait pour être très chatte avec moi. On aurait dit que Catherine me l’avait envoyée pour me mettre au défi. Stéphanie n’a pas trop perdu de temps à me demander où était Catherine. Je lui ai dit que notre période de break n’était pas terminée. J’ai cru comprendre que ça lui avait fait plaisir.

On a passé le début du spectacle à faire des remarques sur les imperfections de la diction et la grammaire du présentateur. Sans aller chercher un expert en diction, on pourrait peut-être s’assurer d’aller chercher quelqu’un qui maîtrise bien la langue française, pour animer un spectacle qui souligne la fête d’une province (pour au moins un certain temps encore) où habite la seule nation francophone d’Amérique. Je sais que c’est facile de critiquer, je ne ferais certainement pas mieux moi-même. À moins de vraiment prendre du temps pour préparer un discours, mon français est truffé d’anglicismes et de mots anglais. Ça me fait mal quand j’y pense !

Cet animateur-là me faisait justement y penser. Alors, on ne se gênait pas pour rire de lui pour se venger. Paul avait le tour de recueillir nos critiques et d’en lancer une synthèse comique, pas trop blessante, tout haut, qui nous faisait rire, ainsi que d’autres spectateurs de notre entourage qui prêtaient attention à nous. Au début du spectacle, c’étaient des groupes moins connus, à tendance folklorique, alors on en a surtout profité pour jaser. Jaser en se criant par la tête bien sûr, puisque c’était la seule façon de se comprendre pendant que la musique jouait. Évidemment, André connaissait ces groupes et nous demandait de nous taire pour qu’il puisse écouter. Je crois qu’André devait passer au moins la moitié de sa vie à demander aux gens de son entourage de se taire. C’était pas comme ça qu’il allait se faire des amis, ni obtenir le résultat escompté d’ailleurs. À chacune de ses demandes, il en avait pour au moins dix minutes à subir nos railleries. Peut-être qu’il aimait ça !

Méchante arnaque commerciale, à ce genre de spectacle, on ne pouvait pas amener de boisson, à part peut-être une bouteille d’eau. La boisson était vendue sur place, à prix raisonnable, dans des verres de plastique, pour éviter les combats de bouteilles. Impossible de s’opposer à un argument si vertueux. Par contre, il devenait bien plus difficile de contrôler ses consommations. Je ne prévoyais pas boire énormément. J’étais venu en autobus, surtout pour éviter les bouchons et par conscience environnementale, pas parce que je voulais éviter de conduire avec les facultés affaiblies. Mais il faisait chaud, et la bière était bonne, alors on buvait sans compter. Les copains se relayaient pour s’assurer que l’on ne se déshydrate pas. Je faisais ma part évidemment, mais j’avais l’impression que Stéphanie en faisait plus que les autres. Elle était vraiment sur le party ce soir-là ! J’en profitais sans arrière-pensée, ce qui a fait que j’étais déjà un peu feeling avant que le soleil ne se couche. C’est seulement après que je me suis demandé si Stéphanie n’agissait pas de manière stratégique. Je savais qu’elle nous fournissait la bière, mais je me demandais si elle en buvait autant que nous. Elle avait l’air pas mal feeling elle-même, mais d’une certaine manière, je trouvais qu’elle gardait un certain contrôle sur sa gang de mâles, ce qui était curieux. L’alcool faisait effet, j’étais complètement désinhibé. Je criais, je chantais et je dansais. Chaque fois que mon mouvement de hanche s’enflammait, Stéphanie en profitait pour transformer mon solo en danse lascive pour couple averti. Je me laissais faire. C’était très enfantin et joyeux. Je me suis permis une main sur une fesse à un moment donné. Elle s’est permis une main sur une cuisse. Main baladeuse d’ailleurs, dont j’ai su rapidement me dégager en faisant un spin impromptu, très apprécié par les spectateurs immédiats. Nos affaires n’ont pas dégénéré, on en est resté à ça. On a continué à boire cependant, danser ça donne soif, ce qui fait que j’avais l’esprit de plus en plus dans le brouillard. Mais j’avais du fun et je ne voulais pas que ça s’arrête.

Maintenant que j’y pense, j’avais complètement oublié les histoires de Sean et Hamid. J’avais aussi complètement oublié l’histoire du break avec Catherine. Peut-être un peu trop, mais on a le droit de se laisser aller de temps en temps. J’avais vécu pas mal de stress ces derniers jours.

C’était maintenant de la musique connue, de musiciens québécois connus pour la plupart. Même si je ne suivais pas la musique d’aussi près que dans mon adolescence, j’arrivais quand même assez bien à suivre les courants principaux. Par la radio, j’avais accès à la musique populaire. Par les journaux, j’avais accès à des critiques de choses moins accessibles. Il m’arrivait d’acheter des CD à l’occasion, et le contenu de mon IPod se renouvelait régulièrement. Je connaissais donc les paroles et je ne me gênais pas pour chanter celles-ci à tue-tête. Comme je chante très mal, j’étais heureux que les amplificateurs de la scène puissent m’enterrer, m’évitant ainsi de me faire trucider par mes voisins. Quand Mes Aïeux sont arrivés, j’étais presque hystérique. C’est quand même incroyable comment l’effet de foule peut nous rendre imbécile. Je rivalisais avec mon entourage afin de leur montrer à quel point j’aimais ce groupe. Je n’avais quand même plus 16 ans ! Mais c’était plus fort que moi. Je me regardais faire et je me trouvais drôle. J’étais une caricature de moi-même. Ma quasi-hystérie était au deuxième degré, mais mon entourage, lui, ne le savait pas. On m’a envoyé quelques regards du genre « coudonc-y’est-complètement-saoul-pis-y-nous-fait-honte », ce qui m’a un peu calmé. J’ai continué à danser, avec ou sans Stéphanie, de manière moins lascive, plus festive, et les regards ont cessé.

Le spectacle se terminait à minuit. À ce moment-là, on s’est souhaité une bonne St-Jean-Baptiste, et les organisateurs ont allumé le feu de joie, un peu plus loin sur les plaines. Je me souviens vaguement que le bec de Stéphanie a été assez intense et qu’elle ne décollait pas vite, mais sans plus. Paul et quelques-uns de ses amis se sont rendus au feu, et les autres se sont dirigés vers la sortie pour retourner à la maison. Paul nous trouvait très casseux de party, mais il n’a pas trop insisté. On s’est rapidement perdus de vue, sauf Stéphanie, qui ne me lâchait pas. On allait prendre le même autobus et elle m’avait choisi comme chaperon dans cette foule bruyante et parfois inquiétante. Je n’étais pas le chaperon le plus solide, je titubais un peu sous l’effet de l’alcool, mais le fait de sortir du cocon de la foule m’avait un peu dégrisé, et j’avais suffisamment repris mes esprits pour savoir où je m’en allais. Le petit vent froid qui pénétrait parfois dans les rangées de monde ne nuisait pas non plus à mon dégrisage. J’ai constaté du coin de l’œil l’effet qu’avait laissé ce petit vent froid sur les mamelons de Stéphanie, mais je me suis forcé à détourner la tête. On marchait à travers un lit de verres de plastiques qui jonchaient le sol des plaines. Des jeunes s’amusaient à se tirailler, partageant involontairement quelques claques et quelques poussées avec nous. Des hommes, incapables d’attendre, se vidaient la vessie où ils pouvaient, les toilettes chimiques étant débordées (dans le sens d’une longue file d’attente ; en tout cas, j’espère que c’était juste ça). Des personnes saoules mortes étaient recherchées par les ambulanciers en tournée. Certaines personnes étaient malades, beaucoup plus semblaient sur le point de l’être. La plupart des gens étaient dans un état normal et civilisé, mais on ne les remarquait pas, ceux-là. C’était pas très édifiant comme spectacle et j’avais juste hâte de partir. Ça nous a pris environ une heure pour nous rendre à notre arrêt d’autobus. À ce moment-là, Stéphanie était déjà pendue à mon bras. Elle semblait frigorifiée et très fatiguée. On ne se parlait pas, j’étais en mission pour rentrer à la maison et l’aider à faire de même. Comme on attend pas l’autobus en rang à Québec, il a fallu se battre pour arriver à trouver de la place dans le troisième autobus auquel on a tenté d’avoir accès. À l’intérieur de l’autobus, nous étions toujours en tapon, mais c’était moins grouillant et bruyant. Il y a eu un soupir de soulagement quand l’autobus s’est mis en marche et que l’on a senti un peu d’air se rendre jusqu’à nous.

Même si Stéphanie n’était sûrement plus frigorifiée, elle ne me lâchait toujours pas. Elle m’a souri, et je lui ai souri. On ne se parlait toujours pas.

Avec environ 8 pouces de différence de taille, quand on est collé comme des sardines, c’est difficile de se parler.

Je ne voulais pas lui infliger un torticolis. J’ai senti d’autres contacts sur ma cuisse, mais je ne savais pas si ça provenait de Stéphanie, volontairement, ou d’autres voisins, involontairement. Comme le contact a cessé, j’ai décidé de l’ignorer. Les gens descendaient petit à petit, ce qui nous laissait plus de place pour respirer. Notre arrêt était presqu’en bout de ligne, proche de l’université Laval. On a pas pu s’assoir, mais on était presque les seuls à être debout lorsque mon arrêt est venu. Un peu avant, j’ai dit à Stéphanie que je descendais au prochain arrêt. Elle m’a dit OK. Quand je me suis penché pour lui donner un petit bec de bonsoir avant de sortir, elle m’a dit qu’elle venait avec moi. Je n’ai pas eu le temps de protester, puisqu’il était temps de sortir, alors nous sommes rapidement sortis ensemble.

-Ton arrêt est un peu plus loin non ?

-Oui, mais j’ai le goût de marcher un peu. On peut passer par chez toi non ?

Je ne savais pas si elle voulait dire que mon bloc appartement était sur son chemin, ce qui était le cas, ou si elle voulait plutôt passer à mon appartement. Je n’ai rien dit. J’étais un peu confus. J’y ai pensé intensément par contre. Que faire si ce qu’elle voulait était de monter à mon appart ? À un moment donné, j’étais plus capable de penser, j’ai craqué et je me suis dit qu’il m’était impossible de réfléchir correctement dans l’état où j’étais. J’allais laisser faire les choses, et on verrait bien.

De toute façon, dans l’état où j’étais, il ne pouvait pas se passer grand-chose du côté de mon organe, si vous voyez ce que je veux dire.

Au pied de mon bloc, je lui ai demandé ce qu’elle faisait. Elle m’a souri et m’a fait signe de monter, en s’attachant à mon bras. Je n’ai pas souri en retour, mais je suis monté, la laissant se pendre à moi avec de plus en plus d’affection. En débarrant la porte, je lui ai dit de ne pas s’imaginer qu’il se passerait quelque chose. Elle m’a dit « Non ! non ! » avec un petit sourire coquin qui voulait dire qu’elle n’en croyait rien. J’ai encore laissé faire, je crois que je n’avais pas la force de protester. Je ne suis même pas certain que j’avais le goût de protester. Après être entré, je lui ai demandé si elle voulait quelque chose. Elle m’a dit qu’elle voulait un verre d’eau. C’était une excellente idée, et je l’ai accompagnée. J’avais peur qu’elle me demande un scotch ou quelque chose du genre. En plus du fait que je n’en avais pas, j’aurais tout de suite compris ses intentions machiavéliques. Mais elle était plus subtile que ça cette Stéphanie, malgré ce que j’avais toujours cru d’elle.

En buvant notre verre d’eau, sur le sofa du salon, elle a commencé à me jaser de choses et d’autres. Comment elle se sentait femme lorsqu’elle s’habillait comme ce soir, comment elle avait apprécié danser avec moi, comment elle était agréablement surprise par mes déhanchements de danseur. Je l’écoutais à moitié. Je n’avais pas tout mon esprit, et j’étais très fatigué. J’avais concentré ce qui me restait de lucidité et d’énergie pour m’assurer de me rendre jusqu’à mon lit. Maintenant, malgré la présence de Stéphanie, je relaxais. Je ne lui répondais presque plus lorsqu’elle me parlait, ce qui ne semblait pas du tout l’empêcher de continuer, calmement, régulièrement, comme une mère qui conte une histoire à son enfant pour l’endormir. À un moment donné, j’ai fermé les yeux. Je ne dormais pas, en tout cas pas tout à fait, mais j’ai fermé les yeux. Elle ne s’en est pas offusqué et elle a continué de jaser, je ne me rappelle plus très bien de quoi. Ensuite, je me souviens qu’elle m’a embrassé, doucement au début, puis avec de plus en plus de passion. Je lui ai remis ces baisers, mais sans jamais ouvrir les yeux. C’était bon, c’était doux. Je ne sais pas trop combien de temps ça a duré, mais ça a duré un certain temps. Je me suis retrouvé couché sur le divan, elle par-dessus moi. Ses mains se limitaient à me caresser le visage et les cheveux pendant qu’elle m’embrassait. Je l’entendais qui chuchotait parfois Jeff, oh Jeff ! d’où se dégageait une certaine surprise et une certaine joie, lorsqu’elle prenait le temps de reprendre son souffle. En ce qui concerne mes mains, je crois qu’elles s’accrochaient mollement à elle, de manière assez statique, probablement à sa taille. J’ai gardé un souvenir nébuleux de sa peau douce, et d’un corps musclé et en mouvement. Après, je ne me souviens plus de rien. Je crois que je me suis endormi pendant qu’elle m’embrassait, si c’est possible. Ou bien encore, elle a ralenti le rythme de ses ardeurs et m’a laissé dormir.

J’ai très bien dormi. Je me suis réveillé couché sur le divan, encore habillé, avec une couverture sur moi. J’ai tout de suite pensé à Stéphanie. J’avais encore le goût agréable de sa bouche dans ma bouche. J’étais en érection. La culpabilité s’est emparée de moi. J’ai fait de gros efforts pour me remémorer ce qui s’était passé. Avec la conviction que nous n’étions pas allé plus loin que quelques baisers langoureux, je me suis tranquillement levé, sans bruit, afin de savoir si Stéphanie était encore dans les parages. Je n’avais pas trop la gueule de bois pour un lendemain de veille. Stéphanie n’était nulle part dans le salon. Je me disais par contre qu’elle devait être chez moi, car il n’aurait pas été prudent pour elle de se rendre à son appartement toute seule, à l’heure qu’il était. D’ailleurs, j’aurais dû penser à ça lorsqu’elle est descendue à mon arrêt. Après un petit détour, un peu désagréable, pour me vider la vessie, je suis allé voir dans ma chambre. Stéphanie était-là, dans mon lit, bien emmitouflée sous mes couvertures. J’ai cru qu’elle était toute habillée puisque je ne voyais ses vêtements nulle part. Elle semblait très confortable, alors, je ne l’ai pas réveillée. Je suis allé me verser un bon verre d’eau froide, sachant que c’était la seule façon de m’éviter un mal de tête. C’était aussi une bonne façon de reprendre mes esprits et de décider de la suite des choses. Il était 8 heures du matin, j’avais suffisamment dormi pour avoir toute ma tête. J’allais laisser Stéphanie dormir jusqu’à 9 heures. Si elle se levait avant, on pourrait se parler et s’expliquer, surtout sans se toucher, et Stéphanie retournerait chez elle sachant à quoi s’attendre pour l’avenir. Je ne sais pas si cette conversation allait être difficile ou pas, mais de toute façon, je serais ferme et la conclusion serait la même, quoi qu’il arrive. Si à 9 heures, Stéphanie dormait encore, j’allais la réveiller doucement (je ne pouvais quand même pas rester sans rien faire, à l’attendre, tout l’avant-midi), mais surtout pas de manière câline, sans lui toucher, et l’explication prévue suivrait. Je me suis donc préparé pour une attente d’une heure. Sans trop faire de bruit, je ne voulais quand même pas être impoli, mais sans faire trop attention non plus, puisque je préférais qu’elle se réveille par elle-même, je suis allé me chercher une bonne bande dessinée et je me suis versé un verre de jus d’orange. J’allais prendre mon déjeuner avec Stéphanie pendant notre discussion. Si elle mangeait, ça la forcerait à arrêter de parler de temps en temps et ça risquait de m’aider à rendre la conversation plus civilisée ; du moins, c’était ce que mon intuition me dictait. Pour faire durer une bande dessinée, que j’avais déjà lue, pendant une heure, il fallait que j’étire un peu le processus. Je me suis forcé à regarder en détail les dessins dans toutes les cases, et ça n’a pas été trop pénible. J’ai même découvert de nouvelles choses pas mal rigolotes et intéressantes, dans quelques cases, comme deuxième niveau à ce que j’avais déjà remarqué. Stéphanie ne s’est pas réveillée. Il était 9 heures, je n’avais plus le choix. Un peu malgré moi, je me suis rendu dans ma chambre pour accomplir la tâche ingrate prévue.

Quand je suis entré, Stéphanie m’a regardé, elle m’a dit doucement : « je t’attendais ». Elle a soulevé délicatement les couvertures, et je l’ai vue, toute nue, un magnifique sein rose et rebondi à ma vue et à ma portée ! Sur le coup, j’ai presque oublié mes bonnes résolutions. Mon premier réflexe a été de me diriger vers elle, vers ce sein qui m’appelait, mais je me suis retenu. Stéphanie semblait penser que le dossier était réglé. Les baisers langoureux de la veille avaient scellé le pacte, nous étions maintenant un couple. Elle se trompait lamentablement, mais comment lui dire ?

-Je crois qu’il faut qu’on parle, Stéphanie. Rhabille-toi et viens me rejoindre dans la cuisine, je vais te préparer un petit déjeuner.

J’ai dit ça le plus froidement possible, mais il était évident que j’avais un trémolo dans la gorge.

-Jeff, ne me dit pas que ce qui s’est passé hier ne veut rien dire ? Quand on s’embrassait, ce n’était quand même pas rien ! Des baisers aussi agréables, ça signifie qu’il y a une chimie. On ne peut pas aller contre la nature !

C’est vrai que ces baisers étaient particulièrement bons ! En plus, elle disait ça en s’assoyant sur le lit, sans couvrir sa poitrine. Elle était magnifique, encore plus que Catherine. Ses seins se tenaient admirablement, malgré leur grosseur respectable. Et c’étaient des vrais, il n’y avait pas de doute. Elle était musclée des épaules, des bras et de l’abdomen ; pas de six-pack, mais pas loin. Elle devait s’entraîner beaucoup plus que ce que je croyais. J’ai flirté avec l’idée de profiter d’elle, juste une fois, sachant que ça n’irait pas plus loin, mais j’ai résisté. Je ne sais pas trop pourquoi. La pudeur prenait le dessus sans doute.

-Stéphanie, c’est vrai que c’était bon, c’est vrai qu’il y avait sans doute une chimie physique, mais ça va prendre plus que ça pour que je quitte Catherine et me retrouver avec toi. Tu es magnifique, pas de doute, mais STP habille-toi pour que je réussisse à contrôler l’animal en moi.

Évidemment, elle ne m’a pas écouté. J’avais une nouvelle érection qui se pointait à l’horizon !

-Tu veux discuter pour me dire que ça ne marchera pas entre nous, ou pour que l’on puisse voir si ça peut marcher entre nous ? Il me semble que l’on a bien mérité de se laisser une chance! Physiquement, c’est si puissant, et on est déjà des amis ! Il ne manque pas grand-chose pour que l’on puisse avoir quelque chose de très bon ensemble, et pour un bout de temps.

Elle avait peut-être raison ! Même en pensant à Catherine, je la voyais qui me disait d’aller jusqu’au bout dans ma réflexion. Il fallait être sûr. De toute façon, si je ne voulais pas que Stéphanie me saute dessus, nue comme elle était, je devais profiter de la porte de sortie qu’elle m’offrait. En plus, je ne pouvais pas dire non à ses deux beaux seins qui me regardaient dans les yeux.

-Tu as raison, on va se parler, pour mieux se connaître, pour voir si vraiment ça pourrait marcher nous deux, comme couple.

Elle s’est tout de suite calmée. Sachant que je n’étais pas insensible à sa beauté charnelle, elle s’est levée avant que je n’ai eu le temps de sortir de la chambre, tout en disant :

-OK, qu’est-ce que tu me prépares pour déjeuner ?

En me rendant à la cuisine, lui faisant dos, je lui ai dit :

-J’ai des œufs, je peux te faire une omelette au fromage avec des toasts, est-ce que ça te va ?

Elle ne m’a pas suivi, elle a plutôt commencé à s’habiller. Elle a dit OK et m’a demandé de lui préparer un jus d’orange avec ça. Une chance qu’elle ne m’a pas demandé une assiette de fruits, j’avais presque rien dans le tiroir à fruits du frigo. D’après le corps que j’ai vu, elle devait manger plus souvent des fruits que des omelettes pour le petit déjeuner.

J’étais encore en train de préparer l’omelette quand elle est venue me rejoindre dans la cuisine. Elle m’a frôlé et donné un petit bec sur la joue avant de s’assoir à la table. J’ai vraiment vécu un moment d’angoisse quand je l’ai senti se diriger vers moi. Ma pré-érection était toujours présente et ce petit bec n’a rien fait pour aider. Maintenant que j’avais vu ce qui se cachait derrière, ses vêtements serrés ne servaient plus que d’éléments d’agacement supplémentaire. J’avais hâte de pouvoir me calmer complètement, j’ai pris quelques grandes respirations et décidé de ne la regarder que dans les yeux pendant notre conversation.

Après une petite gorgée de jus, Stéphanie a pris la parole. Elle avait une mission de vente à accomplir, et elle n’allait pas rater sa chance. Elle semblait calme, mais résolue. Elle m’a expliqué qu’elle pensait que nous avions beaucoup de choses en commun. Nous étions sportifs, nous aimions la technologie, nous n’étions pas superficiels, ni matérialistes. Nous avions les mêmes goûts musicaux, du moins certains. Surtout m’a-t-elle dit, nous étions des gagnants.

-Qu’est-ce que tu veux dire par là, Stéphanie ?

-Je te vois aller. Tu n’es pas le genre à te contenter de faire juste le nécessaire. Tu essaies de briller. Tu as obtenu plusieurs publications pendant ton doctorat. Tu peux utiliser ça pour te trouver un super job, payant et stimulant.

-Et toi, pourquoi es-tu une gagnante ?

-Moi, après ma maîtrise en sciences, je vais faire un MBA. Je ne veux pas me contenter d’être une assistante de recherche, je veux être une femme d’affaire avertie. Je vais réussir dans les hautes sphères de la société. En plus, je vais faire le nécessaire pour que l’homme à mes côtés réussisse également aussi bien, sinon mieux. Je veux être un accélérateur pour sa carrière plutôt qu’un frein. Je veux que l’on soit un couple modèle. Je nous vois bien, ensemble, réussir à l’échelle internationale.

-Je ne suis pas certain que l’on ait la même notion de la réussite. Moi, j’ai une nette tendance socialiste, et je suis plutôt du genre famille, plutôt que carrière.

-Si tu veux vraiment aider les autres, il faut que tu te donnes des moyens, du pouvoir. Pour ce qui est d’avoir une famille, je suis parfaitement d’accord. Ça va se faire après que l’on ait eu l’occasion de nous positionner dans la vie, mais avec la capacité et la volonté, ça peut se faire rapidement.

-Qu’est-ce que tu voudrais faire au juste après ton MBA ?

-Peut-être travailler pour une firme de placement boursier en me spécialisant dans l’évaluation de sociétés technologiques. Il parait que c’est très payant et que c’est un excellent moyen de se construire un important réseau de contacts.

-Mais il n’y a même pas de bourse au Québec. Il faudrait t’expatrier !

-Peut-être pour une courte période de temps. Mais il y a des firmes de placement à Montréal. De toute façon j’aimerais bien vivre quelques années à New York, ça me semble exaltant !

-Tu sais Stéphanie, moi le système boursier, je ne l’aime pas beaucoup. Je trouve que c’est trop basé sur la spéculation. C’est tout à fait artificiel. C’est une anomalie extrémiste du système capitaliste. Ça pousse le principe de l’offre et de la demande trop loin. Pendant que quelques courtiers s’amusent à jouer comme au casino, il y a des gens qui perdent leurs jobs. Il y a des conséquences réelles, sur des gens réels suite à ces spéculations artificielles ; ces jeux pour homme d’affaires pleins aux as. Des fois, je me dis que la solution serait d’abolir les bourses monétaires. Revenir aux bases du système capitaliste, limité à des échanges de biens réels.

-Mais comment peux-tu remettre en question le système économique occidental? Tu es loin d’être un expert il me semble ?

-C’est vrai, je suis loin d’être un expert et peut-être que ce que je dis n’a pas d’allure. Par contre, je trouverais sain que l’on remette en question ces grandes institutions de temps en temps, plutôt que de les voir comme des incontournables. Tu sais, tu es loin d’être une experte toi-même, et pourtant tu appuies ce même système économique sans condition. Tu ne peux pas plus y souscrire, que moi je peux le remettre en question, puisque nous ne savons pas exactement de quoi il s’agit.

-Je vais le savoir sous peu moi, je vais faire un MBA.

-C’est vrai, tu fais ce qu’il faut pour ne pas parler à travers ton chapeau. Par contre, je ne suis pas certain que le MBA est un exercice de réflexion sur le système capitaliste. C’est plutôt l’incubateur des futurs grands exploitants du système capitaliste non ?

-Avec toi, il n’y a jamais de conversations ordinaires. C’est ça que j’aime, tu veux voir plus gros, plus loin ! Tu veux changer le monde ! Il ne faut pas gaspiller une intelligence comme la tienne. Si j’étais là pour te guider, tu pourrais faire de grandes choses avec cette intelligence, pas juste quelques publications scientifiques, de grandes choses. Ça te prend quelqu’un pour t’aider à atteindre ton potentiel. Je peux t’aider. Avec moi, tu pourras les atteindre tes idéaux de justice sociale et de paix dans le monde. Les rassemblements de Sean et Hamid, c’est de la petite bière. Je nous vois ensemble, dans quelques années, faire partie des décideurs de ce monde. Plutôt que de manifester dans la rue, on pourra agir, directement, pour faire changer les choses.

-C’est beau, ce que tu dis, mais on ne se rendra jamais au sommet en défendant des idées de justice sociale. Il y a trop de monde qui risquent de perdre leurs places, ils ne nous laisseront pas passer comme ça.

-Jeff, il faut être plus futé qu’eux, la fin justifie les moyens. C’est pour ça que tu as besoin d’être guidé. Tu es intelligent, mais un peu trop naïf. Moi, il n’est pas question que je me contente d’une petite vie. Ensemble, je suis certaine qu’on va faire de grandes choses. Ça te semble pas une vie plus excitante que ce que peux t’offrir Catherine ?

-Peut-être, mais peut-être pas une vie plus heureuse.

-Le bonheur, c’est de se dépasser Jeff ! En faisant du sport, je sais que tu as compris ça.

Je n’avais plus aucun signe d’érection. Sa façon de parler me donnait froid dans le dos. C’était définitivement une femme contrôlante. Ça n’aurait jamais marché pour moi avec une femme comme ça. En plus, je l’imaginais bien, si elle ne réussissait pas à devenir le magnat de l’industrie qu’elle espérait (et les chances n’étaient pas de son côté, il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus) devenir une femme frustrée et aigrie. Si son mari n’obtenait pas la promotion qu’elle souhaitait pour lui, elle allait sûrement l’engueuler ; ou harceler son patron. J’avais même l’impression de parler à une républicaine américaine, ne jurant que par le système capitaliste et le pouvoir des riches. Elle m’avait effectivement rapidement convaincu. Elle m’avait convaincu à quel point j’étais bien avec Catherine. Je pouvais certainement continuer de la considérer comme une amie, son discours était intéressant, sa fougue était contagieuse ; mais certainement jamais comme une conjointe. Pour son corps, j’en ferais mon deuil. Juste à l’imaginer vouloir me contrôler, me guider jusque sous les couvertures, et j’avais presque envie de courir jusqu’à Catherine en criant au secours, pour qu’elle me sauve des griffes de Stéphanie !

-Tu es pensif Jeff. Est-ce que ça te donne des idées tout ça ? Tu devrais peut-être aussi faire un MBA, comme moi ? On pourrait étudier ensemble.

C’est quand même le comble de l’égocentrisme quand on pense que ce qui est le mieux pour l’autre, c’est ce que l’on a choisi de faire nous-mêmes.

Maintenant, il s’agissait de trouver le moyen de me sortir de cette conversation-là. Il était évident que Stéphanie croyait être sur la bonne voie pour m’attirer à elle, alors qu’elle venait tout juste de m’éloigner d’elle à jamais. Peut-être qu’il était trop tôt pour prendre une décision si drastique, peut-être que j’étais mieux d’y penser ? Peut-être que j’avais juste pas le goût, ni le courage, de régler ça tout de suite, et que je voulais gagner du temps pour mieux préparer le terrain ?

Stéphanie, me voyant encore pensif, s’est rapprochée de moi. Elle y allait pour le coup final, elle allait m’achever d’un de ses puissants baisers. Le baiser m’intéressait, mais je ne pouvais pas jouer à ce jeu-là sans en payer le prix. J’ai tout simplement, rapidement, mais pas brusquement, sorti le bras pour la retenir en l’effleurant. Je me suis trouvé pas mal bon dans les circonstances, de réussir à l’arrêter, sans qu’elle ne se sente brusquée. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas précipiter les choses. Que ce n’était pas l’envie de l’embrasser qui me manquait, mais que je devais penser à ce que l’on s’était dit avec la tête froide, avant de décider si c’était avec elle ou avec Catherine que je voulais faire ma vie. En m’écoutant, j’ai trouvé que cette remarque faisait très macho, mais ça a semblé être relativement bien accepté par Stéphanie, qui a mis un frein à sa tentative d’accolade.

Elle m’a dit calmement :

-Elle est encore dans le coup Catherine ? Des périodes de break qui s’étirent comme ça, ça veut tout dire habituellement ! Peut-être que tu ne réalises pas toi-même que c’est déjà fini avec Catherine.

Tout ce que j’ai trouvé à dire, c’est un banal mensonge.

-Peut-être !

Elle semblait donc encore très confiante que mon cœur penche de son côté. Raison de plus pour se donner du temps, pour bien préparer l’annonce de ma décision que je lui ferai sous peu. On a continué la conversation calmement, sur des sujets moins chauds. Elle était toujours aussi cajoleuse, mais étant confiante, ne voulait pas me brusquer comme je le lui avais demandé. Moi, sachant déjà ce qui s’en venait, je pouvais tout simplement apprécier sa compagnie et discuter avec elle sans arrière-pensée. Je n’avais pas à décider de la manière dont je procéderais. Je pouvais profiter de cette conversation pour dire adieu à ce corps magnifique que j’avais eu à ma portée. Je lui ai demandé de me donner quelques jours pour bien réfléchir à la question et lui revenir avec une réponse définitive. Je lui ai demandé d’y penser aussi de son bord. Elle m’a dit que de son côté, c’était déjà tout réfléchi et qu’elle ne ferait que m’attendre. On s’est entendu pour se recontacter, au plus tard, lundi prochain. J’ai eu droit à un beau gros bec (sur la joue!) et un câlin, et elle est partie en me souhaitant une bonne réflexion. L’accolade m’a laissé à peu près froid, ce qui me semblait me confirmer que j’avais pris la bonne décision.

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